Pierre Fremaux : « Sur Babelio, les critiques des lecteurs ne font pas l’objet de suspicion »
Tous les amateurs de livres qui naviguent sur la toile connaissent Babelio, la communauté qui permet de partager votre bibliothèque, vos coups de coeur du moment et vos livres préférés. Entièrement lié au développement du web, ce site communautaire s’est imposé comme un partenaire de référence pour les éditeurs et les bibliothécaires. Rencontre avec Pierre Fremaux, l’un des trois fondateurs de la plateforme.
Les débuts de Babelio
La première version du site Babelio a été créée en 2007. Orientée vers le livre, elle suit de près l’évolution du web collaboratif qui avait déjà vu émergé une première vague de réseaux sociaux (myspace, facebook, etc). La plateforme a été créée comme un outil de partage du livre, avec pour objectif de reproduire sur la toile le phénomène du bouche-à-oreille et faire découvrir aux internautes de nouveaux livres. Le cœur de la 1re version de Babelio proposait surtout de constituer sa bibliothèque. Ses fondateurs ne sont pas issus du monde du livre, mais partagent cette passion pour la lecture. Aujourd’hui, les membres fondateurs sont tous trois actifs dans Babelio soit au développement informatique soit au niveau plus commercial et développement. En tout, six personnes sont aujourd’hui actives dans la société.
Quel est le modèle commercial de Babelio ?
Les revenus de Babelio proviennent de deux activités. Tout d’abord, nos relations avec les éditeurs. Nous leur proposons des outils de promotion pour faciliter la découverte de nouveaux auteurs ou le lancement de nouvelles collections. Il s’agit de toute une gamme d’outils de stratégie relevant du webmarketing. Il faut savoir qu’aujourd’hui, l’audience de Babelio, c’est 1,300 000 visiteurs mensuels.
La deuxième activité est moins connue. Il s’agit de nos partenariats avec les bibliothèques. Notre site représente une base de données inestimable de contenus sociaux et algorithmiques, créés par notre communauté et traités par notre équipe. Une des problématiques actuelles des bibliothèques est de trouver des moyens de valoriser leur fonds. Lorsqu’un usager va chercher la disponibilité d’un titre dans le catalogue de sa bibliothèque, il trouvera l’information qu’il recherche, mais n’aura pas d’informations complémentaires. Dans le meilleur des cas, il trouvera un titre, un auteur, une couverture et une description. Nous mettons donc à disposition des bibliothèques nos informations enrichies sous la forme d’une location annuelle de données, Babelthèque. On peut comparer ce service à Electre avec des données plus sociales et vouées à faire découvrir les livres.
Comment expliquez-vous le succès de Babelio ?
Le succès de Babelio est entièrement lié au développement du web 2.0, qui a développé et répondu au besoin d’expression et de conseils. Jusqu’alors, certains « mauvais genres » étaient délaissés des critiques traditionnelles : je pense notamment au polar, à la fantasy ou la science-fiction.
De plus, les grands lecteurs sont toujours à l’affut de conseils. Cela va de pair avec la fiabilité du lecteur qui est très importante, car personnelle. Sur Babelio, le lecteur est très indépendant, ce qu’il dit sur un titre, il le dit avec honnêteté. Il n’existe pas de suspicion comme c’est le cas dans la presse classique ou lors de la remise des prix littéraires. Le lecteur n’a pas d’autorité, mais une crédibilité. C’est assez amusant, parce qu’on parle toujours de déclin de la lecture, or nous n’observons pas du tout une désaffection pour la lecture, que du contraire !
Les communautés autour du livre se multiplient. Y-a-t-il une place pour plusieurs acteurs ?
Oui, sans aucun doute, avec plus ou moins de succès, mais la place n’est pas infinie. L’un des meilleurs moyens d’exister est de miser sur la segmentation comme le font des communautés actives dans la BD ou le manga. Babelio, lui, cible la littérature générale. Il faut également s’assurer d’avoir un business model efficace.
En tant qu’observateurs privilégiés, quels sont les changements issus du web qui ont influencé le plus le monde de l’édition ?
Il est difficile de répondre à cette question. On a vu émerger de nouveaux genres grâce au web. Je pense au mommy porn, à certains polars ou la bit lit qui ont bénéficié d’un engouement sur le web, ou encore à des titres de littérature générale repérés par les lecteurs avant les médias traditionnels comme La vérité sur l’affaire Harry Québert ou Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates. Dans ces cas précis, le web et son bouche à oreille ont fait émerger de nouvelles lectures. On observe aussi que les éditeurs sont plus à l’écoute des attentes du lecteur.
Pour comparer avec d’autres domaines similaires, un site comme Allociné vous a-t-il influencé ?
En tant que site d’information sur le livre, nous agrégeons également les critiques des professionnels comme sur Allociné. De là à parler d’une source d’inspiration, non. Les deux sites divergent fortement. En France, 60 000 livres paraissent par an tandis que 15 nouveaux films sortent chaque semaine. Le modèle d’Allociné avec une rédaction peut fonctionner sur un petit volume. À l’inverse, le cas de Babelio prouve qu’on ne peut exister avec une grande diversité de contenus qu’avec une communauté de lecteurs au cœur de la démarche. C’est avant tout eux qui nourrissent le site.
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— Stéphanie Michaux