Le marché numérique du manga au Japon

Le Japon, mondialement connu pour sa production de mangas, de jeux vidéo et de dessins animés, est aussi une figure de proue en matière d’innovation technologique. En ce début d’année 2018, l’édition numérique et la consommation digitale de mangas ont dépassé les ventes papier de ces ouvrages illustrés, un moment historique pour ce secteur. Pour en apprendre plus sur ce marché, nous avons rencontré le CEO de l’entreprise spécialisée en mangas et jeux vidéo VIZ Media Europe, M. Kazuyoshi Takeuchi, en juin dernier lors du rassemblement Readmagine.

Si vous êtes déjà allé au Japon, vous l’aurez sûrement remarqué : dans le métro, tous les voyageurs autour de vous ont la tête penchée sur leur smartphone, absorbés par la lecture d’un manga. Synonyme de liberté d’expression et de subversion politique, cette bande dessinée constitue un élément à part entière de la vie culturelle japonaise. Des festivals y sont consacrés, un quartier de Tokyo lui est entièrement dédié, des rassemblements de fans ont lieu chaque semaine… C’est un véritable phénomène, qui dépasse largement les frontières de l’île nippone.

Pourtant, le marché a dû faire face à un creux entre 1996 et 2015, alors que la vente de manga papier connaissait une forte diminution, les lecteurs se tournant vers une utilisation massive d’Internet et d’autres produits créatifs (télévision, jeux vidéo, musique, etc.). La valeur du marché des livres et des magazines a ainsi perdu jusqu’à 9 milliards d’euros en vingt ans. Cependant, l’innovation technologique et l’apparition du livre numérique a permis de redresser la barre et de donner un second souffle à cette industrie.

Sauvé par le digital

Aujourd’hui, le marché digital du manga est omniprésent dans cette nation de 127 millions d’habitants et l’innovation technologique permet d’assurer une croissance de marché. La preuve en est, en 2018, les ventes et la consommation numérique ont dépassé les ventes papier de mangas, un cap historique pour le secteur. Phénomène d’autant plus impressionnant lorsque l’on sait qu’en Europe ou aux États-Unis, les ebooks peinent à se faire une place aux côtés des livres papiers.

Au Japon, entre 2016 et 2017, les ventes de mangas numériques ont augmenté de 17 %, tandis que le marché des livres papier a continué de chuter. Les mangas numériques représentent aujourd’hui 11 % de parts de marché de l’industrie de l’édition globale (Source : Special Edition, Electronic publishing, Shuppan Geppou, janvier 2018). L’industrie de l’édition dans sa totalité prend en compte l’édition papier et l’édition numérique, tous genres littéraires confondus.

Comment cette impressionnante progression du manga numérique s’explique-t-elle ?

Lors de notre rencontre, M. Takeuchi, CEO de VIZ Media Europe, a exposé des chiffres sur la consommation de mangas numérique au Japon qui parlent d’eux-mêmes :

– 43 % des livres numériques lus en 2017 étaient des mangas ;

– 50 % des lecteurs d’ebooks ont moins de 30 ans ;

– 52 % d’entre eux lisent leurs ebooks sur smartphone, 22 % sur iPad et 21 % sur ordinateur. Les 5 % restant utilisent des liseuses électroniques.

Un public jeune et connecté se montre donc très friand de mangas, lisant sur leur téléphone portable toujours à portée de main et s’identifiant aux personnages. De l’école à l’amour, le manga aborde tous les thèmes de la vie quotidienne, alors que les mœurs du pays sont très pudiques et que de nombreux problématiques sociales, comme la dépression ou l’isolement à l’école, sont habituellement tues en société.

Un véritable commerce

Selon M. Takeuchi, il existe au Japon plus de 100 applications pour smartphone en lien avec les mangas : lecture interactive, jeux, communautés de lecteurs, etc. 30 % d’entre elles sont gratuites, les autres sont payantes, soit partiellement ou totalement. Un véritable commerce s’est donc développé autour de l’édition numérique de mangas, sans compter l’attrait que ces applications représentent pour les annonceurs.

Suite à ces innovations et aux nouveaux modes de consommation, le Japon s’organise également pour lutter contre le piratage informatique. Cinq grandes sociétés productrices de mangas et jeux vidéo (Animate Corporation, Kadokawa Corporation, Kodansha Co. Ltd, Shueisha Co. Ltd et Shogakkan Co. Ltd) se sont rassemblées sous l’égide de la « Japan Manga Alliance » pour réfléchir à ces questions. Le monde de l’édition du manga au Japon est par ailleurs très régulé et des lois ont été instaurées dans le pays pour démanteler tout monopole sur ce marché.

Pour le futur du manga japonais, l’innovation n’est pas près de s’arrêter là : les mangas seront bientôt enrichis et proposés en réalité augmentée, pour permettre aux lecteurs numériques une immersion complète (voir la vidéo jointe à cet article). Lorsque qu’il s’agit d’allier innovation et contenu créatif, le Japon maintient donc sa place parmi les grands précurseurs !

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— Nathalie Debusschere

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