Revente de livres numériques d’occasion : quel verdict dans l’affaire Tom Kabinet ?

Concernant la licéité de la revente de livres numériques d’occasion, à la suite de l’affaire Tom Kabinet, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a présenté ses conclusions le 10 septembre dernier : il s’érige à l’encontre du marché de seconde main d’ebooks dans le contexte actuel.

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Un bref retour sur l’affaire Tom Kabinet, qui bouscule l’édition européenne

Tom Kabinet est une plateforme néerlandaise, fondée en 2014, qui revend aux particuliers enregistrés des livres électroniques d’occasion, le tout à moindre coût et en échange de crédits qui peuvent être utilisés pour acheter d’autres livres électroniques d’occasion.

Une initiative qui n’a pas fait l’unanimité et qui s’est attiré les foudres des éditeurs néerlandais, qui y voyaient une violation du droit d’auteur, une pratique de concurrence déloyale ainsi qu’une porte ouverte au piratage et au trafic. Le dossier fut alors porté devant les tribunaux, qui avaient estimé que dans l’affaire Tom Kabinet, aucun manquement au droit d’auteur n’avait eu lieu.

Le cœur de cette affaire réside dans la règle de l’épuisement des droits ; principe octroyant le droit à l’acquéreur d’un bien physique protégé par le droit d’auteur de le revendre librement, à condition que ce dernier ait été acquis légalement. Le droit de distribution du titulaire du droit est, dans ces conditions, considéré comme « épuisé » et ce dernier ne peut s’opposer à la revente de ses œuvres.

Le tribunal de La Haye n’étant pas certain que l’acte de téléchargement de livres électroniques pour une durée illimitée constituait un « acte de distribution » au sens de la directive 2001/29 (directive « droit d’auteur »), il a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de statuer sur la problématique. Cette dernière vient de prendre connaissance de l’avis en la matière de l’avocat général, Maciej Szpunar. Un verdict très attendu des professionnels du livre en Europe dont l’écosystème est menacé…

Dès lors, peut-on revendre des livres numériques d’occasion ?

En théorie, oui. L’éditeur ne devrait pouvoir s’opposer à ce marché de seconde main. Szpunar considère en effet que « des arguments, tant d’ordre juridique que téléologique, plaident pour la reconnaissance de la règle d’épuisement du droit de distribution en ce qui concerne les œuvres fournies par téléchargement en ligne pour un usage permanent ».

Cependant, à ses conclusions se superposent des considérations pratiques qui viennent contredire la viabilité de la règle de l’épuisement des droits dans le cas présent. L’avocat général estime que les copies numériques ne se détériorent pas avec l’usage et que, par conséquent, elles ne diffèrent en rien de la copie originale fournie par le détenteur du droit d’auteur. Cela nuirait aux titulaires de droits d’auteur, car les copies parfaites de leurs œuvres peuvent être revendues à moindre coût et indéfiniment, ce qui résulterait en une chute de leurs ventes et de leur rémunération. De ce fait, pour Szpunar, conformément aux souhaits des éditeurs, les risques en termes de piratage et de déséquilibre entre les parties prévalent donc sur la règle de l’épuisement du droit de distribution.

En conclusion, il a estimé que la revente de livres électroniques par téléchargement en ligne pour un usage permanent n’était pas couverte par le droit de distribution, mais par le droit de communication au public, et donc que la vente de livres numériques d’occasion est « illégale au regard du droit de l’Union européenne ».

Réjoui, Stephen Lotinga, directeur général de la Publishers Association déclare : « Nous saluons l’opinion de l’avocat général dans cette affaire, qui soutient les droits des éditeurs et des auteurs dans le domaine numérique. Il s’agit d’un cas extrêmement important pour l’édition et les industries créatives au sens large, car il touche au cœur même de la façon dont nous exploitons nos entreprises numériques. Nous sommes rassurés que l’avocat général ait reconnu que les copies numériques ne se détériorent pas et que les ventes de copies d’occasion concurrenceraient directement les œuvres originales. Nous exhortons maintenant la Cour de justice de l’Union européenne à accorder une attention particulière à cet avis, à agir rapidement et à statuer en conséquence. »

En effet, l’avis de Szpunar ne lie en rien la décision de la CJUE, mais rares sont les fois où des positions radicalement différentes de celles de l’avocat général ont été adoptées. Une nouvelle qui semble donc réjouissante pour les éditeurs et autres détenteurs de droits, et qui de surcroît conférerait au livre numérique un statut différent de son homologue papier.

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— Victoire Dunker

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