Vers la production de livres numériques nativement accessibles

Dans le cadre de l’EPUB Summit organisé par EDRLab à la Bibliothèque royale de Belgique, Luc Audrain, l’un des membres de la Direction Innovation du groupe éditorial Hachette Livre, interviendra le jeudi 9 mars à Bruxelles. Pour Lettres Numériques, il revient sur la question cruciale de l’accessibilité des livres numériques.

Pourriez-vous présenter brièvement votre fonction au sein du groupe Hachette Livre ?

Je joue un rôle d’expert technique sur les standards et les formats numériques et j’assure un support à toutes les maisons d’édition du groupe Hachette Livre pour les questions de numérisation. En tant que membre de l’IDPF depuis 2011 et du W3C depuis 2013, je soutiens le développement du format ePUB. Je travaille également à la distribution des métadonnées, en particulier via le format ONIX du groupe international EDItEUR auquel je participe. Je définirais ma fonction comme celle d’un contributeur à l’évolution et à la distribution des standards de la chaîne du livre numérique au profit des éditeurs du groupe.

Quels sont les enjeux de l’accessibilité pour un éditeur ?

Luc AudrainIl en existe plusieurs. Tout d’abord, l’enjeu du marché : certains lecteurs, comme les personnes aveugles et malvoyantes, souffrent d’un manque d’accès à la lecture et aux nouveautés publiées par les éditeurs généralistes. Si une offre accessible était proposée, le marché se développerait assez rapidement parce que la demande de livres adaptés est très forte.

Il y a ensuite des enjeux règlementaires : tant au niveau national qu’au niveau européen, des directives et des lois ont été mises en place ou sont en discussion pour que les livres soient adaptés.

Il y a enfin l’amélioration des processus de production des livres, car les bonnes pratiques d’accessibilité bénéficient à la création et à réutilisation des contenus. La précision est essentielle pour la structure de l’information, notamment dans le cas de la réutilisation massive des contenus pratiques. Par exemple, si le contenu d’un livre de cuisine a été conçu nativement accessible, il sera plus facile de le diffuser en papier, mais aussi en ebook, sur un site web, via une application, etc.

Quels sont les freins qui empêchent les éditeurs de rendre leurs contenus accessibles ?

Jusqu’il y a peu, la raison pour laquelle les éditeurs généralistes comme Hachette Livre ne rendaient pas leurs livres accessibles était l’absence de prise en compte du format standard ePUB 3 par certaines plateformes de revendeurs. Ce blocage a subsisté jusqu’à la fin de l’année 2015 mais le passage de la distribution à l’ePUB 3 a permis d’installer des paramètres d’accessibilité dans la structure des contenus.

Depuis mars 2016, la production de contenus en ePUB 3 est appliquée pour les contenus simples (essentiellement du texte avec parfois quelques images), qui représentent la majorité du marché. Cette évolution est facile à réaliser pour les fournisseurs car le supplément par rapport à la fabrication de l’ePUB 2 est modeste et atteignable sans surcoût.

Par contre, la situation est différente pour les livres illustrés contenant un grand nombre d’images, comme les bandes dessinées ou les traités de mathématiques. La complexité des maquettes, qui sont signifiantes pour ces contenus, est très difficile à rendre accessible et leur production engendrerait des charges financières disproportionnées.

EPUB3

Comment œuvrez-vous techniquement à rendre vos ebooks accessibles ?

Nous travaillons à l’utilisation du vocabulaire de la norme ONIX pour expliciter les critères d’accessibilité dans les métadonnées qui doivent être transportées sur la chaîne de distribution.

La question de la labélisation est également en chantier actuellement : l’idée serait de disposer d’un organisme qui pourrait certifier qu’un livre est accessible (à l’instar de la Fondation LIA en Italie). Chez nous, des initiatives de ce type existent déjà pour les sites web par exemple, mais pas encore pour les ebooks.

Le groupe Hachette Livre propose-t-il une offre pour les publics malvoyants ou dyslexiques, à l’image du projet lancé par Mobidys en collaboration avec les Éditions Nathan (nous en parlions dans cet article) ?

Des adaptations qui ne sont pas systématiquement prises en charge dans la production sont possibles et il existe une notion de baseline introduite par le Consortium DAISY (relire notre article sur le format DAISY), un socle fondamental d’accessibilité pour les lecteurs aveugles ou malvoyants (qui représentent 5 à 10% de la population). Ces adaptations consistent en la présentation du texte dans l’ordre de lecture, l’instauration d’une table des matières dynamique, la description des images, etc. Les livres de texte simple qui sont nativement accessibles atteignent déjà un premier niveau d’adaptation, qui devra dans certains cas être complété pour atteindre des niveaux plus spécialisés.

Pour la dyslexie, des expériences ponctuelles ont été mises en place dans certaines maisons d’édition mais sont encore au stade de la recherche. En effet, la population touchée est plus restreinte que celle qui souffre de malvoyance, et les enjeux sont plus importants car ils impliquent une charge de traitement supplémentaire, comme la découpe et la colorisation des syllabes, l’accompagnement audio ou la découpe en unités de sens.

Quelle est la mission du groupe de travail Normes & Standards que vous dirigez au sein du Syndicat national de l’édition ?

SNEIl s’agit d’un groupe qui rassemble toute l’interprofession : à la fois les éditeurs membres du SNE, mais aussi le Syndicat de la librairie française, la Bibliothèque nationale de France, le Ministère de la Culture, le laboratoire EDRLab et les distributeurs. Cette année, la réflexion porte sur l’accessibilité et la mission du groupe est de fournir aux éditeurs membres des pistes, des recommandations et des outils pour rendre leurs publications accessibles. Par exemple, nous rédigeons la traduction française des techniques d’accessibilité établies par l’IDPF. Nous travaillons également à intégrer un maximum d’ingrédients d’accessibilité dans un ebook au format ePUB 3 qui servira de modèle de code et sera fourni sur demande.

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— Loanna Pazzaglia

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