Cairn : un portail de référence en sciences humaines et sociales

Aujourd’hui considéré comme une référence, le portail Cairn.info, fondé en 2005 sous l’impulsion de quatre maisons d’édition (De Boeck, Belin, La Découverte et Erès) et de partenaires institutionnels (notamment l’Université de Liège via Gesval), entend proposer aux différents publics intéressés par les sciences humaines et sociales un catalogue de revues et d’ouvrages le plus large qui soit, tout en aidant les structures éditoriales du secteur à réussir leur transition numérique. Mais quels sont aujourd’hui les plus gros défis rencontrés par ce portail ?

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Les origines du projet

Début des années 2000, les Éditions De Boeck, spécialisées dans les contenus éducatifs et professionnels, sont convaincues que le numérique va avoir un impact important sur leurs publications. Christian De Boeck et Georges Hoyos, alors co-patrons de la maison d’édition, font la rencontre de Marc Minon, chercheur au laboratoire Lentic de l’Université de Liège, dont le travail vise à étudier l’impact du numérique sur les industries culturelles. Ce dernier, convaincu que le papier ne suffira plus dans quelques années à répondre aux attentes des universitaires, leur propose de créer un portail en ligne de revues destiné à améliorer la visibilité et la diffusion des publications scientifiques, et ce en veillant aux trois aspects suivants.

  1. Mutualiser les efforts : plutôt que de créer un site spécifique aux Éditions De Boeck, pourquoi ne pas créer un site ouvert aux autres éditeurs ?
  2. Le numérique ne peut pas être tout payant: il est crucial de trouver un équilibre entre contenus gratuits et contenus payants. Il propose ainsi de diffuser en accès gratuit non seulement les métadonnées mais aussi les archives des revues, selon le principe dit de la « barrière mobile » (chaque éditeur choisit après combien de temps les numéros de ses revues peuvent basculer en accès gratuit) ;
  3. Un modèle B2B2C : concrètement, Cairn vend des licences aux bibliothèques, qui, de leur côté, mettent le portail gratuitement à disposition de leurs usagers.

Convaincues, les Éditions De Boeck acceptent le projet et chargent Marc Minon, aujourd’hui directeur de Cairn, de trouver d’autres partenaires pour lancer le portail. C’est ainsi que Belin, La Découverte et Erès acceptent de se lancer dans l’aventure. Le projet sera ensuite rejoint par la Bibliothèque nationale de France (BNF) en 2006, puis par les Presses universitaires de France (PUF) en 2014. Il est, par ailleurs, soutenu par des investisseurs institutionnels liégeois : Meusinvest et Gesval.

Toutes les publications se trouvant sur le portail Cairn sont consultables en ligne en HTML ou téléchargeables au format PDF. La réelle plus-value de la consultation en ligne pour le lecteur ? Pouvoir basculer facilement d’un texte à l’autre : « nous voulons permettre au lecteur de pouvoir basculer d’une publication à une autre sans aucune contrainte et d’y avoir accès partout, tout le temps. Grâce au HTML, il est possible de cliquer directement sur des notes de bas de page, des citations, des pages auteurs, des liens « sur un sujet proche », et de découvrir des parties de catalogue insoupçonnées. C’est pour faciliter ce type de découverte – la sérendipité – que nous n’avons pas opté pour un système limitatif de jetons dans nos offres aux bibliothèques », nous explique Marc Minon.

Niveau format, Cairn a adopté un schéma XML très complet et commun à l’ensemble des publications qu’il diffuse en ligne. Les éditeurs peuvent donc fournir leurs publications sous n’importe quel format, Cairn se charge ensuite de produire le fichier XML en question, permettant notamment de générer le format HTML proposé aux internautes.

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Un catalogue francophone pour un marché international

Aujourd’hui, le portail a évolué :

  • le site, centré à l’origine sur la diffusion des revues, s’est d’abord ouvert à d’autres types de publications de sciences humaines et sociales. Aujourd’hui, il propose ainsi des magazines (Alternatives économiques, Sciences humaines, L’Histoire, Le Magazine littéraire) et environ 8 000 ouvrages, en texte intégral ;
  • Cairn a aussi accentué sa présence dans les bassins linguistiques non francophones. Centré au départ sur des partenariats avec des bibliothèques et institutions belges, françaises et suisses, Cairn est maintenant accessible dans plus de 60 pays : dans les grandes bibliothèques de recherche anglo-saxonnes – Harvard, Yale, Stanford, Oxford, Cambridge, etc. – mais aussi en Afrique et en Asie (pour plus d’informations, n’hésitez pas à consulter la mappemonde de Cairn disponible ici) ;
  • enfin, on assiste à une certaine évolution des modes de commercialisation des contenus diffusés sur Cairn.info : à la vente – aux institutions – de licences d’accès à des bouquets de publications, s’ajoute désormais la vente – aux particuliers – de droits d’accès aux chapitres des ouvrages diffusés sur le portail,  ce qui n’est pas sans rappeler l’initiative du site Artelittera, que nous vous présentions dans cet article.

Des défis de taille

Si Cairn continue de croître, les défis que le portail rencontre sont malgré tout de taille, comme nous l’explique Marc Minon.

  1. Le budget des institutions publiques: « 9/10e de nos institutions clientes sont publiques et par là même soumises à de fortes contraintes budgétaires. Pour une bibliothèque universitaire par exemple, si son budget baisse, ce sont généralement les publications de sciences humaines et sociales qui en pâtissent, les bibliothèques ne pouvant se passer des offres de sciences dures ou de médecine des grands acteurs d’envergure mondiale » ;
  2. La globalisation : « le monde de la recherche s’anglicise toujours plus ; la diffusion des publications scientifiques en français devient donc chaque jour plus difficile » ;
  3. L’Open Access: « aujourd’hui, l’idée s’impose que la recherche produite avec de l’argent public devrait être diffusée gratuitement. Ce qui peut sembler logique mais, dans ces conditions, la question est évidemment de savoir comment financer le travail éditorial et le travail de « mise en ligne » des publications scientifiques. Dans les pays anglophones, les pouvoirs publics ont dégagé des moyens spécifiques pour permettre cette transformation, en finançant « en amont » les publications scientifiques. Mais, dans les pays francophones, pour des raisons idéologiques ou budgétaires, une telle solution ne semble pas envisageable, en tout cas en sciences humaines » ;
  4. Nouveaux entrants: « il convient enfin de tenir compte de l’arrivée, dans le secteur, de nouveaux entrants comme les réseaux sociaux académiques où les chercheurs sont invités à déposer gratuitement leurs textes, ce qui est évidemment à même de fragiliser les maisons d’édition ».

Le projet se porte toutefois plutôt bien puisque Cairn, arrivé à l’équilibre, représente aujourd’hui une équipe d’environ 30 personnes, et réalise environ 7,5 millions de chiffre d’affaires par an. Son avenir dépendra donc surtout de sa capacité à s’adapter à ces évolutions.

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— Mélissa Haquenne

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Mélissa Haquenne

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