Ebooks enrichis pour les enfants dyslexiques : du nouveau chez Mobidys
En 2015 était créée Mobidys, une startup nantaise dont l’objectif est d’accompagner les enfants atteints de troubles DYS dans leur apprentissage de la lecture grâce à la mise à disposition d’ebooks enrichis. Trois ans plus tard, Mobidys poursuit son aventure en collaboration étroite avec de grands groupes comme Bayard. Lettres Numériques a eu la chance de s’entretenir avec Marion Berthaut, sa fondatrice, pour évoquer les évolutions du projet et les nouveautés prévues pour la rentrée 2018-2019.
Lettres Numériques : Depuis notre article paru en janvier 2017, quels nouveaux projets et partenariats sont nés chez Mobidys ?
Marion Berthaut : En janvier 2017, nous venions d’annoncer la parution de la collection Dyscool, proposée en deux volets, l’un papier, l’autre numérique. Il s’agit d’une collection développée par Nathan Jeunesse, avec la collaboration de MOBIDYS, qui consiste à proposer des ouvrages existants par ailleurs – tels que Le Buveur d’encre, un texte qui est parfois travaillé dans les écoles — et de les publier dans un format qui va être adapté aux dyslexiques. Sur le papier, il y a des aménagements réalisés en termes de mise en page. Quant au format numérique, son avantage est qu’il est dynamique et que l’enfant va pouvoir customiser le rendu du livre en fonction de ses propres difficultés à lire, son propre confort de lecture. La collection s’est récemment enrichie de deux nouveaux titres numériques et de deux nouveaux titres papier.
Un autre projet très ambitieux a été lancé avec les éditions Bayard Presse : nous avons fait paraître au printemps dernier la collection J’aime Lire Dys. Ce sont des J’aime Lire classiques, des textes déjà travaillés avec des professionnels pour rendre la lecture plus facile, mais qui présentent de nombreuses fonctionnalités destinées à aider les enfants dyslexiques. 7 J’aime Lire numériques sont déjà parus de cette façon-là.
Une autre collection sortira à la rentrée prochaine, en collaboration avec Belin : la collection Colibri [spécialement conçue pour les enfants DYS] qui existera en version papier et numérique.
Pouvez-vous nous en dire plus à propos de l’expérimentation Ambidys ?
À l’automne dernier, à l’occasion de la journée nationale des DYS, nous avons travaillé avec les APEDYS (association de parents d’enfants DYS) qui nous ont proposé de tester des livres avec leurs membres. Suite à cela, nous avons alors monté un projet, Ambidys, pour lever les ambiguïtés que cette vaste consultation nous avait permis d’identifier. Nous nous sommes penchés sur deux types en particulier : d’abord une ambiguïté en termes d’ergonomie, par rapport à la façon d’interagir avec la tablette ou le smartphone, notamment au niveau de l’utilisation du menu. En collaboration avec l’école de design de Nantes, nous avons donc lancé une expérimentation pour pouvoir imaginer un autre type de menu. L’autre ambiguïté concernait les pronoms dans la langue française, qui se révèlent difficiles à appréhender pour les dyslexiques. On ne sait pas forcément de qui il s’agit, qui est la personne qui parle dans un dialogue, etc. Pour améliorer la compréhension de ceux-ci et détecter ceux qui apparaissent ambigus, nous avons travaillé avec le LS2N, un laboratoire de traitement automatique de la langue situé à Nantes. On rentre donc au cœur de ce que l’informatique peut apporter comme moyens de compensation.
Comment ce projet a-t-il été financé ?
Le projet d’expérimentation a été soutenu et partiellement financé par le programme de recherche – formation – innovation OIC (Ouest Industries Créatives), associé à la région des Pays de la Loire. Très important, le CNL (Centre national du livre) a également montré son soutien pour ce projet et nous a fait l’honneur de considérer Ambidys comme un projet vraiment innovant et utile au niveau de la lecture pour des personnes en situation de handicap. C’est une belle reconnaissance pour nous : c’est très important qu’une telle institution reconnaisse le projet, car c’est une façon pour nous de faire connaître nos travaux à la communauté d’éditeurs.
D’autres acteurs sont-ils intervenus ?
En effet pour la première fois, une école primaire, qui s’appelle Aimé Césaire à Nantes, a participé à l’expérience : une maîtresse de CE1 a fait venir toute sa classe pour participer à l’expérimentation, car il nous fallait aussi des normolecteurs, des enfants tout-venant, pour avoir une base plus comparative. Il y avait aussi des enfants DYS, patients de notre partenaire historique, l’APAJH (Association pour Adultes et Jeunes Handicapés). Cette participation de l’école Aimé Césaire fut possible grâce à l’inspection académique de Loire Atlantique, qui a donné son autorisation. Je tiens à remercier chaleureusement Mme Pilon, de l’inspection de l’éducation Saint-Nazaire, pour son soutien au projet. C’est suffisamment rare pour le souligner et ça prouve que ce sont des sujets qui intéressent grandement l’enseignement national dans son ensemble.
Quelles répercussions furent observées au terme de cette expérimentation ?
D’une part, grâce à elle, l’école s’est intéressée à ce que nous proposions. D’autre part, nous avons récolté beaucoup de retours, notamment des parents d’enfants DYS qui ont pu nous communiquer leurs besoins au niveau du collège, où les livres sont moins illustrés, et le soutien et l’indulgence de la part des adultes moins présents. En effet à ce niveau scolaire, les élèves sont censés savoir lire, et c’est là que se fait le décrochage. D’autant qu’ils doivent lire des manuels scolaires et des romans du Moyen-Âge ou de l’Antiquité. Nous envisageons donc un projet d’adaptation au collège de tout le CDI, y compris les manuels scolaires. Il s’agirait de proposer au collège d’ici la rentrée des classes 2019 une adaptation pour les DYS des manuels scolaires et des livres étudiés en classe. La première étape consiste à rencontrer les éditeurs, qui sont propriétaires des textes étudiés en classe et des manuels scolaires – il ne s’agit pas de le faire sans eux –, et de leur proposer de participer au projet sous la forme d’une cession de droits d’adaptation. Deux personnes travaillent avec nous sur ce projet : Sophie Hamon pour les manuels scolaires et Sophie Martel, fondatrice du cabinet de conseil Tulitoo, pour la littérature. Cette première phase sera terminée à la rentrée, mais la très grande majorité des éditeurs nous suivent et nous ont dit qu’ils étaient favorables à ce projet, qui sera donc lancé l’an prochain.
Quelle est la plus-value de Mobidys et d’Ambidys par rapport à d’autres initiatives similaires d’aide à la lecture ?
Nous ne fabriquons pas de texte : nous ne sommes pas éditeurs, ce n’est pas notre métier. L’objectif, c’est donc bien de permettre aux éditeurs de produire des œuvres dans des versions qui sont accessibles sans toucher une ligne de texte. C’est la valeur ajoutée que nous proposons : il n’y a aucune modification du texte de l’auteur. Ce ne sont que des enrichissements connexes, il n’y a pas de réécriture du texte. Certaines démarches d’aide à la lecture consistent à réécrire le texte, et c’est très bien que de tels projets existent, car il y a pathologies qui le demandent, des difficultés telles que l’on ne peut pas réussir à lire un texte dans sa version d’origine, mais cela ne concerne que certains cas. Enfin, des travaux de neuroscientifiques démontrent que c’est la richesse de vocabulaire qui permet à un DYS de compenser son handicap, parce qu’il va surdévelopper ses capacités autour de la sémantique ; dès lors, proposer à ces enfants des textes qui enrichissent, et non l’inverse, leur vocabulaire est devenu l’une de nos priorités.
Pensez-vous qu’il soit possible d’exploiter encore davantage les supports numériques dans l’accompagnement des publics DYS ?
Une conférence très intéressante de la Fédération française des DYS, animée par Laetitia Branciard, a justement eu lieu à ce sujet au mois de mai dernier. Elle insistait sur le potentiel de nombreux outils numériques, mais plus particulièrement sur la puissance de l’audio en termes de compensation. La compensation audio, le fait de pouvoir entendre ce qu’on lit, c’est très efficace pour beaucoup de DYS qui compensent par l’oreille. Cela nous a d’ailleurs inspiré pour notre projet sur les collèges : nous ne sommes pas obligés d’aller aussi loin que les versions FROG [lecteur gratuit développé par MOBIDYS pour installer et lire les livres accessibles sur tablette] qui sont extrêmement riches (au niveau des syllabes, des définitions, des pronoms, etc.), mais il est essentiel de déjà pouvoir proposer des livres audio, soit dans leur forme pure (j’écoute et je n’ai rien sous les yeux), soit avec un soutien écrit (synchronisation entre ce que j’entends et ce que je lis). Ces supports ne sont pas très compliqués à réaliser, la technologie permet de les concevoir de façon assez automatisée. Nous proposons donc aussi, en dehors de nos activités de production de livres, ces activités de synchronisation. Aujourd’hui, avec le numérique, les moyens de compensation sont à portée de main, il ne faut donc pas s’en priver.
Propos recueillis par Élisabeth Mol
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— Elisabeth Mol