Retour sur la première édition des Assises européennes du livre (Partie 1)

La première édition des Assises européennes du livre s’est tenue le 4 mars dernier. L’événement, organisé par la Foire du livre de Bruxelles en partenariat avec Livres Hebdo, devait avoir lieu l’année dernière, mais une période de grève en a décidé autrement. Cette année donc, la rencontre professionnelle visait à discuter de l’évolution des règles du marché.

Au programme, des interventions et tables de discussion auxquelles différents acteurs européens du livre (éditeurs, auteurs, libraires, etc.) ont participé. Cette première édition, animée par Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres Hebdo, s’est déroulée devant et avec un public très ouest-européen. On espère que la liste des pays d’origine des intervenants et de l’assistance s’allongera au fil des années !

Une organisation du marché digital

  • Concernant les droits des auteurs…

Rudy Vanschoonbeek, président de la Fédération des Éditeurs Européens (FEP), était présent. Il a souligné le rôle de la FEP de s’assurer de la mise en vigueur des meilleures règles possible pour garantir l’accès aux publications partout dans le monde. Une mesure bénéfique prise en Belgique a par exemple été la baisse du pourcentage de taxation des livres numériques de 21 à 6 %, comme dans plusieurs pays de l’Union européenne.

Lors de son intervention, Rudy Vanschoonbeek s’est penché sur les droits d’auteurs, avec une mise en garde : « modernisation » des droits d’auteurs ne rime pas avec gain d’argent ! La preuve nous est donnée par le Canada qui, en s’y adonnant, a fragilisé le secteur.

Le président de la FEP préconise une organisation du marché digital face aux plateformes de téléchargement telles qu’Amazon ou Google. Elles stockent et garantissent l’accès à un large choix de titres, faisant ainsi du profit… sans créer de contenu. Pour contrebalancer cette situation inéquitable, pour redonner du pouvoir aux créateurs et valoriser leurs idées originales, il faut réglementer l’utilisation d’Internet. À l’heure qu’il est, les compagnies digitales y font les règles comme elles l’entendent. À l’aide de réformes, nous pouvons contrer cela.

  • … et ceux des éditeurs

Ces plateformes se sont d’ailleurs opposées à la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins adoptée en avril 2019. D’ici juin 2021, les États membres de l’UE doivent transposer cette directive en droit national. De véritables bouleversements juridiques s’annoncent donc.

Emmanuel Pierrat, avocat spécialiste du monde du livre, estime que les éditeurs doivent y prendre part et faire du lobbying auprès des décisionnaires pour faire passer leurs droits : « La grande directive européenne est une opportunité à saisir par les gens du livre pour que [les droits voisins des éditeurs de presse] soient applicables en ligne. Les GAFA ont décidé de ne pas appliquer les législations européennes. Google a annoncé récemment qu’elle allait négocier avec les éditeurs de presse. Ceux-ci ont configuré un carrefour que les éditeurs de livres ne doivent pas manquer. »

L’avocat dénonce également l’approche « populiste » de la rémunération des droits des auteurs. Selon lui, la clause de retrait (qui permet à l’auteur de reprendre ses droits si l’éditeur ne les exploite pas assez) et la transparence des comptes vis-à-vis des auteurs équivalent à des « sirènes démagogiques ». Elles ne correspondent pas aux réalités de l’édition. Il appelle ainsi à un travail de démagogie auprès des parlementaires autour de ce qu’est l’économie du livre.

Les discussions parlementaires vont en effet décider du sort du monde du livre. Plein de chantiers sont ouverts. Par exemple, la plupart des pays européens se sont pliés à l’harmonisation fiscale des livres papier et électroniques. Or il faut en outre harmoniser les taux de TVA entre les pays de l’UE. Aussi, Emmanuel Pierrat recommande de rester attentif aux décisions telles que celle concernant la revente de livres numériques.

Le message d’Emmanuel Pierrat s’avère en somme clair et sans détour : les éditeurs ont un rôle à jouer dans les décisions à venir concernant le monde du livre et il est primordial qu’ils le fassent !

Faut-il réinventer les modèles économiques de l’édition ?

Kate Wilson (Nosy Crow), Claude Saint-Vincent (Média Participations) et Jean Spiri (Editis) se sont réunis autour de la question pour partager leurs avis en tant qu’éditeurs. Pour contrer la fragilité des modèles économiques de l’édition, la collaboration entre les domaines apparaît comme une solution. Le digital constitue une aubaine car il facilite l’internationalisation et la traduction des titres. Les intervenants estiment effectivement nécessaire d’entrer dans une logique de décloisonnement des langues et des supports.

Concernant les supports, l’on pourrait par exemple conseiller un univers musical particulier pour un univers de lecture. Un changement de paradigme par le biais duquel on se dirigerait vers une économie de l’attention et une généralisation de l’impression à la commande et à la demande.

L’internationalisation et la traduction des titres est d’ailleurs au centre du Prix EUPL, prix littéraire européen qui vise à promouvoir la traduction et la circulation de la littérature en Europe, présenté par Rudy Vanschoonbeek et Fabian Paagman, co-président de la Fédération Européenne et Internationale des Libraires.

En clair, l’avenir légal et économique du monde de l’édition est à construire et à réinventer par ses acteurs de manière active, collaborative… et créative.

Retrouvez la deuxième partie de ce compte-rendu la semaine prochaine.

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— Livia Orban

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