Où en est le projet ReLIRE ?

Dès son lancement, en 2012, nous vous parlions de ReLIRE, ce projet ambitieux de numérisation massive des ouvrages indisponibles du XXe siècle initié par la BnF. Suite à une conférence donnée dans le cadre de l’édition 2018 du DPUB Summit en mai dernier, nous revenons six ans plus tard sur sa genèse et son fonctionnement, mais aussi sur les difficultés rencontrées depuis sa création.

Des livres inégaux face à la numérisation

Il semble aujourd’hui difficilement concevable pour les éditeurs de ne pas prévoir, en parallèle de l’impression papier, une version numérique des ouvrages publiés. Cependant, qu’en est-il de ces ouvrages non réédités, publiés avant les années 2000 et l’avènement des nouvelles technologies ? Selon Virginie Clayssen, directrice en charge de l’innovation chez Editis et présidente d’EDRLab, il existe en fait trois cas de figure quant à la potentielle numérisation des ouvrages, en fonction de leur date de publication.

  1. Les livres publiés avant 1900 : étant tombés dans le domaine public, n’importe qui peut les numériser sans avoir à solliciter une quelconque autorisation. Pour ces ouvrages libres de droits, des plans de numérisation massive sont donc déjà en cours dans de nombreuses bibliothèques.
  2. Les livres publiés après les années 2000 : ils sont encore sujets à des rééditions et soumis aux droits d’auteurs : en ce qui concerne les nouveautés, les éditeurs prévoient désormais de façon assez automatique une version numérique en parallèle de la version papier. Quant aux titres de fond, le droit de numérisation doit être négocié avec les éditeurs.
  3. Mais qu’en est-il de tous les autres ouvrages, publiés après 1900, qui ne sont plus réimprimés mais toujours soumis à des droits d’auteurs ? Mis à part les classiques qui demeurent en effet disponibles très longtemps à la commercialisation, de nombreux ouvrages n’ont pas droit à une réédition et sont donc indisponibles. Selon la loi européenne, leur numérisation est autorisée à condition de négocier les droits numériques individuellement, soit avec les auteurs, soit avec les ayants droit. À l’origine, cette numérisation devait donc se faire au cas par cas et ne pouvait s’envisager à grande échelle.
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Capture d’écran du site ReLIRE

Une loi votée en 2012 pour faciliter la numérisation massive

Pour remédier à ce blocage, le gouvernement français a fait voter en mars 2012 une loi destinée à faciliter la numérisation des livres indisponibles, soit tous ceux publiés avant le 1er janvier 2001. Ainsi, chaque année depuis 2012, une liste d’œuvres est publiée aux environs de mars sur le portail ReLIRE (registre des livres indisponibles en réédition électronique). Ces œuvres ont été sélectionnées par un comité d’éditeurs, d’auteurs et de libraires désignés par le Ministère de la Culture, et les auteurs ou ayant-droits disposent d’un délai de six mois pour demander à ce que leurs œuvres soient retirées de la liste. À partir du mois de septembre, tous les ouvrages restants peuvent alors être gérés collectivement. Lorsqu’une œuvre entre en gestion collective dans le cadre de la loi sur les Indisponibles, cela ne signifie pas que les droits de son ou de ses auteurs sont aliénés, mais que la gestion des droits numériques de cette œuvre va être effectuée, au nom et dans l’intérêt des auteurs, par une société de gestion collective, celle-ci étant, dans le cas du projet ReLIRE, la Sofia (Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit), dont nous reparlerons plus loin.

De 2013 à 2015, ces campagnes de numérisation massive se sont principalement concentrées sur les thèmes suivants : la littérature, l’histoire, les sciences humaines et sociales, et les livres pour enfants (exclusivement les romans). En 2016, les sciences humaines et sociales (histoire de l’Asie, de l’Amérique et de l’Afrique) étaient à nouveau à l’honneur, ainsi que les poèmes et pièces de théâtre d’auteurs français.

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FeniXX

De nombreux avantages à la numérisation des ouvrages indisponibles

Selon Virginie Clayssen, les avantages de la numérisation sont nombreux.

  • Le premier et le plus évident, c’est qu’elle offre une seconde vie à des ouvrages oubliés, dissimulés dans les profondeurs de la BnF.
  • Elle permet aussi la meilleure accessibilité des livres aux personnes souffrant de handicap et n’ayant pas accès au format papier.
  • Elle aide à mieux conserver les collections anciennes, en limitant la manipulation des livres les plus fragiles, soit ceux publiés entre 1880 et 1950. La teneur en acidité du papier les rend en effet moins résistants au toucher.
  • Grâce aux recherches automatisées, de nouvelles connaissances sont plus facilement accessibles : il est par exemple possible d’étudier l’étendue de l’influence d’un penseur en déterminant le nombre de fois où son nom apparaît dans un corpus d’ouvrages.

À l’heure actuelle, 204 872 livres sont soumis à la gestion collective et 164 453 ouvrages ont reçu l’autorisation d’être numérisés. 103 000 livres ont été numérisés jusqu’ici et sont déjà disponibles dans la bibliothèque intramuros.

Comment se déroule le processus de numérisation massive ?

Pour parvenir à la numérisation de ces milliers d’ouvrages, quatre acteurs principaux interviennent et interagissent sans cesse :

  • La BnF : c’est elle gère qui le registre ReLIRE, où les listes d’ouvrages sont publiées chaque année. C’est dans ses réserves que les livres imprimés destinés à la numérisation sont puisés : ses services se chargent ensuite de les scanner et de fournir les fichiers JPEG.
  • La Sofia : nous vous en parlions plus haut, cette société est en charge de la gestion des droits collectifs des ouvrages demeurés dans le registre six mois après la publication de la liste annuelle.
  • Fenixx (éditions numériques des livres indisponibles du XXe siècle) : cette société a été spécialement conçue par les éditeurs pour numériser, distribuer et commercialiser les œuvres. D’autres acteurs peuvent aussi numériser les livres, une fois qu’ils ont obtenu la licence de la part de Sofia.
  • Le CNL (Centre National du Livre), agence nationale indépendante dédiée à la chaîne du livre, finance 100 % de la numérisation réalisée par la BnF et 70 % de la production des ePub et des PDF.

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Le processus de numérisation se fait en deux étapes :

  1. Les livres imprimés sont transformés au format JPEG par la BnF ;
  2. Les JPEG sont transformés au format ePub par Fenixx : 37 000 ebooks ont ainsi été produits et livrés aux revendeurs (Amazon, Rakuten, Feedbooks, Fnac, Decitre, etc.) mais aussi à la BnF : des extraits sont disponibles sur Gallica, la plateforme de la BnF (soit 15 % du travail total), et s’accompagnent d’un lien vers le site des revendeurs numériques. Dans ce processus, Fenixx s’efforce d’augmenter la qualité de production des ebooks par divers moyens : la quatrième de couverture est incluse dans l’ePub, les métadonnées sont soigneusement conservées, les structures de l’ouvrage d’origine sont adaptées à la lecture numérique, les erreurs OCR supprimées, les couvertures peu séduisantes sont remplacées par d’autres plus attractives, etc.

Comment accéder à ces ouvrages numérisés ?

Pour consulter ces ouvrages au format numérique, vous pouvez vous rendre directement dans la librairie intramuros de la BnF. Des extraits sont également disponibles sur Gallica et les ouvrages dans leur entier peuvent être achetés sur les sites des revendeurs d’ebooks ou sur Cairn.info, la collection en ligne de publications francophones en sciences humaines et sociales.

Le projet ReLIRE, un « vol d’État » ?

Dernièrement, de nombreux articles de presse se sont interrogés sur la mort prochaine de ce projet. En effet, s’il a connu de belles avancées depuis sa création, il est actuellement en suspens et aucune liste n’a été publiée en 2017 et 2018, pour des raisons essentiellement juridiques. Dès le mois de mai 2013, un groupe d’auteurs a en effet introduit une action en justice contre le gouvernement, pour trois raisons principales :

  • La loi de 2012 n’est pas, selon eux, conforme à la Constitution. À noter que le Conseil constitutionnel a toutefois validé en février 2014 la constitutionnalité de cette loi ;
  • Il est également reproché à cette loi de générer une exception au droit d’auteur qui n’est pas prévue dans la directive de l’Union européenne concernant les exceptions aux droits d’auteur ;
  • Enfin, il semblerait que de nombreuses œuvres figuraient dans cette base de données alors qu’elles étaient toujours exploitées et n’avaient donc rien à y faire : les œuvres n’ayant pas toujours été correctement encodées, il était difficile pour les auteurs de les retrouver, et le processus pour demander leur retrait est estimé trop compliqué.

Après consultation de la Cour de Justice européenne, le Conseil d’État a finalement rendu sa décision en juin 2017 : si elle ne condamne pas la visée générale du projet, elle critique cependant certains aspects de la législation. Elle demande notamment que davantage d’informations soient fournies aux auteurs à titre individuel, et que les formalités nécessaires pour retirer un ouvrage de la liste soient simplifiées. Les autorisations déjà accordées n’ont pas été retirées.

Le registre est aujourd’hui toujours en ligne et accessible sur le site de la BnF : aucun nouvel ouvrage n’a été ajouté, mais il est toujours possible de retirer ses ouvrages du registre. Il faudra attendre l’adoption de la nouvelle directive européenne (en cours) pour espérer qu’un processus d’autorisation, simplifié et amélioré, soit mis en place et satisfasse pleinement les auteurs et éditeurs qui craignent pour la préservation de leurs droits.

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— Elisabeth Mol

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