We are Muësli : des jeux vidéo à la frontière entre monde numérique et monde physique

Depuis cinq ans, le concepteur indépendant We are Muësli (constitué de Claudia Molinari, en charge du design graphique et de Matteo Poezi, en charge de l’écriture) crée des jeux vidéo narratifs de courte durée, combinant une conception graphique soignée et originale à la narration de grands sujets culturels, artistiques ou historiques. Nous avons rencontré le duo milanais à l’occasion de la Foire du Livre de Francfort, en octobre dernier.

claudia molinari et Matteo Poezi_portraits

Le jeu peut revêtir de multiples acceptions : pour Claudia Molinari et Matteo Poezi, il se définit avant tout comme une histoire un peu à part, racontée à la première personne du singulier, où le joueur se confond avec le protagoniste. En raison du lexique très technique et souvent obscur utilisé dans le monde du jeu vidéo (où l’on retrouve des mots comme « gamification », « leaderboard », etc.), celui-ci souffre souvent d’une vision stéréotypée.

We are Muësli cherche à donner au public jeune une autre vision du jeu vidéo, mais aussi de la culture, en associant ces deux dimensions dans des expériences inédites. Généralement commandés par des institutions culturelles comme des musées (qui garantissent une liberté d’expression totale pour les artistes et mettent à leur disposition leurs archives), mais aussi des librairies ou des centres culturels, les jeux mis au point fonctionnent principalement sur PC et Mac, et encore assez peu sur tablettes et smartphones. Les deux concepteurs envisagent cependant d’améliorer cette accessibilité.

we are muesli

Dans ces jeux d’un genre nouveau, spécialement adaptés aux propos et contenus traités, la compétitivité est absente : leur fonction est avant tout de satisfaire le besoin de découverte des utilisateurs. Un lien est créé entre monde physique, réalité historique, et le contenu digital. En voici quelques exemples :

  • Cave ! Cave ! Deus Videt ! (disponible sur PC, Mac, Linux, Android et IOS, en italien, anglais et espagnol) : en français « Attention ! Attention ! Dieu regarde ! », ce jeu inspiré des peintures de Jérôme Bosch fait la part belle à l’interactivité, au point que de nombreux joueurs ont éteint leur téléphone portable lorsque le jeu le leur a demandé. Il permet de revisiter les œuvres du peintre hollandais du XVesiècle à travers le personnage d’un ado à capuche qui fait d’étranges rencontres au cours d’une visite de musée…
  • Le jeu Venti Mesi (gratuit ; disponible sur PC, Mac, Linux) ou « Vingt mois » en français, s’intéresse à la lutte contre le fascisme entre septembre 1943 et avril 1945, à travers vingt histoires basées sur des événements réels, choisies pour sensibiliser le joueur. Il se construit à partir des décisions que prend le joueur. Le jeu contient des vraies références afin de sensibiliser le joueur à ce sujet. Dans ce jeu inédit, les développeurs ont souhaité faire entrer l’environnement digital dans l’environnement physique, pour qu’il ne constitue pas un univers clos et à part.
  • The Great Palermo (gratuit ; disponible en anglais et en italien sur PC, Mac, Linux, Android, IOS) ou « Le Grand Palerme » en français, s’inspire du folklore local. Il a connu un tel succès que la galerie d’art de la ville a décidé d’exposer les peintures montrées dans le jeu. On le constate : dans ce cas, le numérique a été extrait de son contexte pour rejoindre le monde analogique, ce qui montre la porosité des frontières entre les deux mondes.
  • Le jeu We’ll meet again (disponible en anglais sur PC et Mac) adopte une autre approche. Il est conçu pour deux joueurs qui doivent s’entraider pour arriver à la solution : le joueur A voit et le joueur B entend. Chacun des indices reçus par le joueur A est essentiel pour le joueur B, et vice versa. Les développeurs veulent ainsi souligner la capacité des jeux à créer du lien lorsqu’ils se référencent à la réalité.
  • De la même manière, le jeu Siheyu4N (disponible sur PC, Mac, Android et IOS) est un jeu collaboratif destiné à deux joueurs qui ne se connaissent pas et devront élaborer ensemble des stratégies. Son but est de rassembler des joueurs en leur donnant un objectif commun. Comme dans les jeux précédemment cités, il est essentiel que le monde physique et le monde digital soient combinés.
  • Enfin, les concepteurs ont développé un autre concept avec les dewey rooms, où « l’histoire, les arts et la culture ne doivent pas seulement être appris, mais aussi vécus ». À l’opposé du concept des escape rooms traditionnelles qui consiste à fuir une menace surréaliste et effrayante, les dewey rooms se construisent sur des faits historiques, où les joueurs devront par exemple trouver l’identité d’un personnage historique sur une photo, ou replacer un document historique dans son contexte. Une manière ludique et originale de redécouvrir la grande et la petite histoire !

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— Elisabeth Mol

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