Auteurs numériques, web-rédacteurs, blogueurs lésés en termes de droits d’auteurs
La question des droits d’auteurs digitaux a souvent été soulevée par Lettres Numériques. Cependant, un point n’a pas été réellement évoqué jusqu’à présent : la possibilité ou non qu’ont les auteurs littéraires (mais aussi journalistes, blogueurs, web-rédacteurs…) de bénéficier d’une rémunération compensatoire liée à la reprographie. Petit topo sur la question par Axel Beelen, juriste à la Société des auteurs journalistes (SAJ) et auteur du blog : www.ipnews.be .
Tout d’abord, qu’est-ce que la reprographie ?
La reprographie, c’est la rémunération compensatoire dont bénéficient en Belgique les auteurs (et les éditeurs d’ailleurs) depuis 1994 pour la photocopie de leurs œuvres. Le public peut, par exemple, photocopier un article d’un journal sans demander l’autorisation du journaliste ou du journal lui-même.
Les revenus de la reprographie proviennent de la vente des photocopieuses et de leur utilisation par les sociétés, les ministères et les établissements d’enseignement. Le système est donc transparent et rapporte aux membres de la SAJ par exemple plusieurs centaines d’euros par an.
Il s’agit donc d’un système transparent mais pourquoi le qualifie-t-on de bancal et discriminatoire ?
Depuis 2001, une directive européenne oblige tous les États européens à également rémunérer les auteurs pour les impressions de leurs articles, (c’est-à-dire pour la possibilité qui existe d’imprimer des articles à l’aide d’une imprimante). Cependant, la Belgique est toujours en défaut à ce sujet.
En d’autres termes, les auteurs qui écrivent uniquement pour le web (les journalistes des pure players, les bloggers, etc.) n’ont aucunement droit à recevoir une rémunération pour les impressions par le grand public de leurs articles ou de leurs photos postés sur internet alors que les journalistes « papier », eux, peuvent recevoir une rémunération pour les photocopies de leurs articles papier.
Il y a là une discrimination flagrante que le gouvernement fédéral refuse de pallier. Et ce depuis plus de 13 ans maintenant.
Qui est concerné par ce manque à gagner ?
Ce manque à gagner concerne tous les auteurs (ainsi que leurs éditeurs) qui écrivent pour le web. Il est difficile à chiffrer mais devrait être au moins équivalent à ce que les auteurs purement papier ont reçu via la reprographie. Notons également que cette situation concerne tant les auteurs d’œuvres littéraires (journalistes, écrivains) que les photographes pour leurs photos publiées sur internet.
Serait-il possible de chiffrer la perte que les auteurs et leurs éditeurs subissent depuis 2001 ?
C’est une somme difficile à chiffrer. En effet, les revenus de la reprographie sont issus des ventes des photocopieuses et de leur utilisation par les sociétés, ministères et établissements d’enseignement. La reprographie est, en Belgique, composée de deux éléments : un montant (minime) inclus dans le prix de vente des photocopieuses et un montant perçu auprès des sociétés, ministères et établissements d’enseignement du fait qu’ils photocopient, dans le cadre de leurs activités, des œuvres protégées. La hauteur des montants de ces deux éléments est déterminée à chaque fois par le Roi (et donc par le Ministre qui a le droit d’auteur dans ses attributions ; actuellement, il s’agit du Ministre de l’Économie).
Il est très difficile de déterminer actuellement les montants que le Roi pourrait mettre en place tant pour la partie incluse dans le prix de vente des imprimantes que pour les montants perçus pour les impressions par les sociétés, ministères et établissements d’enseignement. Mais gageons que la perte que les auteurs et éditeurs ont subie à cause de l’inaction des différents gouvernements en place depuis 2001 se monte à plusieurs millions d’euros.
Si le ministre acceptait d’intégrer cette redevance, qu’est-ce que cela entrainerait ?
Si le Ministre décidait (enfin) de mettre en place la reprographie « digitale », il devrait faire publier une grille tarifaire de montants à inclure dans le prix de vente des imprimantes, montants variant en fonction de la vitesse des imprimantes, si elles sont laser ou non, couleur ou non, etc. On pourrait donc penser que le prix de vente de ces imprimantes serait plus élevé. C’est totalement faux.
Est-ce que c’est un phénomène semblable à ce qui s’est produit quand on a ajouté une redevance à l’achat de clés USB et disques durs ?
On pourrait comparer les situations. La copie privée (donc non pas l’impression mais l’enregistrement sur support numérique) est un système comparable à celui existant pour la reprographie. La rémunération pour copie privée (prélevée par Auvibel alors que la reprographie est perçue par Reprobel) est incluse dans le prix de vente de certains supports et appareils permettant au public de reproduire numériquement des œuvres comme des chansons ou des films (et plus récemment, des œuvres littéraires et des photos).
On pense que le prix des imprimantes n’augmenterait pas car on se fonde sur une situation qui s’est déroulée en Espagne. Le système de la copie privée existe un peu partout en Europe, dont en Espagne. Il n’y a pas si longtemps, le gouvernement espagnol a décidé de supprimer les montants inclus dans les appareils et supports pour les remplacer par un montant fixe de quelques millions alloué à la société de gestion en charge de la copie privée. On aurait pu penser que dès lors le prix de ces appareils et supports (DVD, CD, clefs USB,etc.) allait diminuer. Or ce ne fut nullement le cas !
En réalité, les industriels réservent dans leurs comptes les montants relatifs à la reprographie et ils ne répercutent pas ces montants dans le prix de vente au public de leurs appareils (photocopieuses et imprimantes). Qu’ils doivent payer ou non de la reprographie, le prix de vente de leurs appareils restera toujours identique.
Vous venez de le mentionner, la copie privée a été étendue, elle, au digital. Qu’est-ce que cela signifie ?
Comme la reprographie, l’exception pour copie privée permet au public de reproduire les œuvres des auteurs sans leur demander leur autorisation. Alors que l’exception pour reprographie permet la reproduction par photocopie des œuvres littéraires et photographiques, celle pour copie privée permet la reproduction numérique (sur un disque dur, sur une clef USB, etc.) des œuvres.
Grâce à la copie privée, vous pouvez reproduire, pour vous, des œuvres musicales ou audiovisuelles (des films ou des reportages). Autrement dit, vous pouvez dupliquer un CD que vous possédez déjà mais vous ne pourrez pas donner ce CD à votre meilleur ami.
Mais ce qui nous intéresse dans ce cas, c’est que depuis un arrêté royal de 2013, vous pouvez aussi dorénavant reproduire des œuvres littéraires et photographiques sur les mêmes appareils et supports numériques.
Autrement dit, alors que les auteurs du web n’ont toujours pas droit à leur juste rémunération au titre de la reprographie digitale, ils ont enfin droit à recevoir une rémunération compensatoire au titre de la copie privée digitale (je dis enfin car le gouvernement aurait ici aussi dû modifier la situation depuis 2001!)
Pour recevoir cette rémunération, l’auteur doit s’affilier à une société de gestion et lui déclarer ses œuvres digitales.
Je voudrais ici mettre en évidence le fait que la Belgique prévoit une situation incomparable avec celle des pays avoisinants.
En effet, les revenus issus de la reprographie, de la copie privée et du droit de prêt, sont des revenus que l’auteur ne peut AUCUNEMENT céder à son éditeur. Les sommes issues des licences légales sont en effet dites incessibles. Qu’importe ce qui est dit dans le contrat auteur (écrivain, journaliste, photographe)-éditeur, l’auteur aura toujours droit à ces sommes d’argent via sa société de gestion.
L’inaction du gouvernement a donc une influence directe sur les revenus que les différents auteurs peuvent percevoir.
L’enseignement, c’est aussi un autre domaine où le gouvernement est en défaut, n’est-ce pas ?
Tout à fait. Alors qu’un professeur est autorisé à diffuser, sans l’avis de son auteur, une œuvre en classe dans une visée pédagogique, il n’existe aucun moyen pour l’auteur de récupérer des droits d’auteur sur cette utilisation.
La loi sur le droit d’auteur (qui date de 1994 et qui a maintenant été codifiée dans le Livre XI du Code de droit économique) permet aux enseignants la reproduction du travail des auteurs lorsque cette reproduction est réalisée « à des fins d’illustration de l’enseignement ou de recherche scientifique ». La loi permet aussi aux enseignants de communiquer électroniquement ces œuvres à leurs étudiants. L’e-learning est donc bien stimulé dans notre pays.
Cependant, la loi permet ces actes à la condition que les auteurs et les éditeurs reçoivent en échange une rémunération déterminée « en fonction des actes d’exploitation des œuvres ». Et même si le système a été mis en place dès 1998, le gouvernement, dans ce cas-ci aussi, n’a toujours pas permis aux auteurs et éditeurs de percevoir leur juste rémunération.
On en est arrivé aujourd’hui à se demander si les auteurs et éditeurs vont devoir entamer des longues et coûteuses procédures judiciaires pour enfin obtenir leur juste rémunération comme cela s’est déjà produit en matière de prêt public.
Et concernant la fiscalité du droit d’auteur, à quoi doit-on être attentif ?
Depuis 2008, les droits d’auteur sont taxés à hauteur de 15%. Et encore, la loi permettant également de déduire des frais forfaitaires, la taxation sera beaucoup moindre. Comparé à la taxation des salariés et des indépendants, il y a là une nette différence.
Pour les membres de la SAJ, cette loi, qui a fait une page au Moniteur belge en juillet 2008, est source de beaucoup d’interrogations et de problèmes. Après sa publication, certains journalistes indépendants se sont vus forcés de facturer leurs éditeurs uniquement en droits d’auteur tout en diminuant parfois même leur facturation!
Cependant, le législateur belge a, en 2008, oublié de préciser un point important. Alors qu’en France le législateur avait prévu que les cotisations de sécurité sociale des indépendants devaient également être perçues sur les droits d’auteur, le législateur belge a oublié de préciser ce point. Dès lors, en Belgique, la sécurité sociale des indépendants à titre principale reste uniquement basée sur ce qu’ils reçoivent en tant qu’honoraires. Il est dès lors extrêmement dangereux pour un indépendant à titre principal de facturer son éditeur uniquement en droits d’auteur puisque dans ce cas, il risque de ne plus avoir de sécurité sociale DU TOUT!
Cette situation a été confirmée par un juriste de l’INASTI lui-même (Vincent Franquet dans un livre publié chez Kluwer). Ce que la SAJ conseille de faire est d’établir une facturation en partie en honoraires pour 70% et une partie en droits d’auteur pour 30%.
À bon entendeur…
Vincianne D’Anna et Axel Beelen
Pour en savoir plus sur les sociétés de gestion collective : cliquez ici
- Sabam, pour les auteurs, compositeurs et éditeurs ;
- Sofam , pour les auteurs dans le domaine visuel ;
- PlayRight, pour les droits voisins des artistes-interprètes ;
- Simim, pour les droits voisins des producteurs ;
- SAJ, pour les droits d’auteur des journalistes ;
- Assucopie, pour les droits de reprographie des auteurs scolaires, scientifiques et universitaires ;
- Scam, pour les auteurs d’œuvres documentaires ;
- SACD, pour les auteurs d’œuvres audiovisuelles et dans le domaine du spectacle vivant ;
- Semu, pour les éditeurs de partitions de musique.
— Vincianne D'Anna