Les offres d’abonnement en illimité : vraiment illégales ?

Les offres d’abonnement pour le livre numérique constituent une réalité en plein essor. En témoigne l’émergence de modèles comme Youboox, YouScribe, Izneo ou encore Kindle Unlimited. Mais qu’en est-il de la légalité de ces offres, à première vue alléchantes pour le lecteur ? Quel rôle l’éditeur a-t-il encore à jouer dans ces modèles qui proposent un accès illimité à des milliers de livres pour un prix fixe par mois ? Suite à la parution de l’avis de Laurence Engel, médiatrice du livre en France, en février dernier, Lettres Numériques a souhaité donner la parole à deux des principaux concernés par cet avis, à savoir Youboox et YouScribe.

Des offres incompatibles avec la loi du prix unique du livre de 2011

En décembre 2014, Kindle Unlimited débarquait en France, suscitant ainsi de nombreuses réactions et une effervescence non dissimulée dans le monde du livre. L’offre d’abonnement est-elle compatible avec la loi du prix unique du livre de 2011 ? Fleur Pellerin, ministre de la culture, se penche alors sur la question et saisit Laurence Engel, médiatrice du livre, le 24 décembre 2014, dans le but d’approfondir le sujet. Un avis est remis à la ministre aux alentours du 20 février 2015 dans lequel on peut y lire que les abonnements de lecture illimitée devront être modifiés car ils ne cadrent effectivement pas avec la loi du prix unique de 2011.

L’avis, tel qu’il a été relayé dans la presse, suscite une nouvelle vague de réactions. Pourtant, dans son rapport, Laurence Engel ne condamne pas les offres d’abonnement. Hélène Merillon, co-fondatrice de Youboox, explique : « Dans son avis, la médiatrice du livre a bel et bien réaffirmé la légalité de ces offres. » Juan Pirlot de Corbion, CEO de YouScribe, va également dans ce sens : « Il s’agit d’un rapport très fouillé et nuancé qui exprime en fait la réalité des offres d’abonnement en numérique, pas uniquement pour le livre. »

La mise en place d’une phase ouverte de réflexion avec les éditeurs

Ce n’est donc pas le modèle d’abonnement en lui-même qui pose problème mais plutôt sa compatibilité avec la loi du prix unique du livre de 2011. « Nous parlons bien ici de la loi de 2011, qui est une transposition de celle de 1981 aux spécificités du livre numérique » souligne le fondateur de YouScribe. Il ajoute : « À vrai dire, certains aspects de l’offre de livres numériques n’avaient pas été envisagés en 2011. » Pour que les offres de lecture en illimité subsistent, elles doivent se conformer à cette loi du prix unique, laquelle mentionne le fait que l’éditeur reste seul maître à bord pour fixer le prix de ses livres.

Des acteurs comme Youboox et YouScribe approuvent cette loi et sont actuellement en train de réfléchir à des modalités pour que les éditeurs puissent fixer un prix pour leurs titres. Cependant, dans le cas de l’abonnement, la question est plus complexe à résoudre et nécessite un temps d’adaptation. « Pour une offre d’abonnement mono-éditeur, c’est assez simple car c’est alors l’éditeur qui fixe le prix de l’abonnement. Cela se complique lorsque plusieurs éditeurs sont concernés par une même offre. Il faut dès lors mettre en place un processus auquel nous travaillons actuellement avec le ministère de la culture » explique Hélène Mérillon. Youscribe se situe également dans cette phase de réflexion ouverte : « Une série de rendez-vous avec la médiatrice sont prévus durant lesquels elle recevra les propositions des différents acteurs concernés par l’avis. Elle tranchera ensuite quant à la légalité de ces propositions. »

Les premières pistes proposées

Plusieurs pistes ont déjà été proposées par la médiatrice telles que l’achat des droits aux éditeurs pour la diffusion de leurs œuvres en streaming ou encore la structuration de l’offre par bouquets, afin que l’éditeur puisse fixer le prix de son propre catalogue au sein de l’offre d’abonnement. Hélène Mérillon et Juan Pirlot de Corbion affirment que les choses vont bouger très rapidement. Tous deux se disent satisfaits de la parution de cet avis car il permet une mise en cohérence des offres d’abonnement par rapport au marché du livre. « C’est l’occasion d’avoir un cadre clair et lisible pour tous. Je dirais que nous arrivons dans une phase industrielle après deux ans de test. Le fait que le ministère de la culture prenne part à la réflexion est également positif » observe Hélène Mérillon.

Un avis constructif qui permet de redéfinir les offres d’abonnement

Juan Pirlot de Corbion précise : « L’illimité est un terme générique du numérique qui fait référence à la liberté et au possible. Nous avons observé une certaine crainte de l’illimité alors que cela signifie avant tout l’accès sur tous les écrans et partout. L’avis a permis de mettre en lumière cette crainte des éditeurs liée à un besoin de meilleure compréhension du modèle de répartition des revenus entre les différents acteurs. On se rapproche ici du principe de la bibliothèque selon lequel une licence est achetée à l’éditeur en fonction de conditions d’exploitation précises. » Pour YouScribe, l’avis permet de prendre conscience du fait que, « dans la filière du livre, il y a des lecteurs qui achètent et d’autres qui empruntent. Il s’agit de répondre à des besoins différents sans pour autant que l’emprunt ne mange la vente. »

Le rapport de Laurence Engel, qui apparaissait à première vue comme un coup dur pour les acteurs concernés, se révèle en réalité plutôt bénéfique, pour Youboox et YouScribe en tout cas. « Nous avons l’opportunité de développer ces offres innovantes et de rendre possible leur développement » explique Hélène Mérillon. Juan Pirlot de Corbion conclut : « Nous avons observé une bascule des usages numériques, comme en témoigne le sondage réalisé récemment avec YouScribe. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une phase de recherche de médiation entre différents acteurs, en phase d’être rapprochés autour d’une décision consensuelle. »

Retrouvez ici l’avis complet de la médiatrice du livre, relayé par YouScribe.

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— Gaëlle Noëson

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Gaëlle Noëson

Digital publishing professional