Le mouvement #MeToo et la question de l’archivage numérique
Tweets, emails, pages web, photos, illustrations et autres… comment collecter les documents liés à la libération de la parole des femmes dans le cadre du mouvement #MeToo ? C’est la question sur laquelle l’université de Harvard se penche : alors que la bibliothèque Schlesinger, située à Radcliffe, sert d’entrepôt pour tout ce qui touche à la vie et l’héritage des femmes, ses archives reposaient jusqu’ici sur des supports analogiques. Quand le #MeToo a surgi, s’est donc posée la question de l’archivage de données numériques.
Petit retour sur le contexte : l’expression « Me Too » apparaît en 2007 à l’initiative de l’activiste américaine Tarana Burke. Il s’agit alors de dénoncer les violences sexuelles, particulièrement subies par les minorités. Le renouveau de ce mouvement apparaît avec l’affaire Weinstein en octobre 2017, transformé alors en #MeToo, réseaux sociaux obligent. Dès lors, comment collecter les documents liés à cette libération de la parole des femmes ?
Archiver une parole dématérialisée
Collecter les témoignages issus d’un univers dématérialisé, voilà un nouveau travail d’archivage qui appelle encore à la réflexion. Jane Kamensky, directrice de la fondation Schlesinger, le souligne : « Les discussions sur notre responsabilité, dans l’archivage de ce mouvement, ont débuté presque immédiatement. Et ce, en raison de la longue histoire de collecte d’archives qui documentent le genre et l’organisation du travail. »
Car un gouffre sépare en effet le Me Too de 2007 du #MeToo de 2017 : celui des sites web, des documents électroniques, des messages diffusés sur les réseaux sociaux. Un travail à commencer de zéro, a priori, comme l’explique Kamensky : « Nous allions vraiment devoir créer cette collection par nous-mêmes. »
Une expérience précédente existe pourtant : en 2007, justement, débute l’expérimentation Capturing Women’s Voice, initiée au sein de l’équipe numérique de Schlesinger. Elle a pour vocation de sauvegarder les blogs et autres sites racontant la vie de femmes américaines, leur philosophie, leurs engagements politiques. De quoi amener au moins une pré-méthodologie et quelques pistes de réflexion.
Si effectuer une copie de sauvegarde de site internet ne requiert plus de grandes compétences, en revanche, réunir des messages diffusés sur les réseaux sociaux est encore une tâche ardue.
Creuser un corpus numérique imposant
Ce 1er juillet est pourtant née la #MeToo Digital Collection : plus de 32 millions de tweets, 1 100 pages web et des milliers d’articles permettent d’appréhender ce mouvement, non pas de manière exhaustive, mais dans ses lignes essentielles. À noter que ce recensement se veut neutre : il reprend tout aussi bien les manifestations de soutien que d’opposition au mouvement.
« Cela ne signifie pas que nous sommes pour ou contre #MeToo : simplement que nous documentons le sujet », insiste Jennifer Weintraub, responsable des collections et services numériques. Car de ces éléments découleront à l’avenir des enseignements, des recherches, des études : la Harvard Data Science Initiative, partenaire, fournira même des subventions pour aller creuser dans ces bases de données.
S’y trouve bien sûr le message d’Alyssa Milano, l’actrice à qui l’on attribue le retour numérique de #MeToo, et celui qu’elle diffusa un an plus tard pour prolonger les échanges.
« Une analyse méticuleuse de ce Big Data éclairera le mouvement à travers un corpus, d’une façon que je ne parviens pas même à comprendre », reconnaît Kamensky. Avec une difficulté majeure quant aux informations consultées : le respect de la confidentialité. En élaborant une déclaration d’éthique pour que les archives servent à des causes de recherche, la Schlesinger tente d’encadrer et limiter les risques de dérive. Les conditions d’utilisation des réseaux sociaux font aussi office de garde-fou.
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— Cynthia Prévot