Franck Queyraud : « Babelio aurait dû être inventé par des bibliothécaires ! »

Instigateur du groupe de travail « Bibliothèques Hybrides » pour l’ABF, Franck Queyraud est très impliqué dans le développement numérique des bibliothèques. Directeur adjoint de la bibliothèque de Saint-Raphaël, il mène plusieurs expérimentations en lien avec le numérique dont il rend compte sur son blog.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours et votre intérêt pour le numérique ?

En 2007, nous avons créé les groupes de travail « Bibliothèques Hybrides », avec pour interrogation fondamentale : comment faire évoluer le modèle de la médiathèque et comment utiliser les outils du web 2.0. pour repositionner la bibliothèque ? Partant du constat que le modèle de la médiathèque traditionnelle ne fonctionne plus, nous envisageons d’autres possibles. Après avoir coordonné ce groupe pendant 5 ans, j’ai aujourd’hui passer la main tout en demeurant un membre actif.

Les enjeux auxquels nous réfléchissons dans ces groupes, j’essaie de les aborder et de les mettre en œuvre de manière très pragmatique dans la médiathèque de Saint-Raphaël, dont je suis le directeur adjoint. Par exemple, suite à une réflexion sur les jeux vidéo que nous avons menée au sein des hybrides, nous avons lancé une expérience autour du jeu Dofus. L’objectif était d’attirer à nouveau les jeunes en bibliothèque. Nous avons offert à ces enfants la possibilité de jouer une heure par jour à ce jeu vidéo dans nos locaux. Avant même le lancement de l’opération, la nouvelle avait « filtré » : plus besoin de flyers, les enfants venaient nous demander la date de lancement ! Quel a été l’élément déclencheur ? La possibilité de venir jouer ensemble avec leurs copains. Au lieu de jouer seuls chez eux, ils ont accepté de se plier à nos règles et sont revenus à la bibliothèque. Conséquence : cette présence débouche sur des locations de livres, de BD ou de DVD. Pour eux, c’est une re-découverte de la bibliothèque.

La bibliothèque est-elle avant tout un lieu de rencontre  ?

L’une de nos missions est en effet de faire se rencontrer des gens dans un espace public : la bibliothèque. À une époque où les gens peuvent être autonomes grâce à l’achat de livres en direct depuis leur smartphone ou leur tablette, ils affirment néanmoins leur besoin de prescripteurs et de médiateurs qui favorisent la diversité culturelle. Sur Amazon par exemple, ils sont confrontés à l’effet podium ou le réflexe du top 100. Le numérique leur offre le choix, mais ils ne savent que choisir. Les bibliothèques doivent baliser les chemins et faire des recommandations. Babelio et les communautés de ce genre auraient dû être inventées par les bibliothécaires, mais nous nous sommes reposés sur nos lauriers. Nous n’avons jamais été des professionnels de la communication. Aujourd’hui, si l’image des bibliothèques est très bonne auprès de la population, on constate une baisse de fréquentation. On doit donc se servir des principes du web 2.0 pour faire évoluer notre profession.

Quelles sont les autres missions essentielles des bibliothèques ?

Il y a deux versants très importants du travail des bibliothèques à prendre en compte : l’action culturelle et la médiation ou comment mettre en avant des contenus.

Nous avons travaillé cette médiation à notre échelle. Sur ce projet, la bibliothèque de Saint-Raphaël travaille en association avec les bibliothèques du Pays de Fayence, soit 15 autres établissements de prêt. Nous avons ensemble développé le portail mediatem.fr. Nous avons réfléchi à une stratégie numérique. Le public a beaucoup de respect pour notre travail classique de prescripteurs, mais il faut intégrer ce travail dans notre époque. Plus concrètement, il s’agissait d’impliquer tous nos collègues dans cette démarche numérique active. Entièrement collaboratif, ce site nous a permis de former nos bibliothécaires au web 2.0. Ils sont désormais capables d’encoder leur propre contenu, d’écrire pour un site web et de mettre en avant leur propre collection. C’est au management des bibliothèques que l’on touche. Aujourd’hui, on doit se reposer la question : qu’est-ce que cela signifie, « être bibliothécaire » ? Où puis-je trouver des informations qui me permettront de faire mon métier correctement ? L’une des réponses est : sur le net, via des flux RSS ou des outils comme netvibes. L’information n’émane pas que de Livres Hebdo.

Que faites-vous au niveau du livre numérique ?

Nous avons développé de nombreuses expérimentations. Nous avons consacré une section de notre portail à la lecture numérique. Cette partie du site remporte un franc succès, car elle est la plus consultée avec plus de 72 000 connexions en 2012. Nous en sommes d’ailleurs les premiers surpris.

Parallèlement, nous avons également mis en place des espaces de médiation, intitulés « Numerilab », au sein de nos locaux. Nous recevons les utilisateurs dans un coin convivial avec des fauteuils et des tapis pour les écouter et répondre à leurs questions. De plus, nous mettons à leur disposition des tablettes (iPad, Galaxy et Archos) et des liseuses et nous leur présentons des utilisations concrètes de ces appareils. Tous les bibliothécaires ont été impliqués dans le projet. Bien conscients que cela représentait un effort de leur part, nous leur avons offert des formations pour faire face à une importante demande de la part du public. Les lecteurs viennent avec leur propre matériel pour poser des questions. Souvent, ce sont des appareils qu’ils ont reçus en cadeau et qu’ils ne savent pas manier.

Nous leur proposons également du contenu via quatre catalogues de livres numériques : Publie.net, Immatériel, Lekti – tous les trois en streaming et Numilog en téléchargement. Étrangement, ce n’est pas l’offre la plus commerciale qui remporte le plus de succès, mais bien le catalogue de Publie.net et ses créations contemporaines.

La suite logique sera de proposer des liseuses en prêt. On y travaille, mais ce n’est pas facile à mettre en place. Il faut convaincre les élus locaux de financer des projets expérimentaux, d’acheter du matériel qui sera obsolète dans 2 ans. Sans compter que les assureurs ne veulent pas couvrir les tablettes, qu’on ne peut donc pas prêter dans ces circonstances. De plus, il n’y a absolument aucune garantie sur la qualité de ses projets.

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— Stéphanie Michaux

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Stéphanie Michaux

Digital publishing professional

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