Entretien avec Maxime Coton, auteur du poème de réalité virtuelle Pages Vivantes
Peut-on transposer l’essence d’un poème à un autre réceptacle que le livre imprimé ? C’est la question que s’est posé Maxime Coton, écrivain et réalisateur, et qui l’a incité à créer un poème de réalité virtuelle, Pages Vivantes, ou Living Pages, accessible à la fois via un livre-objet et via une installation. Nous l’avons rencontré afin de présenter cette utilisation innovante des nouvelles technologies dans la création littéraire.
Lettres Numériques : Avant de parler de votre poème de réalité virtuelle, Pages Vivantes, pourriez-vous vous présenter ?
Maxime Coton : J’aime me présenter comme étant un écrivain tout terrain. Le cœur vibrant de mon activité est la littérature, mais j’aime explorer des formats différents comme le cinéma et la radio. Le média que j’utilise est déterminé par ce que j’ai envie d’expérimenter. Le fait d’être publié par les éditions Tétras Lyre m’a permis assez tôt de rencontrer d’autres personnes qui écrivaient et de découvrir une littérature vivante, qui se disait et s’échangeait, et de rencontrer d’autres écrivains. J’ai attendu sept ans avant de publier un autre livre, Le Geste ordinaire, en parallèle d’un film. Mon rapport à l’écriture est un peu sauvage, puisque je n’ai pas fait d’études de lettres. Je suis intéressé par d’autres arts aussi, principalement la musique et le cinéma, et toutes ces formes d’art nourrissent mon écriture ; souvent l’on me dit d’ailleurs que mon style est cinématographique.
Comment est né ce projet d’un poème de réalité virtuelle et en quoi est-il interactif ?
Au départ, je me suis posé ces questions : comment pourrait-on s’emparer de cette réalité virtuelle à des fins non ludiques, en dehors du gaming ? Est-ce que l’on pourrait envisager un poème DE réalité virtuelle ? Il faut préciser que ce poème a été spécialement réalisé pour cette expérience, il ne préexistait pas et n’a pas été transposé. J’ai voulu créer un poème dans lequel il y aurait une interactivité non consciente : le lecteur ne doit pas interagir avec la machine, mais plutôt une interactivité dans le sens où, à chaque contact, le poème se présente au lecteur d’une manière différente. Le livre n’est pas vraiment l’essence du poème, donc la question qui se pose, c’est : qu’est-ce que l’essence d’un poème ? J’ai tenté à ma manière de répondre à cela, avec un texte qui a un début et une fin, mais qui résonne différemment avec nous à chaque fois qu’on l’expérimente, dans un environnement de réalité virtuelle.
Concrètement, comment cela se passe-t-il pour le lecteur ?
Le livre est accompagné d’un casque qui plonge le lecteur dans un espace avec lequel il interagit. Cet environnement n’est pas fantasmagorique, mais plutôt minimaliste, l’idée était de créer un environnement visuel qui serait une sorte d’écran de l’imaginaire du lecteur. De sorte que ce dernier ne sait pas si c’est lui qui génère ces images mentales ou si ces images préexistent. Le poème entendu par l’utilisateur, en anglais ou en français, est comme une voix à l’intérieur de sa tête, avec une image dans laquelle l’utilisateur est plongé.
De quoi parle ce poème, Living Pages ?
Ce poème traite justement de l’expérience et des liens entre le numérique et l’analogique, entre le réel et le virtuel. Il y a une sorte de rétention de la part du milieu de l’édition par rapport au mélange entre ce qui serait tangible et donc réel et tout ce qui serait au contraire de l’ordre du numérique et du virtuel. Je me place en porte-à-faux par rapport à cela et je ne suis pas le seul. Le numérique n’est plus seulement de l’ordre du virtuel : il y a aussi des espaces et des prothèses numériques. Si on veut proposer une vision juste de notre réalité, il faut embrasser ces nouvelles technologiques et ces réalités virtuelles, qui font désormais partie de notre quotidien. Le contenu de ce poème, c’est cela.
Living Pages a pour but d’aborder cette question du réel et du virtuel pour qu’à la fin de cette expérience, le lecteur puisse lui-même être en mouvement dans sa réflexion. J’aimerais décloisonner et montrer ce que peut être la poésie aujourd’hui. L’objectif est, d’un côté, de montrer à ceux qui sont déjà intéressés par les nouvelles technologies ce que peut être la poésie de nos jours et, de l’autre côté, montrer à ceux qui sont intéressés plutôt par la littérature que la poésie peut exister au-delà du livre. En général, un poème est relativement court, mais ici je voulais quelque chose de l’ordre d’un chant, afin que l’expérience puisse durer onze minutes. Le poème n’est pas là tout le temps durant l’expérience, mais il se déploie tout de même.
Je tente de comprendre comment une innovation fonctionne afin de voir si je peux l’intégrer à ma palette et ça a été le cas avec la réalité virtuelle. Au début, je n’avais pas l’idée d’un poème, juste de l’intérêt. Ce poème est une réponse aux questions que je me suis posées.
Qui vous a aidé à réaliser ce projet et combien de temps cela vous a-t-il pris pour le mener à bien ?
Nous avons pris deux ans et demi pour mener ce projet à bien, parmi d’autres projets. Des structures nous ont aidés financièrement, notamment le PILEn et la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi la Commission des arts numériques. Le projet est coproduit par la boîte de production irlandaise de Paula Kehoe, qui a aussi reçu des financements en Irlande. Nous sommes cinq ou six à avoir travaillé sur cette expérience (outre Paula Kehoe, Jamil Mehdaoui, Mathilde Lacroix, Rémi Gérard et Pablo Schwilden Dia), car cela demande beaucoup de compétences techniques.
Je voulais qu’il y ait un objet parce que ça prolonge aussi cette idée que nous sommes à la fois numériques et analogiques, donc nous avons mis en place un livre-objet pour que le projet soit lui-même analogique. Les éditions L’Arbre de Diane ont assumé la création de cet objet il y a quelques mois. Ce livre reprend le texte écrit et il est accompagné de lunettes de réalité virtuelle qui vont permettre à toute personne possédant un smartphone de tester cette expérience. Cette dernière sera forcément réduite par rapport à celle permise par l’installation, mais disons qu’avec le livre-objet, l’expérience sera ouverte à toute personne se rendant en librairie.
L’installation, quant à elle, sera de meilleure qualité et permettra de montrer le poème dans des espaces muséaux. Nous pourrons donc disséminer ce poème dans des espaces qui ne lui sont a priori pas consacrés. Notre installation sera présente dans cinq lieux d’exposition, de novembre à mai.
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour ce projet ?
Mes inspirations théoriques sont mes différentes lectures, dont le livre What Algorithms Want, Imagination in the Age of Computing, de Ed Finn. Pour l’aspect du projet, je me suis inspiré de l’esthétique zen et notamment du design japonais, avec par exemple le travail de l’entreprise Nendo.
D’autres expériences de réalité virtuelle semblables existent déjà, notamment celle de Laurie Anderson, Chalkroom, semblable à la nôtre, mais à mon avis, pas suffisamment aboutie. Cette réalisation est finalement très différente de ce nous avons décidé de faire, mais à l’époque nous travaillions déjà sur Living Pages et nous nous sommes posé beaucoup de questions.
Pour finir, selon vous, quelle plus-value les nouvelles technologies apportent-elles à la littérature ?
Les nouvelles technologies représentent pour la littérature à la fois aucune plus-value et des milliards. En tant que telles, elles n’apportent rien, ce sont des outils. Par contre, il est de mon devoir en tant qu’écrivain de les interroger, car nous baignons dans ces nouvelles technologies, elles conditionnent notre rapport au monde. La littérature n’est pas non plus quelque chose qui surplombe le monde, mais qui s’y inscrit, et je pense que l’on ne peut plus écrire de la même manière qu’il y a cinquante ans.
Puisque les nouvelles technologies modifient notre rapport au réel en profondeur, nous nous devons selon mon point de vue de les utiliser pour continuer à rendre la littérature vivante.
Cliquez ici pour visionner le trailer de l’œuvre.
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— Cynthia Prévot