Amazon dans la ligne de mire de la Commission européenne
Le 11 juin dernier, la Commission européenne a officiellement ouvert une procédure d’examen à l’encontre d’Amazon afin d’évaluer si les pratiques de distribution commerciale de livres numériques du géant américain s’avèrent anticoncurrentielles. L’enquête sera dans un premier temps menée sur les deux plus grands marchés de livres numériques de l’Espace économique européen, à savoir l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Ce sont les contrats signés entre Amazon et certaines maisons d’édition, et deux clauses en particulier, qui sont remis en causes :
– le droit pour Amazon d’être informé de toutes conditions différentes, voire plus favorables, accordées à des concurrents,
– le droit de bénéficier de modalités et de conditions analogues à celles qui sont accordées à ses concurrents.
Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la politique de la concurrence, explique : « Il est de mon devoir de veiller à ce que les accords conclus par Amazon avec des maisons d’édition ne portent pas préjudice aux consommateurs en empêchant d’autres distributeurs de livres numériques d’innover et d’exercer une concurrence effective vis-à-vis d’Amazon. Notre enquête montrera si nos craintes sont fondées. » (Pour lire le communiqué complet, rendez-vous ici)
Une initiative saluée avec un enthousiasme non dissimulé chez certains acteurs du livre
Amazon n’est toutefois pas le premier acteur américain à être visé par la Commission pour des pratiques potentiellement anticoncurrentielles. En 2011, une enquête similaire avait été ouverte à l’encontre d’Apple, soupçonné d’une possible entente sur les prix avec 5 grands éditeurs internationaux (Hachette, Harper Collins, Simon & Schuster, Penguin et Verlagsgruppe Georg von Holzbrinck). En avril 2015, c’était au tour de Google d’être pointé du doigt par la Commission, pour abus de position dominante cette fois.
À l’annonce de cette nouvelle, les réactions ne se sont pas fait attendre. Si, de son côté, la Fédération des éditeurs européens a affirmé suivre avec intérêt les développements de l’enquête et estime que tous les acteurs du secteur doivent pouvoir agir de manière égale, la Fédération internationale et européenne des libraires (EIBF) a salué la démarche de la Commission européenne dans un communiqué de presse. «Une concurrence réduite amène moins de choix pour les consommateurs européens, à l’inverse d’une concurrence saine garante d’une offre riche et diversifiée, ce que l’EIBF a toujours prôné. Ce sont les consommateurs qui sont perdants quand le marché est dominé par de gros acteurs qui ne laissent pas la possibilité à d’autres libraires de se positionner. A contrario, une offre diversifiée de livres électroniques dans un contexte de concurrence loyale est tout bénéfice pour les consommateurs.», a déclaré la directrice de l’EIBF Françoise Dubruille.
Thibault Léonard, fondateur et CEO de Primento, distributeur et diffuseur ebook, s’étonne toutefois que cette enquête ne soit ouverte que maintenant. Comme il l’explique, « le rôle de la Commission Européenne est notamment de mettre en place un climat et un environnement permettant une concurrence saine entre les acteurs et favorable à l’innovation et à la naissance de leaders locaux. Il est préoccupant de remarquer que l’Europe n’est pas parvenue à imposer un leader dans le domaine de la lecture numérique et que le marché est maintenant dominé par Google, Amazon, Apple … et Kobo ! Il est également dommage de constater qu’à l’heure actuelle, Tolino représente le seul acteur européen susceptible de changer la donne. Il aurait certainement été plus utile de traiter les problèmes à la source plutôt que de réagir quand les cartes sont distribuées et que l’édition européenne n’a plus d’autre choix que d’accepter une situation oligopolistique, propice aux abus. » D’après lui, il est évident que certaines clauses présentes dans les contrats standards des principaux libraires posent question et peuvent entraver la saine concurrence entre les acteurs. « Mais c’est valable pour tous les acteurs », précise-t-il.
Et de terminer en ajoutant que, malgré tout, les libraires internationaux (dont Amazon) ont permis de redynamiser le secteur du livre en Europe et de faire revenir à la lecture des lecteurs qui l’avaient parfois délaissée au profit d’autres loisirs.
L’enquête lancée par la Commission n’est limitée par aucun délai et dépendra principalement de la coopération d’Amazon sur le cas. À ce sujet, l’entreprise a déclaré dans un communiqué qu’elle coopérerait pleinement avec la Commission et que ses contrats, tout à fait légaux, visaient le meilleur intérêt des lecteurs. Affaire à suivre, donc.
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— Mélissa Haquenne