Vers l’éclatement d’une bulle du marché éditorial francophone belge ?
En novembre dernier a eu lieu le colloque annuel du PILEn (Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique) sur le rayonnement du livre et des écritures francophones belges. Notre secteur éditorial souffrirait d’un manque de visibilité ici – la littérature belge produite en Belgique y représente moins de 1 % des ventes – et à l’international. Surproduction littéraire et tirages microscopiques : après la bulle Internet et la crise des subprimes, le marché éditorial wallon et bruxellois serait à son tour sous la menace de l’éclatement d’une bulle. Retour sur les interventions de Philippe Goffe (PILEn) et Benoît Dubois (ADEB) ayant précédé les deux tables rondes de la matinée.
Pour Philippe Goffe, Président du PILEn, il est utile de rappeler que le secteur du livre en Wallonie et à Bruxelles connaît une double tendance : 65 % de la production éditoriale francophone belge a été exportée en 2018, tandis que 75 % de ce qui est vendu dans nos librairies est importé de France. Nous exportons donc beaucoup et importons encore davantage. Par ailleurs, la littérature belge francophone représente une portion congrue des ventes, trustées par la bande dessinée, les ouvrages juridiques et de sciences humaines, la littérature jeunesse et les manuels scolaires. La Belgique serait-elle un parent pauvre de la création littéraire ? En effet, beaucoup d’auteurs et autrices belges se font publier par des maisons d’édition françaises. Pour Philippe Goffe, il y aurait beaucoup d’ignorance par rapport à ce que fait le secteur éditorial francophone belge. Il serait temps d’être fier de ce que nous faisons et de ne pas rester dans l’ombre du marché français.
Une bulle éditoriale menace-t-elle le marché du livre belge ?
Benoît Dubois, administrateur de l’ADEB (Association des Éditeurs belges), commence par rappeler ce chiffre : 245 maisons d’édition sont recensées à Bruxelles et en Wallonie. 60 à peine travaillent de façon professionnelle. Moins encore arrivent à en vivre. Mais comment faire rayonner un livre ? Tout rayonnement est question d’énergie. Celle apportée par les maillons de la chaîne du livre. Tous sont concernés, tous doivent s’impliquer à leur niveau. Tout rayonnement est aussi tributaire du ciel. Celui-ci doit être dégagé, sans obstacle. Mais ces obstacles peuvent se révéler nombreux…
Éditer, c’est mettre en adéquation une œuvre avec un public. C’est le cœur de métier d’un éditeur. Mais éditer, c’est plus que cela. Être éditeur, c’est en fait 10 métiers : métier d’auteur, de juriste, de graphiste, d’imprimeur, de relieur, de logisticien, de vendeur, de comptable, de banquier… Beaucoup de métiers qui nécessitent non moins de compétences. Un petit éditeur ne sait pas avoir toutes ces compétences en interne, il doit sous-traiter à des fournisseurs, ce qui ne se fait pas sans coût non plus. Heureusement, il y a le Fonds d’aide à l’édition. Mais on observe que de moins en moins de dossiers y sont déposés. Et de plus en plus de dossiers déposés sont recalés (au moins 15 %), notamment par manque de professionnalisme de l’éditeur. Être éditeur, c’est aussi savoir aller chercher des fonds. Un métier de plus.
Dans les librairies de niveau 1 (celles ne vendant que des livres), les livres belges ne représentent que 7 % du chiffre d’affaires, dont il convient de retirer les commandes des écoles. La littérature belge ne représente que 3 % du chiffre d’affaires de ces librairies, dont il convient de retirer les auteurs non publiés en Belgique. La littérature belge produite en Belgique représente moins de 1 % des ventes. Le livre belge produit en Belgique rencontre donc des difficultés à trouver sa place dans les rayons.
Benoît Dubois rappelle aussi que la lecture concerne un nombre restreint de personnes ; en Fédération Wallonie-Bruxelles, 66 % déclarent lire (dont ceux qui le font à titre professionnel ou dans le cadre de leurs études). 29 % des Wallons et des Bruxellois déclarent lire au moins cinq livres par an. Ce qui fait déjà peu de ventes possibles. Alors que, comme évoqué par Philippe Goffe, un livre sur quatre vendu dans nos libraires est un livre édité en Belgique. Un chiffre dont il faut encore retrancher les ventes de manuels scolaires, de livres de sciences humaines ou de livres scientifiques. Le tirage moyen d’un livre édité en Fédération Wallonie-Bruxelles est de 2 100 exemplaires, en incluant toute la production éditoriale. En ne comptant que la littérature belge, le chiffre serait plutôt entre 500 et 600 exemplaires par livre. Des tirages donc très bas, dans un contexte de surabondance de l’offre. Augmentation de la production, baisse des ventes : pour Benoît Dubois, on est face à un effet ciseaux. Et l’administrateur de l’ADEB de mettre en garde contre le risque d’éclatement d’une bulle ; après la bulle Internet et la bulle immobilière, se dirigerait-on vers une bulle éditoriale ? De nombreux éditeurs vivraient sur des stocks non amortis, qui devront bien l’être un jour.
Rayonnement du livre belge : quelles pistes d’amélioration ?
Face à la surproduction éditoriale, comment trouver sa place ? La bonne diffusion d’un livre est évidemment essentielle à sa bonne vente. Les nouveaux médias sont incontournables pour ce faire. On a longtemps pensé qu’Internet permettrait de placer petites et grandes maisons d’édition au même niveau, mais ce n’est pas le cas : des compétences particulières sont à développer et des moyens considérables peuvent être investis dans ces nouveaux médias, pouvant laisser les petits éditeurs à la traîne. Mais en étant plus petits, les éditeurs peuvent aussi se permettre d’être plus créatifs et plus réactifs.
Combien de distributeurs offrent aux libraires une visibilité sur les stocks disponibles ou sur les délais de livraison ? En vente comptoir, les libraires préféreront toujours être sûr de satisfaire leurs clients.es en leur proposant un livre pour lequel ils ont ces réponses. C’est pourquoi les données sont indispensables à la bonne diffusion d’un livre.
Face aux débouchés du marché belge du livre, l’exportation est-elle une solution ? Un éditeur qui exporte doit pouvoir accepter le dédoublement de ses stocks et le doublement de ses risques, notamment liés aux retours de pays lointains (risques de livres abîmés durant le transport), aux frais de change et de douane. Un éditeur qui exporte doit aussi consacrer du temps et de l’argent pour soutenir son diffuseur local : participation à des conférences, foires et marchés. Par ailleurs, exporter un livre, c’est se poser la question de l’opportunité de vendre, par exemple, un livre sur les frontières du Sahara occidental au Maroc ou sur les synagogues au Liban.
La coédition est aussi une solution pour le rayonnement. Les partenariats dans l’édition peuvent être intéressants économiquement, mais nécessitent de la rigueur dans la mise en place. La cession de droits est également une branche à investir davantage, qui représente à peine 3,2 % du chiffre d’affaires éditorial chez nous contre 4,7 % en France. Mais comme pour l’exportation, la cession de droits représente du temps et de l’argent à investir sans certitude d’aboutissement. Livres audio, livres numériques : les possibilités de rayonner autrement passent aussi par le format.
Enfin, les bibliothèques ont un rôle à jouer dans le rayonnement culturel. Les éditeurs prennent-ils la peine de les contacter ? La bibliothèque près de chez soi peut parfois être le premier pas pour un rayonnement en dehors du cercle familial. Quant au dépôt légal, c’est une perspective d’éternité pour la création éditoriale…
On le voit, le rayonnement du livre est un sujet transversal. Trop transversal ? Pour Benoît Dubois, chaque acteur réfléchit trop dans son coin. Or, c’est ensemble que le rayonnement est possible. Par ailleurs, il est urgent de professionnaliser les maillons de la chaîne du livre car trop pensent encore « J’édite, donc ça se vendra ». Or, on l’a vu, c’est plus compliqué que cela. D’autant plus compliqué que le secteur de l’édition évolue vite : une révolution technologique apparaît tous les 8-9 ans. Ceux qui ne s’adaptent pas courent le risque d’être rapidement largués par le peloton. Pour Benoît Dubois, il faut oser. Oser créer et oser se mettre en avant. Oser innover, notamment dans les aides économiques (quid d’un tax shelter de l’édition ?). Il faut en outre arrêter de jouer les Caliméro des industries culturelles. Car après tout, le livre made in FWB représente toujours la première dépense de biens culturels de loisirs, devant le cinéma et la musique francophones belges.
Retrouvez ce compte-rendu ainsi que d’autres billets sur le blog du PILEn.
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— Gilles Simon