Entretien avec Maxime Coton autour du poème en réalité augmentée « Sans se croiser »
Cette année encore, Lettres Numériques participe à la campagne « Lisez-vous le belge ? » organisée par le PILEn du 1er novembre au 6 décembre, pour mettre en avant le livre belge francophone décliné sur des supports « inattendus » et transmédias. Aujourd’hui, nous interviewons Maxime Coton, auteur d’un poème en réalité augmentée, Sans se croiser.
Maxime Coton est un écrivain belge francophone. Avec l’aide de l’artiste visuel Jamil Mehdaoui, il a réalisé, dans le cadre de la Biennale ARTour, un poème en réalité augmentée intitulé Sans se croiser. L’œuvre est présentée entre les rangées de la Bibliothèque provinciale de La Louvière.
La réalité augmentée est une technique numérique qui permet de faire apparaître des objets virtuels en superposition avec le réel, via l’intermédiaire d’un écran. Ainsi, pour lire le poème, les lecteurs doivent télécharger l’application Artivive sur leur smartphone. Comme s’ils prenaient en photo les parties du poème visibles à l’œil nu apparaissent des mots qui étaient alors invisibles, semblant flotter dans l’espace.
Lettres Numériques : Vous avez imaginé un poème en réalité augmentée intitulé Sans se croiser. Ce titre et le thème du poème ont-ils à voir avec l’utilisation de la réalité augmentée, ou aviez-vous écrit le poème avant de décider de le mettre en scène à l’aide du numérique ?
Maxime Coton : Il s’agit d’un poème original pensé et écrit pour l’expérience, c’est-à-dire pensé pour le dispositif de réalité augmentée, et pour l’environnement dans lequel il se déploie, à savoir une bibliothèque publique.
Votre poème est le fruit d’un travail de groupe. Comment vous êtes-vous réparti les rôles avec Jamil Mehdaoui ?
Dans mes pérégrinations littéraires au-delà du livre, j’ai eu l’occasion de travailler avec Jamil Mehdaoui à plusieurs reprises, et notamment sur le poème de réalité virtuelle Living Pages. Architecte et peintre virtuel, Jamil prend ici en charge l’implémentation technologique du projet.
Vous avez commencé par écrire des poèmes et nouvelles sur papier, puis vous avez créé Canopée, un groupe de musique mêlant musique et poésie. Vous m’avez donc l’air d’aimer repousser les frontières de ce genre littéraire parfois considéré vieillot. Comment vous est venue l’idée d’allier nouvelles technologies et poésie ?
Ma démarche est le fruit d’une remise en question permanente de l’acte d’écrire. On ne peut considérer la littérature en dehors du médium qui l’accueille, et je suis persuadé qu’il est nécessaire de questionner l’omniprésence du livre à l’aune des nouvelles technologies dont on dispose. Par ailleurs, il ne s’agit pas de remettre au goût du jour la poésie (elle n’a jamais eu besoin de cela, elle est essentielle et en ce sens intemporelle), mais plutôt de la faire pénétrer dans des sphères culturelles d’où elle s’est absentée.
Les enluminures sur les lettrines sont tirées de PICTOR, une bibliothèque de lettrines médiévales en ligne. Est-ce une volonté de lier Moyen-Âge et modernité ?
Une démarche littéraire comme la mienne, qui embrasse les nouvelles technologies, ne doit pas être pensée comme une rupture dans la tradition littéraire, mais au contraire comme un élargissement du spectre historique, en dehors du prisme réducteur figé dans sa forme par le codex, et dans le fond par la période romantique. En ce sens, intégrer des enluminures au dispositif permettait à la fois cet ancrage historique, et de convoquer le rapport entre images et mots, un des fondements de l’expression poétique.
Les nouvelles technologies et la digitalisation des services sont omniprésentes aujourd’hui. Selon vous, dans l’univers littéraire, sont-elles ou devraient-elles être vouées au remplacement ou plutôt au complément de la littérature traditionnelle ?
Je ne suis pas sûr que cette distinction soit pertinente. Ce sont les approches de la littérature qui peuvent être considérées comme traditionnelles ou pas. Ces approches se matérialisent dans les formes que peut prendre un texte. Ainsi, il est tout à fait possible d’avoir un texte a priori traditionnel (un roman, par exemple), mais dont le métabolisme, la voix intérieure, propose une approche progressiste, comme il est tout à fait possible d’avoir une œuvre dite novatrice, qui ne fasse que transposer des logiques narratives dans un autre médium, sans en questionner les fondements. En fait, il s’agit d’une question politique.
Vous avez aussi travaillé sur la réalité virtuelle, dans le cadre d’un autre poème intitulé Living Pages. La réalité virtuelle, à la différence de la réalité augmentée, est une expérience d’immersion totale, à l’aide d’un casque, dans un univers intégralement virtuel. Qu’avez-vous tiré de cette expérience par rapport à celle en réalité augmentée ?
Dans les deux cas, le questionnement qui préside à la réalisation de l’œuvre est le même, à savoir : « Est-il possible de rendre l’expérience du poème de manière singulière ? » Ensuite vient une autre question : « Est-ce que le rendu de cette expérience – parce qu’il épouse nos vies fragmentées, connectées, et donc notre rapport au monde contemporain – permet d’atteindre des strates de conscience autres que celles que les mots écrits sur une page permettent d’atteindre ? » Pour tenter d’orchestrer ce questionnement, j’aime expérimenter différents outils, en l’occurrence pour ces deux projets, réalité virtuelle et réalité augmentée.
L’un des plaisirs de lire un poème est aussi de passer ses doigts sur le papier. Paradoxalement, en réalité augmentée, l’on a l’impression que le poème devient un objet physique en trois dimensions alors qu’il est finalement encore moins palpable que lorsqu’il est couché dans un livre. C’est encore plus net avec la réalité virtuelle, où une fois le casque enlevé, le poème semble comme un rêve dans notre imagination. Que pensez-vous du rapport qui est créé entre le lecteur et le poème du fait de la réalité augmentée ?
Il s’agit à mon sens de créer un rapport le plus direct possible entre le poème et la conscience du lecteur. Pour ce faire, la rencontre avec le poème s’opère de la manière la plus organique possible, comme le prolongement de ses sens en éveil.
Découvrez ici Sans se croiser, le poème en réalité augmentée de Maxime Coton et Jamil Mehdaoui.
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— Nausicaa Plas