Le livre numérique en Espagne : après la crise, un marché en transition

L’engouement pour le livre numérique varie grandement d’un pays à l’autre. Si, du côté américain, il a très rapidement été adopté, on ne peut en dire autant pour tous les pays européens. Exception faite du Royaume-Uni et de l’Allemagne, l’ebook a en effet connu un essor plus contrasté sur le Vieux Continent. Cette semaine, direction l’Espagne, où l’ebook, s’il est présenté à certaines occasions comme un sauveur pour l’édition espagnole, doit faire face à de nombreux obstacles pour s’imposer.

Un climat économique pour le moins défavorable

Il est impossible de résumer la situation du livre numérique en Espagne sans évoquer la crise économique sans précédent que le pays a traversée et qui a affecté tous ses secteurs d’activité. Très durement touchée, au même titre que la Grèce, le Portugal et l’Irlande, la péninsule ibérique commence tout doucement à sortir la tête de l’eau, et la route s’annonce encore longue.

Un bourbier économique qui s’est bien évidemment ressenti dans le monde de l’édition : en 2014, les ventes de livres papier accusaient un recul situé entre 10 et 15 % par rapport à 2013. Selon le Global Ebook Report effectué par Gfk au printemps 2014, l’impact de la crise économique sur les ventes totales depuis 2008 se chiffrait ainsi à 700 millions d’euros environ. Dans le rapport de 2015, il est indiqué que le marché du livre papier a ainsi chuté de 40 % en 4 ans, et de 12 % rien qu’en 2014.

Le plus fort de la crise semble toutefois être passé. Ainsi, selon la Federación de Gremios de Editores de España, le marché devrait se stabiliser en 2015. Le chiffre d’affaires pour l’année 2014 est en effet estimé à 2,195 milliards d’euros, soit une progression de 0,6 % par rapport à 2013. Malgré ce climat plus que défavorable, l’ebook a quant à lui réussi à suivre une belle évolution. En effet, le marché du livre numérique représente aujourd’hui 5,1 % du chiffre d’affaires total, affichant ainsi une progression de 37 % par rapport à l’année précédente. La crise semblerait donc avoir poussé les lecteurs vers le numérique et ses prix plus compétitifs.

Tour d’horizon des acteurs digitaux en Espagne

De manière générale, on constate en Europe une situation oligopolistique pour le marché du livre numérique, avec quelques grands acteurs phares venus de l’autre continent tels qu’Amazon, Apple et Google. Si l’Espagne n’échappe pas à la règle, elle peut toutefois se targuer de posséder quelques acteurs nationaux non négligeables dans le domaine du numérique. En ce qui concerne les librairies, l’on citera notamment Casa del Libro, l’une des plus grandes chaînes de librairies espagnoles, qui appartient au groupe éditorial espagnol Planeta. Avec 170 marques éditoriales à son actif, ce dernier est présent dans pas moins de 25 pays et constitue une pointure tant à l’échelle espagnole qu’à l’échelle internationale. On retrouve également El Corte Inglés. À elles deux, ces plateformes nationales représentent entre 12 et 16 % des parts de marché. Une moyenne honorable, mais qui reste tout de même assez faible face à Amazon, qui se situe entre 35 et 40 %, et Apple, entre 25 et 30.

Au niveau des offres de lecture en streaming, si Amazon a lancé Kindle Unlimited fin 2014 sur le territoire espagnol, l’entreprise doit faire face à des concurrents nationaux tels que 24Symbols, société créée en 2011, qui propose un abonnement à 8,99 €/mois (contre 9,99 € pour Kindle Unlimited). Le succès de la startup madrilène s’est rapidement confirmé et celle-ci est maintenant également présente en Allemagne. Citons également Nubico, autre plateforme concurrente lancée en 2013 par l’opérateur Telefonica, le groupe éditorial Planeta et enfin le groupe allemand Bertelsmann, dont la plateforme Tolino (créée en partenariat avec quatre autres acteurs allemands) donne déjà du fil à retordre à Amazon sur le marché européen (pour en savoir plus, rendez-vous ici).

Un chemin semé d’embûches

Si le livre numérique a donc opéré une belle progression depuis ses débuts espagnols, il n’en reste pas moins freiné dans son élan par plusieurs obstacles. Parmi ceux-ci, citons tout d’abord la TVA de 21 % à laquelle il reste soumis (contre 4 % pour le livre papier). Difficile dès lors de proposer des prix attractifs. Or, comme l’expliquait récemment José Creuheras, nouveau président du groupe éditorial Planeta et d’Atresmedia, les internautes restent réticents à payer pour du contenu trouvé sur la Toile : « Aujourd’hui, il semble que tout sur internet doive être gratuit. Avant, on envisageait la valeur d’un livre physique. Désormais, il est bien plus difficile de la percevoir, dans l’économie numérique. Cela demande beaucoup de comprendre que le contenu a une valeur économique. »

En conséquence directe de cette mentalité, on retrouve le problème du piratage, qui fait rage en Espagne et qui, selon certains éditeurs espagnols, aurait ralenti la progression du livre numérique depuis début 2015. Selon une étude réalisée par l’Observatorio de Piratería y Hábitos de Consumo de Contenidos Digitales en 2014, de nombreuses raisons expliquent la motivation des lecteurs à télécharger illégament. En tête, on retrouve sans grand étonnement la réticence à payer pour un contenu si on peut le trouver gratuitement. Le gouvernement espagnol ne reste toutefois pas indifférent au problème et tente de mettre en place des solutions depuis plusieurs années, notamment une nouvelle loi sur le copyright ou la demande de retrait de contenus aux sites concernés, mais le succès reste encore mitigé.

Et le rôle de l’Amérique latine, dans tout ça ?

Si l’Espagne vit des moments difficiles, n’oublions toutefois pas que l’espagnol représente l’une des langues les plus parlées au monde et que l’ebook transcende les barrières géographiques. Ainsi, grâce à l’Amérique latine et à la communauté hispanophone présente aux États-Unis, les éditeurs espagnols ont pu trouver un autre public pour leurs ebooks. Toujours selon le Global Ebook Report paru en mars 2015, certains éditeurs espagnols affirment avoir réalisé un quart de leurs ventes par ce biais. Petit bémol toutefois : si la langue est, essentiellement, la même, les attentes des lecteurs ne le sont peut-être pas, et ce qui marche en Espagne ne fonctionne pas nécessairement de l’autre côté de l’Atlantique.

Si l’avenir du marché espagnol reste encore difficile à prédire, une chose est sûre : il s’agit d’un marché complexe, qui connaîtra encore de nombreuses évolutions et qui mérite une attention particulière.

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— Mélissa Haquenne

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Mélissa Haquenne

Digital Publishing Professional