Dyslexie et lecture sur support numérique : interview de Marco Zorzi

En 2012, une équipe de recherche franco-italienne co-dirigée par Marco Zorzi du Department of General Psychology and Center for Cognitive Science de l’Université de Padoue tentait de prouver, par une expérience menée sur un panel d’enfants dyslexiques, que lorsque l’on augmentait l’espace situé entre deux lettres, la vitesse de lecture des enfants augmentait. Nous avons donc interrogé Marco Zorzi sur la possibilité d’étendre les résultats de l’étude à la lecture sur support numérique.

Pour rappel, et parce qu’on a déjà évoqué cette étude ici, les chercheurs ont testé les effets de l’espacement des lettres sur la lecture chez 54 enfants dyslexiques italiens et 40 enfants dyslexiques français, âgés entre 8 et 14 ans. Les enfants devaient lire un texte composé de 24 phrases dans lesquelles l’espacement était soit normal, soit plus grand. Résultat : l’augmentation de l’espacement a permis aux enfants dyslexiques d’améliorer leur lecture en vitesse et en précision. Ils lisent en moyenne 20 % plus vite et font deux fois moins d’erreurs.

Marco Zorzi : « L’enquête que nous avons menée a été faite sur un support papier, et il est vrai que le lien entre l’expérience sur papier et une éventuelle expérience sur support numérique n’a pas été évident de prime abord. En tout cas, nous n’avons pas testé la lecture numérique dans les conditions de l’expérience scientifique. Néanmoins, il nous est permis de supposer que puisque les outils comme les tablettes ou liseuses permettaient de jouer sur la taille de la police et sur l’espacement des lettres, ce serait probablement plus simple pour les petits lecteurs dyslexiques de lire sur un support numérique. »

Que pensez-vous de polices spécifiques comme Open Dyslexic ?

« Je dois dire que dans la littérature spécialisée sur le sujet, il n’y a pas à ma connaissance d’étude purement scientifique, d’expérience testée sur un panel d’enfants dyslexiques qui ait été menée sur ce type de police. Néanmoins, après avoir découvert il y a peu cette police, je me suis renseigné sur le sujet. Si on part du principe que l’espacement y est augmenté, je suppose que d’une manière ou d’une autre, elle doit être efficace.  Ce serait vraiment intéressant de pouvoir mener une enquête scientifique avec ce type de police. De plus, j’ai également découvert qu’en plus d’être intégrée au Kobo, on peut aujourd’hui la trouver sur les iPad puisque IOS 7 permettait d’intégrer différents types de polices.

En tout cas, c’est principalement la gratuité de cette police que je voudrais souligner. Parce qu’il est vrai que d’autres polices pour les dyslexiques existent mais elles sont payantes. Et, si l’on part du principe qu’aucune d’entre elle n’a fait la preuve de son efficacité dans les conditions d’une expérience scientifique, il est préférable que celle que l’on teste soit gratuite. »

Projets d’études et d’expériences dans le domaine

« Nous avons commencé, il y a peu, une étude qui permettrait de voir si l’enfant dyslexique, mais aussi l’enfant non dyslexique, serait capable de choisir lui-même son espacement idéal. Nous partons du principe que l’espacement idéal entre les lettres ne doit pas être le même pour tout le monde. Il serait intéressant de voir si  les enfants seraient capables de sélectionner leur espacement idéal parmi un panel d’espacements proposés. Par la suite, à partir de ces résultats, nous pourrions créer un programme qui permettrait d’adapter le dispositif de lecture (ordinateur, tablette ou liseuse) à l’espacement optimal de chacun d’entre nous.  C’est une étude que l’on a commencé à mener parce qu’avant de mettre sur pied un tel programme, il faut impérativement voir si le fait de choisir son propre espacement entraîne de réels résultats au niveau de la vitesse de lecture ou non. »

« Pour lire mieux, l’enfant dyslexique doit lire plus. »

« Malheureusement, puisque c’est difficile pour lui, lire est une activité que l’enfant dyslexique ne privilégie pas. Or de nombreuses études américaines ont prouvé que lire davantage et surtout à la maison était un facteur de nette amélioration dans les autres domaines, comme la connaissance d’un vocabulaire plus riche, etc. Cela semble assez évident, mais lorsque l’on compare les progrès d’un enfant non dyslexique et d’un enfant dyslexique dans une série de domaines différents, on constate que l’enfant dyslexique a tendance à moins progresser de manière générale parce qu’il se coupe en quelque sorte de ce qui pourrait lui permettre de progresser, c’est-à-dire la lecture. C’est pour lui une activité trop fatigante pour qu’il puisse y prendre du plaisir. »

Applications spécifiques, livres numériques en Open Dyslexic, livres numériques/audios,…

« On en arrive donc à la conclusion que tous les moyens qui peuvent être utilisés pour faciliter la lecture, pas seulement dans le contexte-classe, mais aussi pendant les temps libres, sont une solution à privilégier impérativement. Dès lors, proposer aux enfants dyslexiques des jeux de lecture ou des applications dans lesquelles l’accès à la lecture par un espacement augmenté ou une police spécifique leur permettra d’apprivoiser davantage le rapport à l’écrit.

Je suis également convaincu que les applications qui lisent les histoires aux enfants sont extrêmement importantes pour eux, particulièrement pour les enfants qui présentent de graves problèmes de dyslexie. D’une part, parce qu’elles initient au plaisir de la lecture, elles favorisent le développement des connaissances plus générales mais aussi et surtout parce qu’elles confrontent l’enfant de manière indirecte au texte et ce en temps réel. Il entend ce qu’il n’arrive pas toujours à déchiffrer. C’est une des solutions qui lui permettront de progresser et de prendre goût à la lecture. »

Propos recueillis par Vincianne D’Anna

Vous retrouverez la semaine prochaine quelques applications, des ebooks spécifiques et quelques programmes créés pour faciliter la lecture des personnes atteintes de dyslexie.

Pour l’article sur les résultats de l’enquête, cliquez ici: ttp://www.pnas.org/content/early/2012/05/29/1205566109.abstract

— Vincianne D'Anna

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