Le livre et les écritures made in FWB : bonnes pratiques et perspectives
En novembre dernier a eu lieu le colloque annuel du PILEn (Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique) sur le rayonnement du livre et des écritures francophones belges. Comment les livres conçus, écrits et édités en Wallonie et à Bruxelles prennent-ils une place en bibliothèques et librairies, ici et là-bas ? Quelles trajectoires chez nos homologues flamands et francophones ? Quelle part pour les écritures dans la constitution des identités belges à l’international ? Muriel Collart, Ariane Herman, Natacha Wallez, Rudy Vanschoonbeek et Dimitri Piot apportent leur vision du livre et des écritures made in FWB, thème de la première table ronde du colloque.
Libraires et bibliothécaires : aimer lire oui, mais surtout aimer les gens
Muriel Collart est responsable de la librairie Wallonie-Bruxelles Paris. Cette librairie vend des livres d’auteurs et illustrateurs belges de langue française, peu importe leur lieu d’édition. 70 % de leurs ventes se font sur des maisons d’édition belges et 30 % sur des maisons d’édition françaises, à l’inverse des librairies en Wallonie et à Bruxelles où l’on vend 75 % de livres édités en France. Par ailleurs, la librairie Wallonie-Bruxelles Paris vend majoritairement de la littérature et en particulier de la poésie, naviguant ici encore à contre-courant. D’après Muriel Collart, les clients de cette librairie thématique sont les gens de passage, Français ou touristes, qui rentrent sans forcément savoir qu’il s’agit d’une librairie belge.
La librairie Wallonie-Bruxelles Paris accomplit aussi une activité de distribution ; en distributeur compte ferme, la librairie répond à toutes les commandes de librairies de France et expédie chaque année plusieurs milliers de titres belges francophones dans quelque 500 librairies. Dans le secteur du livre, le coût du transport peut rapidement devenir rédhibitoire, ce pourquoi un distributeur local est primordial pour les petites maisons d’édition. Prisme, la plateforme nationale de regroupement des colis de livres qui permet d’expédier un livre dans toute la France pour 1,50 euro, est fort utilisée, notamment par la librairie Wallonie-Bruxelles Paris.
Ariane Herman, fondatrice et gérante de la librairie Tulitu, explique de son côté qu’avec 80 mètres carrés d’espace de vente, des choix s’imposent. Si les livres québécois, LGBT et féministes sont particulièrement mis en avant ici, Tulitu propose autant de livres belges que de livres français. En effet, pour Ariane Herman, la diversité culturelle de la littérature francophone doit être défendue. Or, il y a assez d’autres endroits où la littérature francophone de France est vendue. Dans les ventes de littérature belge, à la différence de la librairie Wallonie-Bruxelles Paris mais conformément aux autres librairies bruxelloises et wallonnes, la littérature jeunesse et la BD remportent un franc succès.
Natacha Wallez, professeur en bibliothéconomie à la HE2B et membre de l’AIFBD (Association Internationale Francophone des Bibliothécaires et Documentalistes), précise que les bibliothèques sont un intermédiaire culturel et non commercial, à la différence des librairies. Autre précision qui s’impose : les bibliothèques ne sont pas en mesure de suivre la rentrée littéraire, il y a généralement un trou temporel avec les catalogues des librairies.
Cela étant, les bibliothèques ont des obligations légales, dont le développement des pratiques langagières. Ce qui implique que les collections des bibliothèques doivent être relativement récentes (moins de 10 ans pour de la non-fiction). Natacha Wallez précise que la bibliothèque publique est le service communal le plus visité après le service population. Il y a donc une grande attente à combler, mais comment faire ? Il n’y a pas de règles, mais il convient de s’adapter à des populations différentes en fonction des localisations. Par exemple, axer sur l’offre en alphabétisation dans certaines communes bruxelloises.
Pour devenir bibliothécaire, il faut aimer lire mais ce n’est plus suffisant. Il faut surtout aimer les gens, aimer communiquer et aimer passer la lecture ; le métier de bibliothécaire a évolué : dans la bibliothèque-projet, on met à disposition la matière littéraire par des rencontres, des ateliers, des blogs et autres pages Facebook. La libraire Ariane Herman pense également que, dans le métier de libraire, le plus important c’est le métier de conseiller : il y a plein de choses magnifiques qui sortent des sentiers battus et qu’il faut défendre. Les librairies ont aussi une plus-value dans l’organisation des rencontres auteurs-lecteurs. Mais qu’en est-il de rayons belges en bibliothèque ? Natacha Wallez pointe du doigt le manque de place et plaide davantage pour des mentions à même les ouvrages, sachant que les lectures par nationalités sont moins demandées du public que la lecture par genre.
Rudy Vanschoonbeek, président de la Fédération européenne des éditeurs et fondateur des éditions Uitgeverij Vrijdag, explique que 25 % de ses ventes de livres en néerlandais sont réalisées aux Pays-Bas, ceci étant significatif d’un certain rayonnement pour les lettres flamandes. Par contre, il a édité Amélie Nothomb en néerlandais et a envisagé d’arrêter car ses livres ne se vendaient pas bien au début ; si les traductions littéraires peuvent bien sûr aider à atteindre certains marchés, il semble y avoir une barrière culturelle entre francophones et Flamands, qui n’écoutent pas les mêmes radios, ne lisent pas les mêmes journaux, ne fréquentent pas les mêmes lieux culturels. Ce manque de repères de l’autre côté de la frontière linguistique pose aussi un problème lors de la distribution d’un livre : en tant qu’éditeur flamand, comment bien distribuer son livre flamand traduit en français ? La libraire Muriel Collart pointe que certaines maisons d’édition essaient de contourner cette dichotomie culturelle : les éditions Maelström publient des ouvrages bilingues et les éditions Tétras Lyre publient des traductions d’auteurs flamands.
Prix littéraires et médias sociaux : la prescription est-elle le meilleur rayonnement ?
Pour Rudy Vanschoonbeek, les prix littéraires participent du rayonnement d’un livre bien plus qu’un article de presse et permettent de découvrir des auteurs par-delà les frontières linguistiques. Natacha Wallez explique que, dans les bibliothèques, les prix sont particulièrement mis en avant, surtout pour la littérature jeunesse. Quand le bibliothécaire n’est pas présent, les prix littéraires font office de guide. Pour un bon rayonnement, Rudy Vanschoonbeek épingle également les médias sociaux, qui permettent de toucher beaucoup plus de lecteurs potentiels que les médias traditionnels, pour un coût bien moindre. Pour Natacha Wallez, les lecteurs qui demandent en bibliothèque des livres recommandés par des influenceurs sont encore très rares. Ariane Herman sent par contre beaucoup plus l’influence des bookstragrammeurs, à l’inverse de Muriel Collart à Paris.
Pour Dimitri Piot, artiste visuel, beaucoup d’éditeurs semblent ne plus faire leur job : les œuvres ne sont plus mises correctement en avant, faute de surproduction (on parle de 5 000 nouvelles BD qui paraissent chaque année) et de place dans les points de vente physiques. Pour un auteur qui a travaillé durant 4 ans sur un projet, c’est difficile à encaisser à tout point de vue. C’est pourquoi les auteurs doivent prendre conscience qu’ils sont des couteaux suisses : scénographie, cinéma…
Il existe des chemins alternatifs dans la création, qui peuvent permettre à un auteur de prendre son indépendance par rapport à son éditeur. Le distributeur automatique de BD Blowbook, dont nous vous parlions ici, est né de ce constat : il s’agit d’aller chercher de la visibilité ailleurs qu’en librairie, être présent là où les livres ne sont pas présents, tout en rendant la culture accessible économiquement. Blowbook propose par ailleurs un marché de l’édition équitable : un auteur perçoit 20 % (contre 10 % dans le circuit classique) des 5 euros et l’hôte du distributeur 20 % aussi. 20 % sont consacrés à la fabrication, tandis que les 40 % restants sont réservés à la structure éditoriale, notamment pour élaborer les productions futures.
Le livre francophone belge peut rencontrer un certain succès. Pour ce faire, il doit être correctement mis en valeur par les maisons d’édition et les points de vente. Les passeurs de lecture que sont les libraires et les bibliothécaires occupent ainsi une place stratégique dans le rayonnement du livre made in FWB. Les prix littéraires participent de ce rayonnement, tandis que les médias sociaux commencent à jouer un rôle dans certaines librairies. Face à une concurrence rude, les auteurs doivent aussi apprendre à utiliser leur plume dans les arts voisins, tandis que certaines innovations dans la distribution méritent d’être explorées.
Retrouvez ce compte-rendu ainsi que d’autres billets sur le blog du PILEn.
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— Gilles Simon