Livre audio dématérialisé : perspectives et enjeux (Partie 1)

Le livre audio connaît un véritable essor en France, où il a enregistré ces deux dernières années une croissance à deux chiffres. À l’occasion de la journée interprofessionnelle du livre audio, qui s’est tenue en juin dernier, quatre intervenants se sont exprimés sur les enjeux de la transition numérique pour ce format de lecture : quel nouveau modèle économique suppose-t-elle ? Quel rôle doivent jouer les bibliothèques dans cette transition en termes de médiation et de prêt ? Comment exister en parallèle des GAFAM qui ne cessent de consolider leur monopole ? Où en est-on du développement de l’intelligence artificielle dans le domaine vocal, notamment via les enceintes connectées ? Compte-rendu de cette rencontre.

Quatre intervenants étaient présents pour débattre de ces perspectives : Éric Marbeau (responsable partenariat et diffusion numérique du groupe Madrigall), Olivier Carpentier (fondateur et directeur de Book d’Oreille, plateforme de distribution de livres audio numériques), Agnès Panquiault (digital content manager chez Kobo Inc) et Jean-François Cusson (directeur général de Bibliopresto.ca).

madrigall

Le livre audio, un marché prometteur à investir 

Pour Éric Marbeau, le format dématérialisé via les plateformes de streaming et de téléchargement représente sans aucun doute l’avenir du livre audio et un levier de croissance exponentiel : les chiffres de vente ont été multipliés par deux ou par trois depuis quelques années, et de nouveaux acteurs et modèles commerciaux entrent en jeu qui participeront sûrement à attirer de nouveaux profils d’audiolecteurs. Le responsable diffusion du groupe Madrigall note cependant la bonne résistance du livre audio physique, notamment sur CD : si une baisse a bel et bien été observée, il ne s’agit guère d’une dégringolade, ce qui montre bien que les deux supports concernent des marchés et des publics bien distincts qui ne s’opposent pas, mais coexistent et se complètent. Comme le précise Éric Marbeau, les titres du catalogue Gallimard vendus sur le marché physique ne sont en effet pas les mêmes que ceux vendus sur le marché numérique.

Agnès Panquiault, responsable du contenu digital chez Kobo, explique que l’entreprise canadienne privilégiera avec le livre audio la même approche qu’elle a adopté avec le livre numérique il y a quelques années : constituer un partenariat avec un acteur libraire national (la Fnac), afin d’offrir une solution de lecture numérique dans le continuum de la lecture physique. Cette association avec un acteur bien implanté, disposant d’un large lectorat demandeur de numérique a ainsi permis à Kobo de devenir le deuxième vendeur de liseuses en France derrière Amazon. Le fabricant de liseuses ne s’est lancé que récemment dans la commercialisation de livres audio : en 2017 dans les pays anglo-saxons, et en mai 2018 en France. Si le livre audio dématérialisé constitue un prolongement de la lecture au même titre que l’ebook, il passe par un support différent, celui des applications sur téléphone ou sur tablette. Son explosion a d’ailleurs été permise par la généralisation du téléphone portable, vecteur essentiel de l’écoute. Le développement du livre audio ne pouvait donc pas passer par les liseuses et c’est pourquoi Kobo a noué un deuxième partenariat avec Orange pour toucher une nouvelle base d’utilisateurs grâce à ses 15 millions d’abonnés. Un triple partenariat est en train de se mettre en place entre Kobo, Fnac et Orange pour faire connaître le livre audio à de nouveaux publics.

L’écosystème Book d’oreille

Le troisième intervenant, Olivier Carpentier, est le fondateur de Book d’oreille, un site d’information fondé en 2008, devenu plateforme de diffusion de livres audio en 2013. Depuis quelques mois, cet entrepreneur développe aussi Bibliostream, une plateforme de prêts de livres audio numériques en bibliothèques.

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Avec Book d’oreille, Olivier Carpentier a voulu transposer sur le web et pour le livre audio ce qu’est le libraire indépendant dans le monde du livre papier. Il a créé des outils spécialement pour l’audiolecteur en investissant avant tout dans l’accessibilité afin de proposer un parcours le plus simple possible pour arriver au livre audio. L’application, disponible sur IOS, permet d’accéder en trois clics au livre, depuis l’action d’achat jusqu’à celle de lecture, dans le respect des attentes des internautes : il n’y a pas de DRM, pas de dégradation de la qualité audio, et les audiobooks sont bien référencés grâce à des métadonnées de qualité.

Book d’oreille a été approché il y a deux ans par des acteurs professionnels pour imaginer une solution à mettre au service des enseignants et des bibliothécaires. C’est ainsi que Bibliostream a vu le jour. L’objectif ? Proposer les livres audio dans un même service numérique en tenant compte des impératifs des éditeurs, via une interface accessible qui respecte aussi les impératifs des médiateurs. Le service est déjà fonctionnel et devrait bientôt être commercialisé. Il permettra aux éditeurs de qualifier eux-mêmes l’offre qu’ils souhaitent mettre à disposition sur les réseaux des bibliothèques, en modulant différents paramètres (prix, durée et simultanéité ou non du prêt, soit le nombre de personnes pouvant écouter le livre en même temps). L’avantage pour les bibliothécaires, c’est de disposer d’un player web qui fonctionne avec le streaming (sans concurrence avec le téléchargement), d’une application mobile (puisque les usagers de médiathèques et de bibliothèques sont aussi utilisateurs mobile), et d’une médiation en donnant accès à des métadonnées et des prescriptions pour que le bibliothécaire puisse rendre les livres audio visibles dans sa propre communication.

La solution Bibliopresto.ca

Comme l’explique son directeur, Jean-François Cusson, Bibliopresto est « un organisme à but non lucratif mis en place par les bibliothèques pour servir les bibliothèques ». La plateforme est en charge de différents projets numériques : sa mission consiste à épauler les bibliothèques dans ces projets, à les soutenir dans leur mission en leur fournissant les outils qui les y aideront. La plateforme ne s’adresse donc pas directement au public.
Le principal projet, mis en place en 2012 est Pretnumerique.ca, une plateforme de prêt de livres numériques dans les bibliothèques québécoises. Elle équipe aujourd’hui quasiment toutes les bibliothèques publiques au Québec et dans le New Brunswick (soit 142 organisations de tailles variées). La plateforme ambitionne également de s’implanter dans les bibliothèques universitaires et du secondaire. Nous vous en parlions déjà ici, la plateforme a dépassé les 7 millions de prêts et compte environ 450 000 utilisateurs, soit presque 15 % des abonnés des bibliothèques publiques au Québec.

Quant au livre audio, Bibliopresto s’y intéresse depuis un certain temps déjà, puisque le Québec est entouré par la culture anglo-saxonne : aux États-Unis, le livre audio est déjà très bien développé via Overdrive, un acteur quasiment hégémonique. Acteur très important dans le monde anglo-saxon, quasi hégémonique : Overdrive. Depuis plusieurs années, l’entreprise offre aux usagers de bibliothèques la possibilité d’emprunter des livres audio et de les télécharger. Le Québec n’a cependant pris le pas que récemment, en mai 2018 : la vente et le prêt de livres audio dématérialisés sont depuis ouverts à l’ensemble du réseau et les résultats sont positifs, malgré l’absence de campagne de communication. Deux raisons principales expliquent ce retard : l’absence de moyens techniques et la minceur du catalogue proposé. En effet, Bibliopresto ne propose pour l’instant que 2000 titres, comprenant des titres Gallimard et quelques ouvrages québécois. En effet, la production de livres audio en est encore au stade embryonnaire dans les maisons d’édition québécoises, alors que la demande des usagers ne cesse d’augmenter. D’après Jean-François Cusson, l’audiobook connait depuis quatre une progression plus forte que l’ebook dans les bibliothèques francophones, avec 25 à 30 % pour 2017.

Pour retrouver l’intégralité de la conférence, c’est par ici.

Retrouvez la deuxième partie de ce compte-rendu la semaine prochaine.

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— Elisabeth Mol

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