Focus sur Le Manifeste, maison d’édition marocaine qui fait le pari du numérique 1/2

Le Maroc, pays friand de nouvelles technologies mais peu porté sur la pratique de la lecture, prend progressivement le virage du livre numérique : selon un rapport publié au début de l’année par la Fondation du Roi Abdul Aziz Al-Saoud, le volume des ebooks édités dans le royaume a en effet doublé depuis 2017, pour atteindre 11,55 % de l’ensemble de la production. C’est dans ce contexte prometteur que Latifa Oumlil, enseignante expérimentée, et Abdelmounaime Sami, auteur de plusieurs essais sur divers sujets de société, ont fait le pari audacieux de lancer en juillet Le Manifeste, une maison d’édition spécialisée dans la publication et le prêt de livres numériques. Compte-rendu de notre rencontre avec la fondatrice de cette toute nouvelle maison d’édition.

Lettres Numériques : Quel est votre parcours ? Et votre rôle au sein de la maison d’édition Le Manifeste ?

Latifa Oumlil : J’ai pu développer des compétences pertinentes au regard des exigences de ce projet grâce à mon expérience de 28 ans dans le milieu de l’enseignement en qualité d’enseignante et de consultante. À ce titre, j’ai été amenée à être en relation régulièrement avec des éditeurs opérant dans le secteur de l’édition scolaire ou général. Par ailleurs, j’ai également contribué au développement de comités de lecture et de correction locaux indépendants au sein desquels j’ai participé à la mise en œuvre et à l’harmonisation des standards éditoriaux et ortho-typographiques. Je suis aujourd’hui la cofondatrice et directrice générale de cette très jeune maison d’édition. Je me suis entourée d’une équipe dynamique qui connaît l’état de l’édition au Maroc, ses points forts et ses points faibles. À l’issue de plusieurs réunions et des échanges entre cette équipe réduite, nous avons mis en place une feuille de route pour constituer « Le Manifeste ».

En tant que gérante, je veille à la réussite de ce projet ambitieux qui va – à notre avis – bouleverser les habitudes de l’édition et de la lecture au Maroc.

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Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de cette très jeune maison d’édition numérique ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer ?

Le projet est passé par quatre étapes.

La première étape s’est déclenchée pendant le 24e Salon international de l’édition et du livre de Casablanca, en février 2018. En effet, à la suite des rencontres et des discussions avec des éditeurs, des écrivains et certains amis et proches, nous avons constaté l’absence du livre numérique au salon et une méconnaissance des opportunités que peut offrir l’édition numérique au Maroc, surtout avec le développement de l’Internet au Maroc. À ce stade, nous nous sommes posé plusieurs questions parmi lesquelles : la faisabilité ? L’investissement nécessaire ? Le prix du livre ? L’accueil de cette nouvelle idée auprès du public-lecteur ? Le lecteur a-t-il les moyens d’acquérir ces supports de lecture ? etc.

La deuxième étape a consisté à rédiger un premier projet en essayant de faire des recherches sur l’état actuel du secteur de l’édition et de la lecture au Maroc. Cette réflexion nous a permis de tirer un certain nombre de conclusions. À vrai dire, la première conclusion nous a découragé et nous avons failli abandonner le projet : absence de tradition de lecture (le Marocain lit 10 minutes par jour et consacre 1 DH au livre par an), taux d’analphabétisme très élevé, absence de la lecture dans les programmes d’éducation nationale, bibliothèques publiques quasiment inexistantes, concentration des librairies sur l’axe Casablanca-Rabat (1 librairie pour 45 000 habitants), prix du livre élevé par rapport au pouvoir d’achat, absence de stratégie gouvernementale incitative, etc.

Face à ce constat, nous avons cependant noté une augmentation du nombre de clubs de lecture, des initiatives pour encourager la lecture et l’implication de plus en plus visible des grandes entreprises dans le domaine culturel.

La deuxième conclusion à laquelle nous sommes parvenus concerne le taux de pénétration d’Internet au Maroc et le nombre de supports électroniques (ordinateurs, smartphones, tablettes, etc.) utilisés par les Marocains.

En effet, le Maroc est un des pays de la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient) où l’accès à l’Internet s’est largement développé. Le Maroc compte 22,56 millions d’usagers, dont 16 millions actifs sur les réseaux sociaux, la moyenne quotidienne d’utilisation d’Internet est de 2 heures et 53 minutes, il est le pays arabe avec le plus de pages Web référencées par Google dans son domaine (.ma) avec 42 400 000 occurrences. En plus, 74 % des usagers estiment par ailleurs que les nouvelles technologies offrent plus d’opportunités que de risques. Enfin, 42 % du trafic est généré par le mobile (en progression de 11 %) contre 56 % par les ordinateurs et autres tablettes (en recul de 6 %).

Cette deuxième conclusion nous a encouragé et réconforté dans l’idée qu’il existe des opportunités à saisir dans un nouveau mode d’édition et une nouvelle offre de lecture pour les Marocains en particulier, et pour d’autres lecteurs potentiels dans d’autres pays.

À l’issue de cette étape, l’idée a commencé à mûrir et une première ébauche du projet a vu le jour : les objectifs du projet, la cible visée, la ligne éditoriale, le nom et le statut de la société, l’organigramme, etc.

La troisième étape a consisté à constituer une équipe qui croit au projet, à confirmer sa faisabilité technique, à rédiger un business plan et le cahier des charges pour le développement d’un site Internet ainsi que la liste des contacts au Maroc et à l’étranger.

Lettres Numériques vous donne rendez-vous dans deux semaines pour la suite de cet entretien !

Le site du Manifeste, encore en construction, sera accessible fin septembre.

Propos recueillis par Élisabeth Mol

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— Elisabeth Mol

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