Entretien avec Benoît Dubois : les conséquences des mesures de confinement sur le marché du livre belge (Partie 1)

Lettres Numériques s’est entretenu avec Benoît Dubois, administrateur de l’ADEB (Association des éditeurs belges), à propos des conséquences des mesures de confinement sur le marché du livre belge. Voici la première partie de ces échanges.

Dans le cadre de la crise que nous vivons en ce moment, deux mesures notables impactent grandement le marché du livre belge. En aval, la décision de fermeture des points de vente dans leur quasi-totalité (sauf la vente dans les grandes surfaces et celle en ligne) qui entraîne une constriction brutale des capacités de vente de livres. En amont, les mesures de confinement qui touchent les éditeurs.

Lettres Numériques : Quelles conséquences opérationnelles pouvons-nous attendre ?

Benoit Dubois_portraitBenoît Dubois : Les effets s’annoncent en chaîne. Dans la chaîne du livre, deux acteurs se situent entre l’éditeur et le libraire : le diffuseur et le distributeur.

  • Diffusion

Les représentants de la diffusion visitent les points de vente physiquement et préparent les livraisons auprès des libraires sur le long terme. Actuellement, l’appareil de diffusion se retrouve ainsi amputé d’une bonne partie de sa capacité de travail puisque les librairies sont fermées. Ce faisant, le personnel de diffusion va se retrouver au chômage temporaire vraisemblablement complet à une échéance prochaine.

  • Distribution

L’appareil de diffusion étant mis à l’arrêt, l’appareil de distribution est très fortement réduit. À partir du moment où le distributeur voit une bonne partie de sa clientèle fermée, il ne peut pas se permettre de garder tout son appareil actif.

Par ailleurs, on sait qu’un peu de distribution s’écoule dans les grandes surfaces, du moins celles qui n’ont pas fermé le rayon librairie. Au niveau des grandes surfaces alimentaires, les décisions ne sont pas unanimes : dans certains points de vente, le rayon librairie est resté ouvert, et dans d’autres, il a simplement été fermé.

Si le confinement devait durer longtemps, je ne serais pas étonné que le gouvernement décide de garantir des règles d’équité au niveau des différents acteurs qui restent ouverts en déclarant qu’il n’est pas normal que les grandes surfaces continuent à distribuer du livre au détriment de l’activité des libraires classiques.

La distribution devrait donc fonctionner à un rythme plus lent. De toute façon, on retrouve au fur et à mesure une distribution qui va se concentrer sur les titres existants et pas sur les nouveautés.

  • Édition

À partir du moment où les diffuseurs et les distributeurs sont eux-mêmes en restriction d’activité importante ou complète, l’éditeur n’a plus beaucoup de travail. L’éditeur travaille au niveau du très court terme sur les réassorts, c’est-à-dire les nécessités de réimprimer et fournir, et d’une manière échelonnée sur le temps, donc sur les sorties programmées pour dans 3, 6 ou 9 mois, voire plus.

Son activité à très court terme peut être encore existante tant qu’il y a du stock qui s’écoule – évidemment, de manière beaucoup plus lente. Donc, l’activité des éditeurs pourrait se réduire uniquement à une activité de réimpression. Et ils vont très vraisemblablement être amenés à revoir complètement leur plan de parution si le confinement se prolonge, tout simplement parce qu’une vente qui n’a pas eu lieu n’aura pas lieu. Cela ne sert donc à rien de sortir des nouveautés maintenant, il faut les postposer complètement.

Le drame peut exister pour des titres qui devaient sortir maintenant et vont se retrouver un peu bousculés. J’imagine que les éditeurs sont en train de voir à toute vitesse leurs plans de vente avec un étalement dans le temps. Et toujours selon ce même principe qu’une vente qui n’est pas faite ne se fera pas, il y aura des décalages au moins aussi longs que la période de confinement.

Ces conséquences seront-elles échelonnées dans le temps ?

Dans le cas où le confinement est effectivement prolongé à trois semaines sans restrictions plus graves (comme celles prises en France), on aura naturellement une mise à l’arrêt de l’appareil de diffusion. Et peut-être même une mise à l’arrêt de l’appareil de distribution, tout simplement parce que les distributeurs ne pourront économiquement plus justifier le fait de tenir en activité une partie de leur personnel pour un volume réduit de leur activité.

Cela aurait comme conséquence une mise à l’arrêt des maisons d’édition quasiment au complet. La plupart des éditeurs ont dû profiter du lockdown pour revoir leur schéma organisationnel en mettant du personnel en télétravail, ce qui pourrait devenir un mode de fonctionnement plus naturel que ce qui l’était dans le passé et amener à des modifications d’organisation interne à l’avenir. S’il y a confinement prolongé, la quasi-totalité du personnel sera mise au chômage temporaire complet, sauf peut-être l’appareil administratif et financier pour pouvoir payer les factures, etc.

Même si le confinement était encore prolongé jusque mi-mai, cela ne ferait pas de différence concernant ces conséquences opérationnelles, contrairement aux conséquences économiques. Je ne suis pas certain, dans ce cas-là, que les sorties prévues pour l’été pourront avoir lieu. Je craindrais un redémarrage un peu chaotique qui ne retrouverait véritablement sa vitesse de croisière qu’à la rentrée.

De toute manière, les maisons d’édition ne redémarreront que très progressivement. Il faudra que tout l’appareil de vente se mette d’abord en action, à commencer par les librairies. Tout va devoir se remettre en place et ça va prendre du temps.

La suite de cet entretien la semaine prochaine !

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— Livia Orban

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