Politiques publiques du livre dans le monde arabe

Dans le cadre de la Foire du Livre de Tunis, l’Alliance internationale des éditeurs indépendants a organisé le 30 mars une journée consacrée aux politiques publiques du livre dans le monde arabe. Focus sur cette rencontre importante, ses résultats et l’aperçu qu’elle nous permet d’entrevoir sur le marché littéraire du monde arabe.

Les professionnels du livre arabophones, ainsi que des éditeurs chiliens et français, se sont rencontrés à la Foire du Livre de Tunis pour dresser des panoramas des politiques publiques du livre en Algérie, au Liban, au Maroc, en Égypte et en Tunisie. L’objectif de ces échanges était de contribuer au développement culturel du monde arabe, par la mise en place et la consolidation de politiques publiques du livre, le renforcement des dispositifs de soutien au monde littéraire, l’aide à la construction d’un outil de mesure de la « bibliodiversité » (la diversité culturelle appliquée au monde du livre) et le renforcement du rôle des éditeurs indépendants et des collectifs professionnels auprès des pouvoirs publics.

AIEI

Des propositions concrètes

Ces échanges très riches ont permis de confronter les points de vue entre les éditeurs des différents pays et de faire apparaître certaines problématiques communes. C’est dans ce cadre que les participants ont souhaité inviter les pouvoir publics à mettre en place plusieurs mesures, comme le rapportent nos confrères d’Actualitté.

  • Plus de soutien aux éditeurs

D’abord, à propos des achats publics de livres, il apparaît comme essentiel de s’accorder sur une définition précise d’un livre national, c’est-à-dire produit par des éditeurs locaux, et de favoriser la présence majoritaire de ces ouvrages parmi les acquisitions publiques de livres.

Ensuite, les participants ont également insisté sur la mise en place de dispositifs de soutien à l’édition (aides financières à la traduction ou à l’édition, soutien à la présence des éditeurs sur des foires du livre, etc.). Il importe par ailleurs que ces dispositifs d’aide soient transparents et répondent à des critères objectifs d’attribution.

  • Une collaboration entre éditeurs

Un autre point sur lequel il est nécessaire d’agir est la circulation des livres dans le monde arabe, qui reste à ce jour quasi inexistante, même entre les pays frontaliers. Une solution apportée aux problèmes structurels à l’origine de cette situation (coût élevé du transport, barrières douanières…) réside dans le renforcement de la collaboration entre les éditeurs du monde arabe. Des fonds de soutien publics pourraient permettre de favoriser ces partenariats transfrontaliers.

  • Le citoyen-lecteur

Par ailleurs, pour être efficaces et durables, ces dispositifs doivent être inscrits dans une politique plus générale centrée sur le citoyen-lecteur et englobant les différents acteurs de la chaîne du livre. Comme l’ont rappelé les professionnels réunis, le dialogue entre les éditeurs et les pouvoirs publics et l’action nécessaire de ces derniers doivent donc être complétés par un processus de construction du citoyen-lecteur, qui consiste notamment à multiplier les espaces de rencontres et d’échanges avec le lecteur, et les nouvelles générations en particulier.

  • Plus de dialogue international

Le dernier point sur lequel les participants ont insisté est l’appel à plus de collaboration et de croisements d’expériences et de pratiques entre les différentes régions du monde. Les politiques du livre mises en place en France et au Chili ont par exemple constitué des sources d’inspiration importantes pour l’élaboration des propositions énoncées. L’Alliance internationale des éditeurs indépendants œuvre actuellement en ce sens, notamment en menant un travail de cartographie des politiques publiques du livre en Amérique latine, dans le monde arabe et en Afrique subsaharienne, dans le cadre de son Observatoire de la bibliodiversité. Le but est de repérer les « bonnes pratiques » et les lacunes des politiques publiques du livre actuelles d’un pays à l’autre et de fournir ainsi des outils de dialogue avec les pouvoirs publics.

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Le livre numérique

  • Un secteur prometteur

Si l’édition numérique n’a pas constitué un thème majeur de la rencontre, en raison de son essor difficile dans le monde arabe, les professionnels de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants sont conscients du potentiel que ce secteur représente. Sur la page dédiée, l’Observatoire de la bibliodiversité fournit d’ailleurs des précisions quant à l’implantation du numérique sur le marché littéraire arabe. Selon ces analyses, « la langue représente un élément d’agglutination très puissant qui peut donner naissance à des plateformes électroniques d’envergure transnationale » et, de fait, la prolifération des blogs et la demande de contenus numériques que manifeste une partie de la population confirment le potentiel de l’édition numérique dans le monde arabe.

  • Des projets qui se développent

kotobarabiaCertaines librairies numériques connaissent déjà un développement notable, qui vient également confirmer ce potentiel. Parmi les plus importantes, on retrouve le site Fimaktabati, qui propose les livres numériques de centaines de maisons d’édition. Citons également le projet égyptien Kotobarabia, qui a été l’un des premiers agrégateurs de livres électroniques en arabe du monde et dont les principaux clients sont des bibliothèques aux États-Unis et en Europe. Lancée par Vodafone, Kotobi est une autre plateforme égyptienne, qui commercialise des titres au format ePub et vise principalement la lecture sur mobile. Alaa Zaher, instigateur du projet Kotobi, estime que les limitations de la distribution physique peuvent se transformer en une grande opportunité. « Les lecteurs qui résident en dehors des grandes villes se plaignent toujours du manque de librairies. Ce segment, c’est notre cible. Notre objectif à long terme est de fournir en livres numériques l’ensemble du monde arabe. »

L’Alliance internationale des éditeurs indépendants, grâce au soutien de la Fondation de France et à un partenariat avec la Foire du livre de Tunis et l’Union des éditeurs arabes, peut donc se féliciter de cette initiative fructueuse. L’édition numérique, nourrie par un développement du secteur et une demande d’une partie de la population, promet par ailleurs de faire plus parler d’elle dans les prochains échanges autour des politiques publiques du livre dans le monde arabe. Il reste à espérer que les propositions retenues au terme de cette rencontre trouvent un écho favorable auprès des pouvoirs publics.

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Raphaël Dahl

— Rédaction

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