Quel avenir pour les ouvrages de référence à l’ère du numérique ?

Charles Bimbenet, directeur général des Éditions Le Robert formule un constat clair : le marché de l’imprimé perd en importance, à raison d’une « baisse de 5 à 10 % chaque année ». Dès lors, une mort des versions papier des ouvrages de référence est-elle à prévoir ? Quels sont les enjeux d’un tel changement des usages des lecteurs ? Jetons un coup d’œil sur ce phénomène et ses implications.

Aujourd’hui, la grande majorité des ouvrages de référence proposent à leurs utilisateurs une version numérique. La plupart du temps, celle-ci est disponible gratuitement en ligne et même téléchargeable sur smartphone. Ainsi, de nombreux types d’ouvrage de référence sont disponibles en version numérique.

  • Larousse offre gratuitement ses définitions encyclopédiques aux internautes.
  • Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicographiques (CNRTL) propose une base de données lexicographique, synonymique, étymologique complète, accessible gratuitement.
  • De nombreux dictionnaires bilingues gratuits se trouvent sur la Toile, et offrent l’avantage de présenter, pour chaque terme, une multitude d’occurrences issues de textes variés.
  • Certains logiciels (la plupart du temps payants, comme Antidote) permettent une correction complète et fouillée d’un texte, et évitent ainsi d’avoir recours au Bescherelle ou au Bon Usage.
  • Même les encyclopédies s’y sont mises : depuis 2012, l’Encyclopedia Universalis et Britannica ne proposent que des versions numériques.

L’augmentation de l’utilisation de ces versions numérisées s’explique par les nombreux avantages de que celles-ci présentent : la rapidité et la facilité de consultation et de recherche, l’accessibilité du contenu partout et tout le temps (notamment grâce aux applications mobiles), et la gratuité. Ce dernier critère n’est cependant pas commun à toutes les ressources numériques : Le Robert, par exemple, n’est pas disponible gratuitement. Les dictionnaires numériques offrent également l’avantage de leur exhaustivité : dans leur élaboration, les lexicographes ne sont pas confrontés à un problème de place. Ainsi, ils ne sont pas contraints de supprimer d’anciens mots pour en intégrer de nouveaux.

Les versions imprimées font de la résistance

La situation est à nuancer : les ventes d’ouvrages de référence imprimés diminuent, certes, mais il ne s’agit pas d’une disparition totale de leurs versions papier. Dans certains domaines, notamment celui de l’éducation, le dictionnaire papier tend à rester prévalent. Les ventes liées au milieu scolaire ne diminuent pas, elles sont même en légère croissance. Ainsi, le secteur éducatif est celui qui génère le plus grand nombre de ventes du Robert imprimé. Le Druide informatique, qui est à l’origine du logiciel de correction Antidote, illustre également cette situation nuancée ; en plus de ses logiciels et dictionnaires numériques, la société québécoise a commercialisé de 2001 à 2006 quatre dictionnaires papier, et ce afin de répondre à une demande de ses utilisateurs.

La gratuité de l’accès aux contenus culturels

La prépondérance de l’utilisation des versions numériques des ouvrages de référence met en lumière un enjeu qui touche les contenus culturels de manière globale : la gratuité. Comme l’explique Monique Cormier, lexicographe, professeure titulaire au Département de linguistique et traduction et vice-rectrice associée à la Langue française et Francophonie à l’Université de Montréal, « L’accession gratuite à des biens culturels est de plus en plus ancrée dans les pratiques de consommation ». Cette façon d’envisager l’accès à la culture caractérise également des secteurs comme ceux de la musique, de la littérature ou encore de la presse. Ainsi, il apparaît nécessaire de se questionner sur cette notion d’accès gratuit aux contenus : la gratuité doit-elle prendre le pas sur la qualité ? Pour que les ouvrages de référence puissent maintenir leur pertinence et leur qualité, il est nécessaire que leurs producteurs soient rémunérés pour leur travail. En ce sens, Marie-Éva de Villers, auteure du Multidictionnaire de la langue française, affirme qu’il est nécessaire de « repenser le modèle » pour que la valeur de ces contenus soit revue à la hausse par un plus grand nombre. Dès lors, qu’il s’agisse de leurs versions numériques ou imprimées, si les utilisateurs souhaitent continuer à avoir accès à des ouvrages de référence de qualité, peut-être doivent-ils revoir leur façon de les consommer.

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— Emilie de Sousa Oliveira

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