Retour sur la première édition des Assises européennes du livre (Partie 2)

La première édition des Assises européennes du livre s’est tenue le 4 mars dernier. L’événement, organisé par la Foire du livre de Bruxelles en partenariat avec Livres Hebdo, visait à discuter de l’évolution des règles du marché. Retour sur les sujets abordés lors des tables rondes de la deuxième partie de l’événement.

La première partie de l’après-midi portait principalement sur les droits des auteurs et des éditeurs, notamment sur l’importance de faire entendre sa voix dans les processus de réglementation du secteur. Un avenir légal et économique à construire et à réinventer par de manière collaborative ! Voyons à présent les sujets abordés durant la deuxième partie de l’après-midi.

Dans un écosystème en pleine mutation, quelle est la place de l’auteur ?

La première table ronde de la deuxième partie de l’événement rassemblait Benoît Peeters, auteur, scénariste et critique littéraire, et Bertrand Puard, auteur.

Les droits d’auteurs constituent pour ceux-ci une notion parfois difficile à saisir. Et pour cause, ils ont longtemps été exclus des débats sur la question. Aujourd’hui, la précarisation de leurs conditions les a poussés à réagir et à se faire entendre. On a vu ainsi naître des mouvements d’auteurs (qui relèvent du bénévolat, du militantisme). Mais la représentation des auteurs ne doit pas uniquement leur revenir, selon Benoît Peeters. Il estime qu’il en va de la responsabilité collective.

Certains sont tentés par l’autoédition. Benoît Peeters explique que l’autoédition vient en réaction aux problèmes causés par un système malade qui crée cette tentation. Mais attention, elle y offre une fausse réponse ! La solution, ce serait véritablement l’invention de partenariats.

Il y a par exemple un travail collectif énorme à faire sur la manière de communiquer le livre. Communiquer le livre, Bertrand Puard le fait en assurant un « service après-écriture ». Il entend par là des interventions scolaires. Puard est l’auteur d’un projet d’écriture collaborative d’un livre, Ctrl alt suppr, dont il a prépublié une partie en ligne (notamment sur Instagram) pour toucher des jeunes lecteurs qui ne consomment pas de livres papier. Sa stratégie de communication autour du livre tourne donc autour de l’objectif de fédérer une communauté de lecteurs. Et Benoît Peeters précise que la communication autour du livre est une affaire dont devrait s’occuper notamment le ministère de l’Éducation.

Les librairies à l’épreuve de la montée en puissance des GAFA

La seconde table ronde rassemblait Fabian Paagman, fondateur de Paagman Boekhandels et co-président de la Fédération européenne et internationale des libraires, Delphine Bouétard et Anne Laure Vial, co-fondatrices de la librairie parisienne ICI, et Philippe Goffe, fondateur de Graffiti et administrateur de l’Association internationale des libraires francophones.

  • Le digital comme une opportunité

Fabian Paagman voit le développement technologique comme une belle opportunité plutôt que comme une menace. Il faut y participer. Il faut veiller à protéger un terrain de jeu juste et équilibré. La menace Amazon n’est pas liée à un problème d’évolution technique, mais bien à un problème de réglementation et de lois. Donc, ce que nous devons faire, c’est lutter en faveur de ces réglementations.

Delphine Bouétard et Anne-Laure Vial perçoivent elles aussi le digital comme une opportunité ; il ne faut pas rester étrangers à l’innovation. Celle-ci permet de créer des relations avec les lecteurs, ce qui s’avère très important.

Anne-Laure Vial et Delphine Bouétard ont créé une librairie à Paris, ICI. Pourquoi ouvrir une librairie dans un contexte de développement de commandes en ligne ? Elles répondent : parce qu’on a besoin de lieux physiques et agréables. Il faut agir localement. Les clients ont un besoin d’immédiateté auquel la technologie (celle proposée par les GAFA) n’est pas la seule réponse. Une offre large peut y apporter une réponse. La solution qu’elles ont trouvée avec leur librairie est de s’associer avec d’autres libraires et de mettre leurs stocks en commun. Donc, sur Internet, la recherche peut se faire en un endroit et mener vers telle ou telle librairie. En magasin, on peut renvoyer vers des confrères.

ICI est aussi un lieu de débats et d’animations (jusqu’au karaoké avec une auteure). Elles ont fait appel à de jeunes architectes pour créer un agencement de la librairie avec un mobilier modulable : les roulettes des rayons leur permettent de les inverser les uns avec les autres. Tout cela pour dédramatiser l’accès au livre.

À elle seule, la librairie montre que pour tenir tête aux géants du Web, il faut se servir du digital, établir toujours plus de partenariats, provoquer la rencontre et favoriser les liens avec les lecteurs et faire preuve d’énormément de créativité.

  • Création de mouvements

La force d’Amazon réside dans ses contingences logistiques. Amazon possède une base de données gratuite d’accès, un stock redoutable et des avantages sur les procédures d’acheminement (à l’heure où l’enjeu de la fluidité est important pour les libraires). Les prix de l’immobilier fragilisent les librairies contrairement aux plateformes de vente en ligne.

Philippe Goffe pense que la montée en puissance des GAFA peut provoquer des mouvements nécessaires auprès des libraires, comme ça a été le cas avec l’arrivée de la Fnac en France dans les années 70 : le marché du livre a réagi en instaurant le prix unique, cela a permis d’établir des négociations entre les pouvoirs publics, les éditeurs et les libraires. Cela a également permis de créer une alliance économique entre ces différents acteurs. Cette époque correspond à la création de l’ADEB. Ce compromis à l’époque doit être un exemple aujourd’hui où l’on doit penser à un nouveau compromis face à Amazon.

En somme, pour renforcer le secteur, il faut commencer par le réformer et le rendre plus juste pour les auteurs. Le rôle des éditeurs doit être un rôle de protection des droits. Aussi, face aux menaces des géants du Web, la création de toujours plus de partenariats et de décloisonnement des domaines s’annonce primordiale. Les librairies ont tout intérêt à faire preuve de créativité si elles veulent survivre et favoriser les liens avec les lecteurs.

Tout le secteur est sous l’enjeu de la responsabilité collective. Le digital doit se saisir comme une opportunité, d’autant plus qu’il sera chaque jour plus présent. Rappelons que les chiffres présentés par André Breedt, directeur du service clientèle de Nielson Book Research International, montrent que les ventes de livres audio sont en pleine expansion en Grande-Bretagne…

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— Livia Orban

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