Écritures numériques : entretien avec Nicolas Maigret

Cette semaine, Lettres Numériques vous emmène à la rencontre de Nicolas Maigret, précurseur dans la réflexion artistique sur le numérique et artiste en résidence à l’UCL. Accompagné de son collectif Disnovation.org et d’autres artistes pratiquant les arts numériques, ils ont mis en place l’exposition Écritures Numériques au Musée L de Louvain-la-Neuve, une réflexion sur notre monde actuel et notre rapport à la technologie. Focus sur son parcours et son expérience durant l’année académique Mondes Numériques.

Comment votre parcours vous a-t-il amené à pratiquer les arts numériques ?

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J’ai étudié en école d’art à Besançon avec une spécialisation en arts inter-médias. À cette époque, c’est-à-dire dans les années 90, les supports qui étaient les plus influents étaient justement les médias du monde numérique. Cela m’a alors semblé évident d’approcher ce domaine dont l’impact sur la société devenait alors évident. Il était alors question d’observer les tensions et les transformations qui résultaient du numérique. Il y avait des premières initiatives qui se développaient à l’époque, mais c’était en train de se définir. J’ai également fait des études de philosophie et suivi un cycle de recherche sur la spécialisation dans les réseaux numériques qui a aussi influencé mon travail.

Comment expliqueriez-vous les arts numériques à un novice ?

Les arts numériques, c’est une discipline valise qui recouvre énormément de choses très différentes. C’est l’ensemble des artistes qui travaillent avec des outils numériques. Bien sûr actuellement, beaucoup de gens travaillent avec le numérique, comme les photographes, aussi serait-il sans doute plus judicieux de parler de la production et de la diffusion d’une réflexion sur les impacts et les enjeux du numérique, les transformations radicales qu’il produit sur la société. C’est cela qui devient l’axe central de notre recherche.

Comment avez-vous intégré votre résidence à l’UCL dans votre emploi du temps ?

La résidence a demandé un peu d’organisation, car le collectif est basé à Paris et que l’on travaille beaucoup à l’étranger. Les séminaires donnés aux étudiants se déroulaient de manière intensive toutes les deux semaines, ce qui était plus facile à organiser. Nous avons travaillé avec les étudiants à une réflexion sur les boîtes noires technologiques qui pouvaient influer sur le quotidien des étudiants : des algorithmes de recommandation, des assistants vocaux sur smartphones, des systèmes GPS, des applications de retouches automatisées de photos. Il s’agissait d’appareils ou d’algorithmes fournis par des géants de l’informatique et dont on ne connaissait pas forcément le contenu, les intentions, les enjeux. Nous avons alors établi des méthodologies pour les rendre discutables et que cela devienne l’objet d’un débat. Les résultats seront d’ailleurs présentés lors de l’exposition Black Boxes, qui se tient du 8 au 22 mai au Musée L.

Avez-vous déjà eu des retours sur l’exposition Écritures Numériques ?

À plusieurs reprises, oui, car nous sommes présents toutes les deux semaines avec le collectif. Nous avons pu rencontrer des étudiants, des scientifiques et des professionnels. Cette exposition génère du débat et des interrogations, ce qui est le but de notre recherche. Cette exposition offre une place à des récits alternatifs sur l’innovation.

Comment fonctionnez-vous pour mettre en place ce genre d’exposition ?

Nous travaillons principalement de manière collective. L’équipe du Musée L nous a épaulés, mais nous développons au préalable la mise en espace et la présentation des œuvres. Nous avons travaillé à plusieurs sur l’exposition, notamment avec Maria Roszkowska du collectif Disnovation.org. Notre objectif était de mettre en avant les intentions, les projets et les objets de recherche sur lesquels nous travaillons récemment. 

À travers le projet Shanzhai Archeology, nous avons étudié les différentes mutations qui ont eu lieu dans le champ de la fabrication d’objets technologiques en Chine, nous nous sommes notamment penchés sur la production de téléphones. Pour cela, nous avons travaillé avec la designer chinoise Yuan Qu et l’anthropologue Clément Renaud.

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Qu’est-ce qui a déterminé le choix des 3 œuvres de votre collectif Disnovation.org, présentées dans l’exposition ?

Elles recoupent les projets les plus récents sur lesquels nous travaillions cette année, et questionnent les imaginaires technologiques. Ce sont des processus de recherche et de développement qui évoluent en permanence. Par exemple, le Predictive Art Bot est un algorithme de prédiction qui surveille les réseaux sociaux et les articles qui y sont les plus partagés. Il met en évidence des mots-clés influents avec lesquels il produit des œuvres d’art. C’est important à étudier, car les nouvelles échangées ont un fort impact sur l’imaginaire populaire.

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Blacklists est un ensemble de livres constitués de listes de sites indésirables. Ces dernières sont fournies par des entreprises dont le fonds de commerce est de vendre d’énormes listes de contenu qui pourraient être perçues comme « indésirables » par certaines audiences. Elles sont utilisées par la suite par des institutions pour filtrer du contenu. Les responsables d’un aéroport pourraient, par exemple, bloquer les contenus en lien avec des armes ou des jeux en ligne. Les listes présentées datent du début d’année et depuis certains sites ont déjà changé de nom ou de forme. Dans l’exposition présentée à Louvain-la-Neuve, on retrouve un système de traduction de l’ensemble du dispositif du Predictive Art Bot pour en assurer une meilleure compréhension.

Intéressé par les arts numériques et les projets de Nicolas Maigret et de son collectif Disnovation.org ? Rendez-vous à Louvain-la-Neuve pour assister aux trois événements à venir :

  • La conférence Black Infrastructure, une analyse par Régine Debatty et Baruch Gottlieb des infrastructures physiques dont dépendent les innovations technologiques. Lundi 7 mai de 20h à 22h à l’Auditoire Leclercq 93. 
  • L’exposition Black Boxes, la présentation du travail des étudiants du séminaire « Artiste en Résidence 2018 » sur les boîtes noires technologiques, particulièrement influentes dans leur quotidien. Le vernissage aura lieu le mardi 8 mai de 18h à 20h au Musée L et donne accès aux expositions permanentes, ainsi qu’à l’exposition temporaire Écritures Numériques. Black Boxes sera ensuite ouverte au public jusqu’au 13 mai.
  • L’exposition Écritures Numériquesun espace de découverte et d’expérimentation interactive des nouvelles technologies : du détournement au piratage en passant par la censure. À découvrir au Musée L jusqu’au 13 mai.

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— Aude Luyckx

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