Une BD à écouter gagnante du 1er Hackathon du livre numérique à Strasbourg

Le 21 avril dernier, les éditeurs français de la région Grand Est se sont réunis à Strasbourg afin de participer à une compétition hors du commun : le hackathon du livre numérique. Durant cette journée de concours, les participants ont relevé le défi de créer un projet innovant en moins de huit heures sur le thème « Imaginer un livre numérique enrichi ! ». Lettres Numériques s’est entretenu avec Thomas Pineau, créateur d’Audio Picture et membre de l’équipe gagnante, afin d’en savoir plus sur ce projet passionnant.  

Cet événement, mis en place par Cil Alsace, Numered Conseil et l’atelier de communication graphique de la Hear, était une première dans la capitale alsacienne. Le but de ce hackathon était d’amener les éditeurs et leurs équipes (graphistes et codeurs) à créer un projet de livre numérique enrichi, de sa création à sa diffusion, en une seule journée (de 10h à 17h), et en partant d’un livre de leur collection. C’est le projet des Éditions du Long Bec et Audio Picture qui a séduit le jury : une adaptation audio enrichie de la bande dessinée L’Or de Morrison de Roger Seiter et Daniel Brecht. Thomas Pineau nous présente les défis que son équipe a relevés lors de cette journée particulière.

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Comment votre projet s’est-il mis en place pour le Hackathon ?

Le Hackathon est une compétition qui est à la base réservée aux éditeurs du Grand Est. Ses organisateurs ont donc contacté Éric Catarina des Éditions du Long Bec, qui m’a demandé de participer au projet avec lui. Nous avions déjà travaillé ensemble sur un projet commun : l’adaptation complète en format audio de Trou de Mémoire, une série polar sous forme de BD (notre article sur le projet). En plus d’une bonne entente avec Éric, nous partageons à peu près les mêmes visions en ce qui concerne le livre numérique.

L’équipe était composée de quatre membres : une graphiste, Éric des Éditions du long Bec, l’auteur du Western Roger Seiter et moi-même. Nous avons commencé par débriefer sur un support de communication pour le livre numérique : « comment communiquer sur le livre ? », mais finalement les intervenants nous ont réorientés en nous conseillant de continuer l’idée de la BD audio, plus sympa et plus innovante.

Comment la journée s’est-elle déroulée ?

Les intervenants nous donnaient à chaque fois un peu plus d’informations, ce qui nous permettait d’être guidés dans notre travail personnel. Comme nous nous sommes réorientés vers l’audio, nous avons utilisé des sons que j’avais ramenés avec moi au cas où on en aurait besoin pour monter des choses et, au final, on a produit tout cela en deux heures, en finissant le projet en dernière minute. De mon côté, j’ai réalisé toute la bande-son avec les ambiances sonores, les bruitages et la musique. Parallèlement, la graphiste s’occupait d’appliquer les flashs d’images sur la BD numérique. Dans le cadre du hackaton, il s’agissait de vidéos, mais ce ne sera pas le cas dans la version finale. Je pense qu’on partira plus sur des notifications.

Pour aller plus loin dans le projet, nous avons enregistré les voix nous-mêmes. Chacun a lu les dialogues, et même si ce n’était pas parfait, quitte à le faire, autant l’enregistrer directement avec le micro de l’ordinateur. Pour cela, nous nous sommes isolés dehors, derrière la bibliothèque Malraux, dans un espace protégé par des arbres. L’épisode fut assez marrant, puisque les membres de l’équipe n’étaient pas des acteurs nés… Parmi les retours du concours que nous avons reçus « en off », certains nous ont expliqué que c’était assez drôle de nous entendre jouer la comédie, et qu’une fois nos voix additionnées aux ambiances sonores ils parvenaient sans problème à se plonger dans l’univers de la BD. Bien entendu, le projet gagnerait en intensité avec des acteurs pros. Au final, il s’agit en réalité d’un concept de narration applicable autant sur une bande dessinée, ici le western, que sur n’importe quelle BD numérique.

Quel est le défi de la BD enrichie par rapport à la retranscription audio totale d’un titre ?

Le défi durant le développement était de ne pas perdre la dimension audio face au visuel, car le livre numérique est à la base très visuel. Pour l’instant, nous partons d’éléments très ponctuels sur la bande-son. On y trouvera du balisage sous forme de flash image qui informera le smartphone ou la tablette d’une scène parallèle, pour mieux comprendre ou aller plus loin dans la narration sans trop perturber l’écoute. Il faut donc faire des tests dans la création du scénario pour savoir ce qu’on met en audio ou en visuel.

Pour la BD 100 % audio, ce qui est important c’est le choix de ce qu’il faut sonoriser. Par exemple, dans Trou de Mémoire, lorsque le personnage jette à l’eau une arme avec laquelle il a potentiellement tué un individu, il faut parvenir à le retranscrire de telle sorte que l’auditeur comprenne que c’est bien une arme qui est jetée à l’eau. Si un travail de réécriture est souvent nécessaire, l’imaginaire est en général assez développé.

Comment avez-vous ressenti l’expérience du Hackaton (monter un projet en moins de huit heures) ?

Nous l’avons pris de manière assez décontractée et avons, au final, bien rigolé. Nous avons trouvé l’expérience vraiment sympa, très conviviale, un bon moment de partage plutôt qu’une compétition.

Que vous permet le prix du Hackatton ?

Le financement d’une partie du projet : l’enveloppe est encore à définir, mais, en fonction du budget dont nous aurons besoin, cela représentera environ 40 % à 50 %. Nous bénéficions également d’un accompagnement dans le cadre d’une demande de subvention et d’un suivi tout le long du projet par des interlocuteurs privilégiés avec pour but de le commercialiser, de le mettre à disposition des lecteurs.

Dans quelles mesures le concept va-t-il être proposé aux lecteurs justement ?

Plusieurs solutions sont envisagées, mais nous ne savons pas encore vers laquelle nous diriger. La décision dépendra du budget : soit une commercialisation via l’ePub 3 qui permettra l’alliance du visuel et de l’audio, soit une application, ce qui serait le plus commode pour ce type de lecture. Le livre web a été envisagé, mais puisqu’il est uniquement disponible sur ordinateur, cela ne résout pas le problème de l’écran ; par ailleurs, il n’est pas responsive (adaptatif). Le projet final sera disponible sur le site des Éditions du Long Bec.

Constatez-vous une évolution des habitudes face au livre audio en France ?

Ce n’est pas très développé, mais on note un intérêt croissant. Personnellement, je le perçois même dans mon entourage. Mes amis et ma famille, qui ne sont pas du tout dans le livre audio, me disent de plus en plus : « Tiens j’ai envie d’essayer » ou « J’aimerais bien écouter quelque chose, mais est-ce que tu peux nous conseiller quelque chose de court ? »

Audible d’Amazon fait des pubs pour le livre audio à des heures de grandes écoutes et cela interpelle les gens. Ils sont en train d’essayer de toucher les 20-40 ans avec des contenus courts. Les gens sont à la recherche d’un divertissement qui repose aussi les yeux puisqu’ils sont toute la journée derrière des écrans, au travail comme à la maison sur les réseaux sociaux notamment.

Travaillez-vous sur d’autres projets actuellement ?

Je vais mettre en place un crowdfunding pour un de mes projets, et parallèlement je développe, en plus de l’adaptation audio du numérique, un accompagnement des petites maisons d’édition qui n’ont pas les moyens de faire de la production audio en interne. Je mets en relation différents intervenants et prestataires de la chaîne du livre.  

Enfin, j’espère que le projet de BD enrichie L’Or de Morrison rencontrera un accueil favorable auprès du public, et que ce genre d’initiative convaincra les maisons d’édition — souvent trop frileuses face à ce genre d’évolution — de passer en audio. Puisque les lecteurs semblent chercher de nouvelles expériences, il serait dommage de ne pas leur en proposer davantage !

Une belle expérience pour Thomas Pineau et son équipe, mais aussi une vitrine pour le livre audio qui tend à se développer dans l’Hexagone.   

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— Aude Luyckx

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