Réseau Canopé et l’édition numérique nativement accessible

Lettres Numériques est parti à la rencontre d’Ariane Mizrahi, responsable d’édition au sein de Réseau Canopé. Accompagnée de deux de ses collègues, Ludovic Oger et Ludovic Bal, anciennement transcripteurs en braille, elle nous a parlé du rôle, des projets et de l’ambition de Réseau Canopé en matière d’accessibilité numérique.

Lettres Numériques : Avant toute chose, pourriez-vous vous présenter et expliquer brièvement les origines de Réseau Canopé ?

Photo_MizrahiAriane Mizrahi : Je suis responsable d’édition transmédia à Réseau Canopé dans la direction territoriale des Hauts-de-France. Réseau Canopé est un organisme public rattaché au ministère de l’Éducation nationale français. Il a pour vocation d’accompagner les enseignants dans leurs pratiques pédagogiques et notamment par la publication de ressources documentaires : ouvrages, ressources numériques en ligne, productions audiovisuelles et transmédia… En tant que Réseau Canopé, il n’existe que depuis cinq ans, mais il est la réunion d’établissements auparavant indépendants : le Centre national de documentation pédagogique ainsi que ses homologues régionaux, CNDP et les CRDP. Réseau Canopé résulte de leur réunion en un établissement unique.

Quel est le rôle de Réseau Canopé dans l’amélioration de l’accessibilité numérique pour les personnes malvoyantes ?

A.M. : Comme tout éditeur, et a fortiori comme tout éditeur public, nous avons une obligation légale de rendre le contenu accessible à tous. Il se trouve que dans notre service de la région des Hauts-de-France, nous avons une spécificité historique qui fait que nous sommes plus particulièrement intéressés par ce sujet. Originellement, à Lille, il y avait un service braille (ensuite édition adaptée) qui s’occupait de la production de manuels scolaires et d’examens nationaux en braille et en gros caractères pour les rendre accessibles. Ensuite, il y a maintenant trois ans, ce service a été intégré à l’édition transmédia. Nous sommes donc particulièrement intéressés par l’accessibilité dans notre service.

Quels sont vos projets, en cours ou à venir, pour améliorer l’accessibilité numérique ?

A.M. : Pour ce qui est des ressources documentaires, il y a plusieurs services comme le mien dans toute la France (treize en tout). Toutes les productions éditoriales de Réseau Canopé sont produites par ces différents services. Nous nous sommes concentrés depuis deux ans sur la production de livres numériques en nous axant particulièrement sur l’accessibilité numérique. Notre expérience et les compétences de mes collègues Ludovic Oger et Ludovic Bal, acquises en transcription braille, ont été mobilisées dans ces projets. Ces différentes compétences sont intéressantes car on peut les transposer dans le domaine du livre numérique. C’est quelque chose que l’on applique systématiquement dans les productions numériques et notre projet, actuel et en cours, est de distiller ce savoir à l’ensemble de nos collègues du réseau.

Plus spécifiquement, quelles sont les difficultés que pose l’adaptation ou la création de contenus accessibles ?

Ludovic Oger : À mes côtés, il y a Ludovic Bal, mon collègue. Nous étions transcripteurs en braille et nous nous sommes mis au livre numérique en intégrant le service. Avec notre expérience de la transcription en braille embossé, on désirait que les livres numériques soient lisibles en braille et par les synthèses vocales. On voulait quelque chose de confortable pour les lecteurs. Notre difficulté principale est que l’on ne travaille pas sur des fichiers textes purs, mais bien sur des manuels avec des visuels complexes, des graphiques, des tableaux, des formules mathématiques… Rendre tout cela accessible n’est pas forcément évident. Le problème que l’on rencontre systématiquement consiste en un manque de description des images de la part des auteurs. C’est très rarement fait et c’est notre premier problème.

Selon vous, quelle serait la priorité pour résoudre les problèmes d’accessibilité de façon générale ?

L.O. : Une des premières choses serait que les logiciels de lecture ou les liseuses interprètent correctement le format de livre numérique que nous utilisons : ePub3. Sur chaque plateforme, il y a au moins une application qui l’interprétera correctement, mais après, il faut que ces applications interagissent convenablement avec les lecteurs d’écran. Par exemple, chez Apple, depuis quelques versions du système d’exploitation mobile iOS, le lecteur d’écran d’Apple, VoiceOver, fonctionne de plus en plus mal avec iBooks, l’application de lecture intégrée dans iOS. Il y a une vraie dégradation. Des choses qui fonctionnaient très bien il y a deux ans ne fonctionnent plus du tout. C’est donc soit le lecteur d’écran qui est à la peine, soit l’application de lecture. Les normes évoluent, elles s’affinent, et il y a peut-être un manque de réactivité de la part des éditeurs de logiciels ou de lecteurs d’écran pour suivre la cadence.

Pensez-vous qu’il sera un jour possible d’établir une édition de contenus nativement accessibles, de façon globale ?

L.O. : De façon globale, il y a une tendance qui se dégage dans les ouvrages littéraires, sans mise en page compliquée, où il est plus facile de mettre en place l’accessibilité. Cependant, nous travaillons sur des ouvrages beaucoup plus complexes et il faut également prendre en compte qu’un éditeur a des impératifs de rentabilité à suivre.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose à cette interview ?

A.M. : Ce que l’on peut ajouter, c’est que nos publications sont à visée pédagogique, pour les enseignants, mais nous avons un savoir-faire universel qui pourrait s’adapter à tous les contenus. C’est donc un écosystème auquel nous participons lors de tables rondes, de réunions, de colloques et nous apportons notre contribution à l’utilisation de ces normes et à leur généralisation. Et, pour revenir à votre précédente question, avoir des contenus nativement accessibles, c’est ce à quoi on travaille et ce vers quoi on tend. Les pouvoirs publics ont aussi un rôle incitatif par l’aspect de la réglementation. Il est vrai que les éditeurs privés ont des intérêts économiques qui peuvent induire des chemins et des résultats différents. Mais, ce vers quoi on tend, c’est établir une édition nativement accessible et pas seulement une adaptation comme auparavant. C’est quelque chose de très enthousiasmant et prometteur.

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— Jean Cheramy

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