Comment le livre innove-t-il en se déployant sur d’autres supports ? Interview de Laurent Grumiaux

À l’approche du colloque annuel du PILEn qui se tiendra le 21 novembre prochain, Lettres Numériques s’intéresse aux innovations du livre en termes de support. De plus en plus de projets voient le jour, qui sont autant de nouvelles idées pour penser le livre autrement. Laurent Grumiaux, membre de l’équipe du R/O Institute et directeur de Fishing Cactus, nous en dit plus.

Quel est votre parcours ?

arton52626Après être sorti de l’ICHEC en 2006, j’ai lancé une start-up en Angleterre avec un ami dans le domaine du commerce de photographies de collection en édition limitée. Un an plus tard, répondant à l’appel du pays, je suis rentré en Belgique où j’ai travaillé pour une société de consultance en informatique pendant trois ans.

En 2010, j’ai rejoint Fishing Cactus à la demande de mon ami Bruno Urbain pour l’aider à développer l’entreprise. Dans un premier temps, Fishing Cactus faisait beaucoup de sous-traitance pour des clients internationaux. Mais depuis 18 mois, les activités de la société se sont focalisées sur le développement de nos propres projets, comme Epistory. Le risque est plus élevé, mais nous développons ainsi notre créativité.

Vous avez également rejoint R/O Institute, quel était votre rôle au sein de l’équipe ?

J’ai eu la chance de participer à la genèse de l’institut qui entame maintenant sa deuxième année d’existence. Dix projets sont ainsi sélectionnés chaque année par R/O pour recevoir un support dans l’écriture transmédiatique.

Depuis plusieurs mois, j’interviens de manière sporadique en accompagnant les porteurs de projet dans leur stratégie digitale et créative. Je partage ainsi mes connaissances sur le monde de la distribution digitale et sur la façon dont on peut exploiter une licence. À partir de janvier, je serai plus impliqué dans le montage de projets.

Comment évoluent les projets retenus en janvier 2017 suite à l’appel à candidatures ?

Ces dix projets viennent de terminer leur incubation de six mois, ils se donc sont beaucoup développés. Les porteurs de projet ont travaillé sur la stratégie d’exploitation de leur licence, mais aussi sur la profondeur des personnages, l’exploitation du monde, etc.

La première saison achevée, les projets sont maintenant proposés à différents partenaires de l’institut pour les lancer sur le marché. Ces derniers ont un rôle important, car ils peuvent décider d’exploiter le projet, et donc financer en tout ou en partie son développement.

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Comment voyez-vous l’évolution du projet R/O sur le long terme ? Lors de l’interview de votre collègue Stéphanie Thirion, nous avions appris que vous pensiez à étendre ce dispositif à d’autres pays ?

En février, nous lançons la deuxième saison, un nouvel appel à candidatures a ainsi été ouvert pour les 10 prochains projets. La première année fait donc un peu figure de test, nous sommes déjà très contents des résultats et nous allons les prendre en compte pour comprendre ce qui peut être amélioré.

L’idée à long terme est effectivement de pouvoir, une fois le modèle plus mûr, l’exporter dans d’autres pays. L’institut est composé de financeurs publics et privés parmi lesquels plusieurs multinationales, ce qui contribue à rendre le modèle exportable. Si ce concept arrive à l’étranger, nous pourrions avoir des compétences spécifiques à certaines régions du monde. Par exemple, les projets nés en Belgique privilégient les plateformes comme la BD ou le cinéma, mais des projets développés à Los Angeles s’articuleraient sûrement davantage autour de l’écosystème local, donc plutôt des films et des séries.

À propos de Fishing Cactus, le studio développait des « serious games » (ndlr : application informatique qui combine une intention sérieuse, de type pédagogique, informative ou marketing, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo), pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons abandonné les serious games, mais cela a permis de développer le studio. Aujourd’hui, nous commençons à avoir envie de revenir dans le jeu vidéo pur, alors que les clients de serious gaming ont encore du mal avec l’idée du « pur ludique ». Nous avons voulu revenir vers des créations personnelles, plus orientées vers les jeux vidéo, vers le pure entertainment.

Les jeux vidéo et la lecture sont traditionnellement deux choses bien distinctes, pensez-vous que les deux domaines seront amenés à plus d’interactions dans le futur ?

De par mon expérience, j’ai pu constater que beaucoup d’acteurs du marché de l’édition n’étaient pas enclins à une approche transmédiatique il y a quelques années, mais je pense qu’aujourd’hui, il y a pas mal de changement.

R/O a une approche intéressante à ce niveau-là. Les participants génèrent des projets qui ont une origine transmédia, car tout est prévu dès le départ pour qu’il y ait une interaction entre les plateformes. A contrario, les éditeurs ont souvent tendance à vouloir partir d’un livre ou d’une bande dessinée, ils pensent le transmédia comme une duplication du format papier et non une extension à celui-ci. R/O tente donc de faire comprendre que dupliquer du contenu sur une plateforme différente a très peu d’intérêt à l’heure actuelle. Mais connecter tous ces contenus pour leur donner une valeur ajoutée est par contre beaucoup plus intéressant.

Évidemment, tout cela évolue. Aujourd’hui, il y a des acteurs de l’édition chez R/O (comme le groupe Média-Participations, maison-mère de l’éditeur Dupuis), qui y sont bien intégrés et qui sont même des moteurs de l’Institut.

Selon vous, quels pourraient être les supports par lesquels passeront principalement les innovations du livre à l’avenir ?

Le mobile est certainement le principal support pour l’avenir. Les lunettes ou lentilles connectées, qui permettraient d’afficher un livre en réalité augmentée, vont sûrement aussi se développer. Ce qui est intéressant avec le numérique, c’est évidemment de pouvoir transporter plus de contenus, mais aussi d’enrichir ce contenu. Cela étant, je continue à penser que le papier a toujours sa place.

Si les contenus pur texte continueront à exister car ils stimulent merveilleusement l’imaginaire, de plus en plus de contenus vont devoir être augmentés par du visuel, du son pour prémâcher le travail d’immersion. Comme l’imaginaire est une capacité qu’on développe de moins en moins, il devient parfois plus difficile de lire un livre, car on n’a pas l’immersion escomptée. Il peut donc être intéressant de bénéficier d’une aide à l’immersion narrative, tels que des outils de type sonore ou visuel qui aident le lecteur à entrer dans un univers.

Propos recueillis par Raphaël Dahl

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