Qui fait la loi au pays de l’auto-édition?
L’auto-édition connaît son heure de gloire. La toile sert d’incubateur à une série d’auteurs-éditeurs en quête d’une liberté et/ou d’un revenu décuplés. Mais quelles lois encadrent l’originalité de la création, le travail de l’édition et… le plaisir de la lecture?
L’auto-édition gagne du terrain: la plateforme allemande Books on Demand serait en tête du marché européen, forte de ses 25 000 auteurs et de ses 45 000 livres publiés en 2013. Par contraste, en 2003, «seuls» 3000 auteurs recouraient à ses services, pour un total de 6600 livres. L’auto-édition est-elle la dernière chance pour ceux dont les maisons d’édition ne veulent pas? On l’entend parfois. Mais force est de reconnaître que l’auto-édition laisse à l’auteur une liberté appréciable quant au contenu ou à la forme de son texte, fût-il de niche. Aussi, l’auto-édition peut servir de tremplin, voire mener au statut enviable d’auteur à succès. Fifty shades of Grey, finalement, c’est ce vieux conte où la bergère devient princesse : E.L. James, de son nom de plume, aurait commencé par écrire sur le site fanfiction.net ; elle s’est ensuite prise au jeu, elle a fait de son projet une histoire originale et aboutie, s’est auto-éditée et, un beau jour, les maisons d’édition sont venues frapper à sa porte. Certes, c’est aussi (surtout?) grâce à la force de frappe de l’édition traditionnelle que Fifty Shades of Grey a finalement séduit en masse à travers le monde… mais l’auto-édition lui aura été complémentaire, en faisant office d’incubateur pour E.L. James.
Qui veut tenter l’aventure de l’auto-édition aura l’embarras du choix devant l’abondance de prestataires et la variété de services que ceux-ci proposent: il y a par exemple Books on Demand, MonBestSeller, Lulu ou encore une des plateformes spécialisées d’Amazon (Kindle Direct Publishing) ou d’Apple (iBooks Author). On dirait que chacun peut tâter du métier d’éditeur. C’est dans l’air du temps: airbnb ou les tout récents arrivés à Bruxelles, Uber, proposent en quelque sorte aux particuliers de goûter aux métiers d’hôtelier ou de chauffeur de taxi. Cependant, la loi – et ce qu’elle apporte comme garanties de qualité et de sécurité – n’encadre peut-être plus tout à fait ces réalités nouvelles.
La loi belge sur le droit d’auteur date de 1994, nous rappelle Dirk Vervenne, juriste chez Smartbe, l’association professionnelle des métiers de la création. Bien sûr, elle a été adaptée depuis lors et s’est alignée sur le droit européen. Mais elle nous vient d’une époque où l’auto-édition numérique tenait encore plutôt de la science-fiction… On n’y trouvera donc aucune disposition juridique sur cette matière précise. Les principes généraux relatifs aux droits moraux ou patrimoniaux restent logiquement d’application, en tous cas en Belgique. Mais nous savons que la vague de l’auto-édition et de ses plateformes ad-hoc nous vient d’Outre-Atlantique ! En pratique, le contrat et les conditions générales d’application seront donc à lire et relire avec une attention redoublée. Aussi, qui s’auto-édite aurait donc toujours intérêt à s’assurer d’effectuer un dépôt légal à la Bibliothèque nationale et d’obtenir un numéro ISBN.
L’Américaine Amanda Hocking vit de sa plume. Elle est devenue millionnaire avant 30 ans. Ceci n’est pas une fiction, c‘est de l’auto-édition : les chiffres de l’auto-édition grimpent, comme le nombre de ceux qui en tirent des revenus toujours plus conséquents. Cela vaut pour le monde francophone aussi, à plus petits pas. Cécile Chabot, interviewée dans un document produit par Smartbe, assure tous les rôles de la chaîne du livre et ambitionne de professionnaliser complètement son activité. Or, que touche celui qui endosse la triple casquette d’auteur-éditeur-commerçant ? des droits d’auteur ? un salaire ? un revenu que l’on peut étiqueter de divers? La loi fiscale belge est-elle à la page ?
On le voit, dès que l’on aborde lois et auto-édition, les questions fusent dans tous les sens. À quand les réponses ?
— Sibylle Greindl