Entretien avec Frédéric Young : la rémunération pour copie privée encore bloquée par l’absence de tarifs

La redevance légale en matière de copie privée fait l’objet d’un nouvel arrêté royal datant du 29 août 2019, comme nous vous l’annoncions dans un précédent article. Malgré cela, Auvibel, la société de gestion collective pour la copie privée d’œuvres protégées, ne perçoit toujours pas les revenus liés à cette compensation financière. La copie privée est pourtant un principe de rémunération rendu obligatoire depuis 2001 par une directive européenne. Nous faisons le point avec Frédéric Young, délégué général de la Scam (Société Civile des Auteurs Multimédia).

frédéric young_portraitLettres Numériques : Qu’est-ce qu’implique concrètement cet arrêté royal du 29 août relatif à la rémunération pour copie privée pour les auteurs et les éditeurs ?

Frédéric Young : Les éditeurs avaient été exclus en 2017 de la rémunération liée à l’ensemble des perceptions d’Auvibel en matière de copie privée. La loi a été modifiée en avril 2019 et pour qu’elle prenne pleinement effet, sur le plan du droit, il fallait encore un arrêté royal. Celui-ci est désormais adopté. Cela ne signifie cependant pas que de nouvelles rémunérations ont été mises en place, mais seulement que la loi a changé. Cette loi permet aux éditeurs d’émerger à nouveau dans les dispositifs de rémunérations qui sont actuellement organisées, c’est-à-dire essentiellement les droits relatifs à la copie des textes et des images fixes dans les supports de type clés USB, GSM, etc. Aucune rémunération supplémentaire n’est générée pour le moment, il s’agit d’une modification du partage des sommes qui sont actuellement collectées par Auvibel et qui vont faire l’objet d’une division en plus petites parts.

Par contre, ce qui était attendu et qui n’a pu être obtenu lors du vote de la loi en avril dernier ou par l’arrêté en août, c’est une tarification liée à la redevance légale pour copie privée. En 2017, le gouvernement a réorganisé toute la perception pour la reprographie et a transféré la collecte de Reprobel vers Auvibel pour tout ce qui concerne les copies à usage privé. Cependant, tant que cette tarification n’est pas adoptée, ni les auteurs ni les éditeurs ne seront à nouveau rémunérés via Auvibel selon le principe de copie privée.

L’établissement d’une tarification n’est pas encore prévu pour l’instant, seulement revendiqué. Ni les législateurs ni le gouvernement n’ont adopté les tarifs nécessaires, donc Auvibel ne peut pas encore percevoir le pourcentage lié à la vente des appareils de copie destinés à un usage privé (photocopieuse, scanner, clé USB, CD, etc.).

Il s’agit donc d’un arrêté intermédiaire, qui a simplement pour effet actuellement de permettre aux éditeurs de partager avec les auteurs d’autres perceptions.

Des actions sont-elles en cours pour réclamer l’établissement de cette tarification ?

Oui, les membres d’Auvibel ont décidé de mettre en demeure l’État belge afin d’obtenir enfin une tarification. Cette mise en demeure est adressée au gouvernement et des réunions sont prévues dans les jours qui viennent avec la nouvelle ministre fédérale de l’économie, Nathalie Muylle. Je ne suis pas certain que ce soit réglé rapidement cela dit, surtout avec un gouvernement en affaire courante. Les auteurs, pendant ce temps, souhaitent que les choses avancent.

Et qu’est-ce qui a empêché l’adoption de tarifs lors du vote de la loi ?

En avril dernier, il y avait une majorité alternative pour pouvoir adopter des tarifs dans la loi. Comme il s’agissait des derniers jours de la législature, certains partis, notamment l’Open Vld ou la N-VA, ont menacé de bloquer toute la loi si on y introduisait des tarifs par défaut, donc le ministre Kris Peeters a renoncé à introduire des tarifs dans la loi à ce moment-là.

Comment sera distribuée la somme globale fournie à Auvibel, une fois la tarification établie ?

Auvibel percevra et mettra en répartition une fois par an la somme globale perçue auprès de ses membres, à savoir les différentes sociétés de gestion de collectifs d’auteurs et d’éditeurs. Le partage se fera ensuite selon un barème. Chaque société d’auteurs et d’éditeurs en Belgique possède des barèmes approuvés par le ou la ministre. Le règlement et les barèmes sont consultables sur le site d’Auvibel.

L’argent est donc réparti entre les différentes structures et ensuite, selon leurs propres barèmes, entre les auteurs et les éditeurs au sein de chaque société, de manière annuelle en général ou deux fois par an au maximum.

Ensuite, en fonction de quels critères sont établies les rémunérations pour chaque auteur et chaque éditeur ?

Les critères généralement utilisés dans ces sociétés sont le nombre d’ouvrages publiés, le chiffre d’affaires généré par cet ouvrage en droit d’auteur, le nombre de pages ainsi que l’année de parution, puisqu’un coefficient plein sera donné pour un ouvrage récent, il y a ensuite une diminution progressive dans le temps. La notoriété de l’auteur est aussi souvent prise en compte, en tout cas à la Scam. Celle-ci est mesurée entre autres grâce aux prix obtenus par l’auteur.

Le montant total récolté par Auvibel selon le principe de copie privée revient-il entièrement aux ayants droit ou bien sert-il aussi à développer des initiatives culturelles comme en France ?

L’action culturelle oblige en effet la France à investir 25 % de la somme globale dans le soutien à la création. En Belgique, il n’y a aucune obligation de ce type-là. Les sociétés belges peuvent le faire si elles le souhaitent, mais à hauteur de maximum 10 % de ce qu’elles perçoivent. Auvibel ne le fait pas, par exemple. Nous ici à la Scam, avec notre perception, nous développons des bourses pour le soutien à la création littéraire qui viennent aider nos auteurs dont des ouvrages ont été publiés dans l’année précédente, de façon à compléter leurs droits d’auteurs.

Pensez-vous que la licence légale en matière de copie privée telle qu’elle existe actuellement pourrait laisser place à un meilleur système ?

Je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’alternatives si on veut récolter de l’argent pour les copies personnelles. Énormément de personnes sont concernées par les copies d’œuvres à usage personnel, il y aurait un risque d’intrusion dans la vie privée si nous procédions autrement. Ce système est peu coûteux, efficace et validé par la Cour de justice européenne. Il faut souligner que les auteurs ont absolument besoin de ces rémunérations pour pouvoir continuer à créer, dans un contexte éditorial où les revenus provenant de la vente effective des œuvres restent faibles.

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— Cynthia Prévot

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