La médiation du livre audio auprès de la jeunesse et des publics scolaires
Quelle est la place de la lecture à voix haute et du livre audio dans l’enseignement et les bibliothèques ? Quels sont les bénéfices d’une lecture audio ? Le livre audio peut-il constituer un outil d’alphabétisation ou encore s’inscrire dans des actions à destination des publics éloignés du livre ? Autant de questions débattues à l’occasion de la journée interprofessionnelle du livre audio en juin dernier.
La rencontre s’est déroulée en compagnie de trois intervenantes :
- Sylvie Vassalo, directrice du salon du livre et de la presse jeunesse depuis 2000, où elle a notamment développé la section numérique. En 2001, elle a également créé un centre de formation à la médiation littéraire, dédié à toutes les formes de narration pour jeunes et pour enfants, y compris dans le domaine du numérique.
- Peggy Gattoni, adjointe déléguée académique du rectorat de Strasbourg
- Nicole Laurent, responsable du département langue et littérature de la médiathèque André Malraux à Strasbourg
Le livre audio, une voie d’accès à la lecture
Pour Sylvie Vassalo, « la puissance artistique et littéraire de la littérature » n’est plus à remettre en cause et il importe de développer « toutes les formes de médiation autour d’elle », indispensables pour améliorer la démocratisation et l’accès à la culture. Dans ce cadre, la lecture à voix haute constitue une forme de médiation à part entière, puisque la mise en voix de la littérature permet d’ouvrir un peu plus grand les portes d’accès à cette littérature. Depuis plusieurs années, le salon du livre jeunesse de Montreuil mène quatre actions destinées à développer l’oralité dans la lecture.
- D’abord par une attention particulière accordée au livre audio : l’association avait d’ailleurs créé un Prix (ou Pépite) du livre audio en 2015, qui appartient aujourd’hui à la catégorie albums.
- Il existe une scène vocale au salon, dédiée à la mise en voix de la littérature (livres audio, spectacle de littérature de jeunesse, lectures à voix haute, etc.).
- Le salon participe au concours de lecture à voix haute « Les Petits Champions de la lecture », organisé par le Syndicat national de l’édition (SNE). Cinquante classes y ont participé à Saint-Denis cette année. Outre une rencontre avec les auteurs choisis, il y a aussi un accompagnement des élèves tout au long de l’année avec l’aide d’Eloquentia, une association qui travaille sur l’oralité.
- Le salon a mis en place dès 2012 une bibliothèque numérique appelée Biblio-connection (actuellement en cours de mise à jour), qui s’adresse d’abord aux enfants en situation de handicap (autisme, dyslexie, déficience visuelle, etc.) et pose la question suivante : comment le corps est-il investi dans la lecture ? Comment l’envisager dans son entier pendant l’acte de lecture ? Les livres publiés sont des livres papier classiques accompagnés d’illustrations et textes ; ils sont traduits en langue des signes, en audio et en audio descriptif, ce qui permet de faire de la lecture à voix haute tandis que le texte défile devant les élèves, projeté en grand format sur un mur ou un écran.
L’oralité en bibliothèque
À la médiathèque André Malraux de Strasbourg, le livre audio et l’oralité occupent une place à part, tant pour les adultes que pour les enfants : pour la jeunesse, c’est une première façon d’apprendre la langue et de sociabiliser, une première approche de l’écrit et de la lecture futurs. Pour le public adulte, l’oralité représente une lecture plaisir et dans ce cadre, la bibliothèque joue un rôle de vecteur social, de lieu d’expériences singulières. Des lectures à voix haute sont organisées pour les enfants (avec des conteurs professionnels ou des bibliothécaires formés à cet exercice), mais aussi pour les adultes. Dans ce deuxième cas, les lectures se rapprochent davantage des représentations théâtrales, car elles sont souvent pratiquées par des comédiens, et peuvent prendre la forme de conférences, de spectacles nocturnes ou hors les murs (Nicole Laurent cite l’exemple de la lecture en stations de tram organisée pendant deux ans), afin d’inviter les usagers à entretenir un autre rapport avec les bibliothécaires.
Quel rôle pour le livre audio dans l’enseignement ?
Depuis plusieurs années, la délégation académique à l’action culturelle de Strasbourg soutient un prix littéraire lycéen du livre audio, organisé par l’association La Plume de Paon. Elle accompagne celle-ci dans le choix des titres ainsi que dans la sélection des classes participantes. Le but ? Faire de ce prix une récompense aussi célèbre que le Goncourt des lycéens ; mais aussi toucher un public peu lecteur, présent dans les quartiers difficiles ou la ruralité, en développant des moments d’écoute et un travail sur la lecture expressive en classe.
Car pour Peggy Gattoni, adjointe déléguée académique du rectorat de Strasbourg, « le livre audio a toute sa place auprès des publics scolaires dits empêchés, difficiles. En tant qu’ancienne enseignante, j’ai pratiqué la pédagogie autour du livre audio pendant de nombreuses années ».
Ainsi, pour les publics dys, la pratique du livre audio représente une porte d’entrée dans la littérature. Pour ces élèves empêchés par rapport à l’acte de lecture, un livre classique sera trop complexe à aborder, alors que l’écoute lui semblera plus facile et accessible. Petit à petit, l’élève découvre le plaisir de lire et bascule dans la lecture classique. Si ces cours centrés sur l’audio peuvent être menés dans des lycées professionnels, ils ont aussi toute leur place dans l’enseignement général, que ce soit dans la filière S ou L : en effet, « c’est une façon de mobiliser différemment l’intérêt des élèves et de générer de nouvelles dynamiques, quand beaucoup s’ennuient en cours… »
La lecture audio apporte ainsi une vraie plus-value par rapport à la lecture marginale : elle permet à l’élève de mieux entrer dans le livre en lui donnant une première interprétation plus limpide qu’à l’écrit, et qui l’aidera dans le cadre de lectures analytiques. Un soutien qui peut par exemple être proposé à l’occasion de la préparation de l’épreuve anticipée de français. Bien sûr, le texte physique garde toute son importance dans la pratique du cours : le livre audio ne doit pas être utilisé seul, mais en concomitance avec le livre physique.
Atteindre un public adolescent peu lecteur
Le public adolescent est un public-clé pour Peggy Gattoni : il est encore inséré dans le milieu éducatif tout en étant déjà presque adulte et à l’aube d’une nouvelle approche de la lecture. Il est primordial de faire en sorte que les ados « aient envie de continuer à écouter les mots une fois adultes. »
Grâce à l’écosystème extrêmement riche de la médiathèque de Strasbourg, qui noue notamment des partenariats avec l’Opéra du Rhin et le Théâtre National de Strasbourg (TNS), il est ainsi possible d’intéresser un public issu de quartiers défavorisés, mais il faut pour cela aller à sa rencontre, en s’adaptant à lui.
Sylvie Vassalo note en effet que le public qui fréquente le salon de Montreuil hors du temps scolaire n’est pas aussi mixte qu’on pourrait le souhaiter, malgré la gratuité de l’évènement et la collaboration avec les associations. La question de cette absence a été posée aux travailleurs sociaux, et il semble que le rapport difficile au livre en soit la première raison : l’objet livre est en effet considéré comme excluant, soit à cause de l’usage qu’il en est fait à l’école, soit parce les élèves ne se sentent pas assez maîtres de leur langue, parfois apprise à l’âge de 8 ou 9 ans. Pour faire évoluer ce rapport négatif et attirer tous les publics, le Salon du livre de Montreuil organise notamment des ateliers pour aborder le livre par l’image ; ceux-ci sont aussi à destination des parents, afin de « les décomplexer et qu’ils se sentent capables de raconter des histoires à leurs enfants ».
Peggy Gattoni tient à souligner une nouvelle fois l’importance des prix littéraires attribués par des lycéens. En effet, c’est un véritable événement au long cours qui est mis en place sur toute l’année : « cinq titres sont écoutés pendant six mois, des comédiens interviennent dans la classe, font de la lecture expressive avec les élèves, puis des débats et des échanges ont lieu… », ce qui participe à les mettre en valeur et à leur donner confiance en eux.
Nicole Laurent ajoute que c’est aussi l’occasion d’une véritable « rencontre sociale entre différents lycées, rencontre qui fait aussi partie des apprentissages » : cette confrontation avec « d’autres qui n’ont pas forcément les mêmes comportements » permet aux lycéens de tous horizons de se rendre compte qu’ils ont « tous un point de vue sur les livres qu’ils ont écouté… et c’est d’une grande richesse. »
Retrouvez Lettres Numériques sur Twitter, Facebook et LinkedIn.
— Elisabeth Mol