Le traducteur à l’ère des nouvelles technologies

Le 06 mai 2019, le CIRTI (ULiège) organisait une journée d’étude autour d’un thème riche et controversé : le traducteur à l’ère des nouvelles technologies. Professeurs, étudiants et professionnels de la traduction s’étaient réunis en nombre à cette occasion dans la salle du théâtre universitaire de l’université de Liège. Le colloque s’articulait autour des présentations de dix intervenants du monde universitaire venus présenter leurs recherches.

Retrouvez le compte-rendu des interventions, disponible en deux parties, ici et ici.

Lors de ce colloque, Guillaume Deneubourg, président de la Chambre belge des traducteurs et interprètes, a mis en garde contre les nombreuses dérives de la technologie à l’heure actuelle, souvent utilisée pour justifier des baisses tarifaires. L’équilibre est difficile à atteindre, mais il est toutefois nécessaire de trouver un juste milieu pour « dissiper les craintes des traducteurs et tempérer l’optimisme des clients ».

Valérie Bada, directrice du CIRTI, a donné quant à elle un exemple de traduction automatique pertinent : un extrait de Robinson Crusoë traduit par DeepL. Elle démontre ainsi l’incapacité de la machine à traduire la complexité de la pensée et de la créativité humaines.

La traduction automatique en question

La récente amélioration de la qualité de la traduction automatique et le développement des systèmes dits neuronaux, par opposition aux systèmes statistiques, suscitent aussi bien de l’intérêt que des craintes. Le gain de productivité s’accompagne en effet trop souvent d’une réduction des coûts.

Il existe actuellement deux grandes familles de systèmes de traduction automatique :

  • les systèmes généralistes, tels que Google Translate ou DeepL. Ces outils en ligne gratuits couvrent de nombreux domaines, mais sont peu performants dans les domaines spécialisés ;
  • les systèmes spécialisés dans un domaine ou créés spécifiquement pour une entreprise, disponibles en open source ou commercialisés.

L’usage de ces deux types de systèmes diffère (grand public versus traducteurs et professionnels), tout comme la qualité attendue.

À un niveau professionnel, la présence de l’humain reste tout de même requise. Le traducteur devra donc acquérir de nouvelles compétences, puisqu’il doit corriger le texte produit par la machine et endosser ainsi la casquette de post-éditeur. Le processus est différent de celui de la traduction et de la révision, mais il permettrait :

  • un gain de productivité, variable en fonction du post-éditeur et du domaine de spécialisation du texte ;
  • une réduction des coûts ;
  • une augmentation du volume de traduction.

La traduction automatique n’est donc pas un ennemi à vaincre à tout prix, mais un outil au service du traducteur, qu’il faut apprivoiser.

Mémoire de traduction et traduction automatique

La frontière entre traduction automatique et mémoire de traduction semble s’estomper. La plupart des systèmes de mémoire de traduction intègrent en effet la traduction automatique neuronale dans l’éditeur. Nous voyons même apparaître une traduction automatique personnalisée, qui prend en compte les corrections du post-éditeur. C’est notamment le cas d’Adaptive TM dans SDL Trados, mais les résultats ne sont pas encore concluants. Quoi qu’il en soit, l’utilisation de cette nouvelle technologie soulève de nombreuses questions juridiques sur la confidentialité.

De nouvelles tendances se dessinent donc dans les outils d’aide à la traduction. La traduction automatique est certainement l’un d’entre eux, même si elle doit encore faire face à de nombreux défis. Il faudra pouvoir tirer profit des avancées technologiques et développer des outils spécialisés et mieux adaptés à la traduction littéraire. Il s’agit donc d’un domaine d’étude prometteur, mais qui nécessite d’informer les acteurs du marché sur le fonctionnement du métier pour éviter les dérives.

De nouveaux outils et de nouvelles compétences pour le traducteur

Récemment, le Centre de traduction des organes de l’UE (Cdt) a dû répondre aux besoins croissants de ses clients sans augmenter l’effectif. Mission impossible ? C’est sans compter le rôle joué par la technologie :

  • les outils de terminologie (IATE, ECHA-term) ;
  • la gestion automatique des traductions et de la disponibilité des traducteurs (portail eCdt) ;
  • la mémoire de traduction (Euramis) ;
  • et la traduction automatique.

Il y a peu, le Cdt a développé son propre outil de traduction automatique : e-translation, un système neuronal commun à l’ensemble de l’Union européenne, entraîné sur les textes de l’UE.

L’introduction de cet outil a bien sûr eu un impact sur le profil des traducteurs, qui doivent acquérir davantage de compétences en post-édition. S’ils étaient plutôt frileux au départ, l’outil leur semble aujourd’hui indispensable. Il faut bien sûr qu’il soit intégré dans une panoplie d’autres outils, et ce toujours dans le respect des délais et de la qualité des traductions.

Une formation académique en post-édition ?

Avec le passage des systèmes de traduction automatique statistiques aux systèmes neuronaux, le métier de traducteur évolue vers la post-édition. Une formation académique en post-édition est-elle dès lors nécessaire ?

Une étude de Perrine Schumacher (ULiège) a démontré qu’il n’y a en tout cas pas de corrélation entre le mode de traduction et la qualité du texte traduit.

Pour la chercheuse, les moins bons profils en bénéficieraient, au contraire des meilleurs étudiants qui risqueraient de se sentir brider dans leur créativité. L’organisation de cette nouvelle formation devra donc se mettre en place plus tard, l’essentiel étant d’abord de former de bons traducteurs. Une certitude : l’intervention humaine est impérative, notamment pour évaluer les résultats de la machine.

Le rôle du post-éditeur est d’assurer la cohérence et la cohésion du texte. La traduction automatique neuronale s’accompagne en effet d’une série de ruptures du point de vue de la cohésion et de la cohérence, notamment au niveau des reprises anaphoriques de pronoms (it et il), des connecteurs logiques, des variations terminologiques, des acronymes, etc.

Il s’agit là de la valeur ajoutée de l’humain par rapport à la machine, puisque le traducteur mobilise aussi sa connaissance du monde et des clients.

Il est donc primordial de former les apprenants à la post-édition pour qu’ils puissent acquérir une conscience linguistique et déjouer les pièges de la traduction automatique. La machine permet certes un gain de temps, mais elle influence également la subjectivité du post-éditeur. Si la traduction automatique est un outil, la traduction humaine se caractérise par sa variété.

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— Cynthia Prévot

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