La Corée du Sud, un laboratoire

La fortune des livres et de leurs auteurs dans un pays ultra-connecté et à la culture bien de chez elle.

La Corée du Sud bat des records : c’est le pays où, en une génération et demie, l’espérance de vie a augmenté de 20 ans. C’est aussi ce pays qui a connu un essor économique formidable dès la fin des années 1960, sous l’impulsion du Président Park qui a soutenu une industrialisation massive. Celle-ci a donné naissance à des produits exportés et réputés mondialement – qui n’a jamais entendu parler de Hyundai ? Ou de Samsung ? Justement, en parlant de Samsung : en 2013, la Corée du Sud comptait 33 millions de tablettes et smartphones pour ses 48 millions d’habitants. Chaque personne en âge de posséder un de ces petits engins en aurait un dans la poche, un exploit de plus à l’actif de la Corée. Les spécialistes y voient le laboratoire, le lieu d’observation privilégié d’une population tout entière connectée.

Un dernier record pour la route, bien connu du grand public : le tube Gangnam Style est devenu la vidéo la plus visionnée de l’histoire de Youtube. Bref, l’électronique coréen, ses rythmes et son style construisent la réputation de la Corée du Sud autour du monde. Ses textes en version originale voyagent moins bien : le coréen est une langue difficile et peu d’étrangers en atteignent la maîtrise. Le paysage éditorial reste donc insulaire et vise une population ultra-connectée… Que se passe-t-il dans une telle configuration, côté papier, côté écran?

En 1994, rapporte Dennis Abrams de Publishing Perspectives, la Corée du Sud comptait 5683 libraires. Un peu plus de 20 ans plus tard, il en reste un maigre … 1625! Le marché du livre papier a clairement connu des jours meilleurs. Une lueur d’espoir tout de même : des maisons d’édition indépendantes, plus petites et originales que les géants traditionnellement en place, viennent dynamiser ce secteur. Dans les 15 dernières années, le nombre de maisons d’édition est passé de 16 000 à 42 000! L’une ou l’autre des librairies survivantes misent d’ailleurs sur la vente de ces ouvrages édités indépendamment. Et pas que des librairies survivantes, des visages frais également : Your Mind a lancé ses ventes sur un site web avant de devenir une librairie en dur, spécialisée dans les ouvrages de maisons d’éditions indépendantes…

Certains auteurs coréens connaissent une belle envolée ces derniers temps : ceux qui rédigent des romans web, que l’on retrouve sur les services initiés par des portails tels Naver, Daum Kakao, Jorara, Bookpal ou Munpia. Sur Naver, les oeuvres sont publiées en feuilleton et leurs brefs épisodes sortent à un jour précis chaque semaine. Ces romans web se prêtent bien à une lecture intermittente sur les petits écrans des mobiles. Il y en a pour tous les goûts : des arts martiaux au fantastique, en passant par les thrillers et les histoires à l’eau de rose. Le public est donc de tous les âges. Résultat, sur Naver, une oeuvre est consultée en moyenne 29 millions de fois… Une partie seulement des œuvres pouvant être lue gratuitement, les Coréens acceptent de payer pour étancher leur curiosité : les ventes de Naver ont augmenté de 327% en 2014, par rapport à leur première année d’activités, en 2013. Les auteurs s’y retrouvent : Courrier international rapporte que certains d’entre eux gagnent entre 80 000 et 225 000 euros, soit autant qu’un employé de grande entreprise. D’autres voient même leurs œuvres portées à l’écran, voire faire l’objet d’un remake à Hollywood. Les éditeurs voient là une bonne occasion de débusquer des jeunes talents, et les amateurs une occasion de se faire publier. Naver a d’ailleurs une rubrique « Challenge League » réservée aux débutants. Quelques-uns d’entre eux rejoindront peut-être les 67 000 auteurs qui sont publiés sur Naver et y arrondissent, parfois joliment, leurs fins de mois…

La Corée du Sud est un laboratoire à plusieurs titres : c’est le laboratoire d’une population ultra-connectée. C’est aussi un excellent poste d’observation de ce qu’une population ultra-connectée à la culture et à la langue insulaires attend de ses éditeurs et de ses auteurs, tant en numérique qu’au format papier.

Source photo : youtube.com

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— Sibylle Greindl

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