Ce qui donne envie de lire

Elena Ferrante et Harper Lee: on les lit, on va les lire, aussi parce qu’un mystère entoure ces auteurs. À travers leur éditeur, elles donnent à voir leur œuvre sans se montrer, elles.

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueurTo Kill a Mockingbird. Le titre est familier à des millions de lecteurs. À vous aussi, peut-être. Une auteur américaine, Harper Lee, le publie à 34 ans, en 1960. En 1961, elle gagne le Prix Pulitzer. À partir de 1964, elle refuse les interviews. Jusqu’à aujourd’hui, elle se tient à une vie protégée de toute publicité. Elle est aujourd’hui âgée de 88 ans et apparemment en petite forme suite à une attaque. Pendant toutes ces années, son unique roman s’est vendu à (au moins) 40 millions d’exemplaires. Sa sœur aînée Alice est juriste comme leur père et comme un des personnages de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. C’est elle qui se plonge dans les questions juridiques pour Harper Lee et son Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. En novembre 2014, à 103 ans, Alice Lee décède. En février 2015, coup de théâtre : Harper Lee a un deuxième roman dans la manche, publiable mais depuis longtemps oublié. Son avocate, Tonja Carter, en triant des documents, a en effet exhumé un tas de feuilles aux côtés du manuscrit de To kill a Mockingbird. En les feuilletant, elle y trouve des scènes qui rappellent ce dernier roman. Mais le rappellent, seulement : le tas de feuilles est en fait le premier roman de Harper Lee, Go set a watchman*. Scout, la narratrice de 12 ans dans To Kill a Mockingbird y est une femme adulte, de retour dans sa ville natale une vingtaine d’années plus tard, dans les années 1950. Ce premier roman écrit, Harper Lee avait contacté un éditeur. Il avait été séduit par les scènes de retour en enfance. Il avait alors suggéré à la jeune Harper Lee de retourner à sa table de travail et d’y écrire plutôt l’histoire de la jeunesse de son héroïne. Harper Lee avait « fait ce qu’on lui avait dit ». To Kill a Mockingbird est devenu un best-seller, vendu à entre 700 000 et 800 000 exemplaires chaque année selon Harper Collins, son éditeur américain. Go set a watchman en revanche était tombé dans l’oubli. Harper Lee l’avait cru perdu, dit-elle, jusqu’à ce jour tout récent, où le manuscrit a resurgi entre les mains de son avocate.  Si ce roman perdu et retrouvé vous intrigue, prenez patience: il sortira en juillet 2015. Serez-vous déçu par sa lecture ? C’est le risque que comporte une attente aussi savamment entretenue. C’est aussi le risque d’un premier roman qui a échappé au processus éditorial… et ce, même s’il est écrit par une auteur de génie.

Si je suis déçue par Go set a watchman, je me consolerai avec cette histoire d’éditeurs qui se lit entre les lignes : celle de l’éditeur de la fin des années 50, qui a amené Harper Lee à se remettre au travail et à créer le roman qui lui vaudrait le Prix Pulitzer. Et celle de l’éditeur d’aujourd’hui (Harper Collins aux États-Unis) avec lequel une auteur se retrouve sur le devant de la scène malgré des décennies de silence et son livre, déjà, au sommet des ventes Amazon.

« Quand on lit Elena Ferrante, on est à Naples. On en sent la lumière, les mouvements, les odeurs et on en connaît les habitants : on en parlé, d’ailleurs, avec Elena ». Avec ces mots, d’autres lecteurs m’ont donné envie de découvrir l’œuvre d’Elena Ferrante, oui. Mais ce qui m’y a vraiment décidée, c’est Elena Ferrante elle-même : qui se cache derrière cette signature ? Où habite-t-elle ? Quel est son métier ? Est-ce une femme, ou un homme qui publie sous un nom de femme ? Ces mystères ont beau piquer la curiosité des lecteurs, Elena Ferrante compartimente soigneusement sa vie privée et son œuvre. Celle-ci traite, dit-elle, de blessures qui ne sont pas tout à fait guéries. On en est réduit à lire l’auteur entre ses lignes et à y retrouver cette question des limites : dans L’amie prodigieuse, l’héroïne tangue entre la vie de son quartier et celle de ses écoles. Son amie prodigieuse a des phases vertigineuses de ce qu’elle appelle la « délimitation ».
L’éditrice italienne d’Elena Ferrante joue le jeu : elle sert d’intermédiaire pour de très rares interviews écrites consenties à des journalistes, accompagne peut-être, sans doute, le travail d’écriture et, last but not least, tient sa langue. Tout compte fait, Sandra Ozzola Ferri s’y retrouve sans doute : je ne dois pas être la seule à avoir dévoré Elena Ferrante, d’abord intriguée par son mystère, conquise ensuite par son style!
Si vous voulez lire un questions-réponses d’Elena Ferrante, à travers son éditeur, pour le New York Times, c’est par ici.
Jonathan Burnham, de Harper Collins, discute avec The Atlantic du second livre de Harper Lee, ici.

* Traduction libre : va, place un veilleur – une phrase qui pourrait être tirée de la Bible.
Source photo: mhpbooks.com

— Sibylle Greindl

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