Rencontre avec Aurore, du blog « C’était pour lire »

C’était pour soulever l’intérêt d’un usage littéraire des réseaux sociaux et plus particulièrement d’Instagram. Nous avons rencontré la pétillante Aurore, du blog et du compte Bookstagram « C’était pour lire ». Sa page Instagram, créée en 2017, rassemble actuellement un peu plus de 6 300 abonnés autour de thèmes tels que la liberté, le féminisme, l’apprentissage, l’humour, l’indépendance et la différence.

Lettres Numériques : Qu’est-ce qui vous a incitée à créer le compte @Cétaitpourlire ?

Aurore : Je ne travaille pas dans le secteur le plus créatif du monde, puisque je suis dans la finance. J’avais vraiment un manque par rapport à des activités faisant davantage appel à mon imagination, comme la musique ou la littérature. Après quelques années dans le monde du travail, je continuais à lire beaucoup et j’étais très stimulée par ce que je lisais, j’aimais recommander des livres à mon entourage. Un jour, j’ai lu la bande dessinée Les Vieux Fournaux et je me suis dit qu’il fallait absolument que j’en parle au plus grand monde. Là, ça a été le déclic ! J’ai créé un compte Instagram alors que je ne connaissais rien à Internet et ce réseau social, c’était un monde obscur pour moi. Je me suis lancée aussi sans savoir qu’il y avait toute une communauté derrière. Le temps avançant, j’ai réussi à construire une petite communauté avec laquelle j’échange.

Pourquoi Instagram plutôt qu’un autre réseau social ?

Mon emploi actuel me demande pas mal de temps, je me concentre donc vraiment sur Instagram. Le fait que ce soit un format court me permet de gérer mon temps plus efficacement. Aussi, si je n’ai pas envie de parler d’un livre, je n’en parle pas, je partage vraiment pour me faire plaisir.

Si mon compte plaît, c’est peut-être justement parce que je présente des livres que j’ai vraiment aimés et non des lectures qui ne m’intéressent qu’à moitié. Je reste naturelle et je n’essaie pas de vendre, je cherche juste à montrer pourquoi j’ai tant apprécié ce livre en apportant mes arguments. Certains éditeurs tentent de faire de Bookstagram une fenêtre publicitaire, mais ce n’est pas pour cela que j’ai créé mon compte.

Quels contenus les lecteurs peuvent-ils s’attendre à retrouver sur votre compte ?

Je lis beaucoup de livres, mais j’essaie de viser un public plutôt francophone et féministe et d’orienter mes lectures par rapport à cela. Je fournis donc un contenu plutôt engagé. Je parle aussi beaucoup de BD qui invitent à apprendre et qui traitent une thématique spécifique. Notamment les bandes dessinées de La Petite Bédéthèque des savoirs chez Le Lombard, qui combinent un dessinateur à un spécialiste dans son domaine, par exemple un expert en intelligence artificielle.

Mes publications proposent donc des contenus soit engagés, soit éducatifs. Je pense que je suis une personne qui reste très naturelle : si je veux parler d’un sujet, j’en parle, tout simplement. Je ne me mets aucune pression et je reste tout à fait moi, cela doit sans doute se ressentir.

Quels sont vos derniers coups de cœur ? Y en a-t-il parmi les romans de la rentrée littéraire ?

Oui, lors de la rentrée, j’ai découvert Loulou Robert, l’auteur d’un bouquin nommé Je l’aime et basé sur l’histoire de ses parents. Plus particulièrement sur la dévotion que sa mère portait à son père, du dépassement dont cette femme était capable par amour. Il parvient à expliquer avec justesse la vie de cette femme de ses 30 ans à ses 60 ans, cela m’a bluffée.

Dans les nouveautés en poche, j’ai découvert Einstein, le sexe et moi, qui a remporté le Grand Prix des blogueurs littéraires en 2018. Il s’agit d’un récit biographique très drôle et plein d’humilité, dans lequel l’auteur prend un recul fabuleux par rapport à lui-même.

J’ai aussi lu récemment un roman d’Éric Metzger, La Citadelle, paru en mars 2019. Il y raconte l’histoire d’un homme qui finit sa thèse sur Sartre et passe ses vacances en Corse. Ce personnage a un coup de cœur pour une jeune fille, Andrea, qu’il voit comme sa citadelle. On suit son cheminement au fil de ses voyages successifs en Corse et sa conquête d’Andrea. C’est un roman magnifique ! Metzger est pour moi l’un des meilleurs parmi les auteurs contemporains, il a réussi à se faire sa propre plume. Ses descriptions des paysages corses sont très réalistes et elles ont en même temps énormément de style.

Vous animiez un débat lors de la dernière Foire du livre de Bruxelles afin de parler de l’impact actuel des réseaux sociaux sur le marketing du livre. Qu’en est-il ressorti ?

Oui, ce débat rassemblait deux blogueurs ainsi qu’une journaliste, une auteure et une attachée de presse. Ce qui en est ressorti, c’est que les attachés de presse des maisons d’édition considèrent aujourd’hui les blogueurs comme un pan de la presse, ils sont pris en considération dans leur budget marketing au même titre que la presse.

Du côté des blogueurs, j’ai fait remarquer que nous pouvons actuellement être invités aux remises de Prix, auxquelles assistaient seulement des journalistes auparavant. J’avais été invitée au repas de la remise du Prix Première, par exemple.

L’impact est difficile à mesurer du côté des ventes, les retombées directes sont difficiles à évaluer. Nous constatons tout de même que le livre qui a reçu le prix des blogueurs cette année, Einstein, le sexe et moi, n’est pas issu d’une grande maison d’édition et n’a presque pas reçu de publicité auparavant. Après la remise de ce prix, les médias traditionnels ont commencé à en parler, donc il y a bien un jeu d’influence entre les blogueurs et la presse.

Comment se passent vos relations et vos éventuels partenariats avec les autres acteurs du monde du livre ?

Je suis principalement en contact avec les éditeurs ou avec des attachés de presse indépendants. Certaines maisons d’édition me contactent de manière proactive pour me proposer de recevoir des ouvrages qui rentrent selon eux dans ma ligne éditoriale. J’accepte ensuite les romans qui me correspondent bien et je refuse certaines sollicitations. Je reçois aussi des bons de commande à remplir, au même titre que les journalistes, avec une liste des ouvrages disponibles.

Je ne considère pas mon activité sur Bookstagram comme un travail puisque je ne suis pas rémunérée. Je ne me sens donc pas obligée à quoi que ce soit. Tant qu’il n’y a pas de contrat, il n’y a ni droits ni obligations, donc ce que je fais n’est pas assimilable à de la publicité. Je suis tout aussi impartiale qu’un journaliste et j’ai ma propre déontologie. J’exerce cette activité librement et je ne garantis pas aux éditeurs que je vais écrire un article ou un post Instagram sur le livre qu’ils m’envoient, je pense même être plus libre dans mes choix qu’un journaliste.

Les influenceurs ont l’avantage d’avoir des rapports directs avec les auteurs, les éditeurs et les lecteurs. Je cherche avant tout le contact, les retours des abonnés, donc à chaque fois que je reçois un mail, je réponds. J’éprouve vraiment du plaisir à échanger et à voir que certains ont découvert certains livres grâce à mes conseils. Les blogueurs et les instagrammeurs peuvent attirer une part du lectorat. Cela dit, ils ne parleront pas forcément des mêmes livres que la presse.

Il y a deux ans, une journaliste du Monde avait écrit une chronique sur Bookstagram en soulignant la manière dont cette communauté se focalise sur la photogénie de l’ouvrage. Comment avez-vous réagi ?

J’avais interpellé cette journaliste pour lui demander s’il était possible d’avoir un droit de réponse. La discussion n’a malheureusement pas été ouverte. Il y a en effet des personnes qui portent une grande attention à la décoration autour de l’objet livre pour mettre le livre en avant. Le public ne va pas chercher la même chose sur Instagram que dans les médias, ils recherchent aussi la beauté derrière la lecture.

Si j’avais pu lui répondre, je lui aurais dit que c’est très bien de s’intéresser à Bookstagram, mais qu’elle a fait un procès complètement à charge de ce média, sans présenter à la fois les arguments pour et les arguments contre. Cela aurait été plus cohérent si elle avait précisé que certains comptes s’intéressent à l’esthétique, mais qu’il y a aussi toute une communauté de blogueurs qui s’est réunie et qui organise bénévolement un Prix chaque année, avec un vrai travail derrière. Ce Prix rassemble des éditeurs, des auteurs, des journalistes, etc. Cela aurait été plus juste, je pense, de parler de tout ce qui pouvait être vu sur Bookstagram et non d’une petite partie des publications. Ce qui a été présenté dans cet article n’était pas très représentatif de Bookstagram dans son ensemble.

En quoi Bookstagram représente-t-il selon vous une opportunité pour les différents acteurs de la chaîne du livre ?

Tous les lecteurs ne vont pas forcément lire des critiques littéraires dites traditionnelles, donc il y a tout un pan du lectorat qui peut être capté via les réseaux sociaux. Ces derniers permettent aux auteurs d’une part de faire de l’autopromotion et d’autre part de transmettre leurs livres aux blogueurs, instagrammeurs ou autres dont ils aiment le travail. Cela leur permet d’acquérir une visibilité qu’ils n’auraient pas autrement et un accès plus facile à ce public, notamment pour les auteurs moins connus et les petites maisons d’édition.

Les contacts sont facilités par Internet, c’est une réelle opportunité pour les petits éditeurs face aux grands qui ont déjà une grande visibilité sans les réseaux sociaux. Pour ma part, je préfère parler des livres dont on parle moins. Les autres œuvres ont déjà assez de publicité et je n’apporterais pas de plus-value par rapport à tout ce qui en a déjà été dit.

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Crédits photo à la une : © Aurore Versèle

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— Cynthia Prévot

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