Coopération entre humains, algorithmes et arbres dans l’œuvre poétique d’Anaïs Berck

Quel est le rapport entre les arbres, les algorithmes et les êtres humains ? C’est l’une des questions auxquelles Anaïs Berck tente de répondre à travers ses œuvres poétiques, où les algorithmes libèrent la parole. Ses travaux sont le fruit de plusieurs années de recherche sur la transformation de la création littéraire par les algorithmes et le codage ainsi que d’études sur l’identité des arbres.

Anaïs Berck

Derrière le pseudonyme Anaïs Berck se cache An Mertens, artiste, performeuse et écrivaine bruxelloise. Elle est active au sein de Constant, une organisation se focalisant sur les cultures et pratiques artistiques numériques, les logiciels libres et les féminismes.

Ses travaux actuels sont largement influencés par ces sujets et se regroupent sous le nom d’Anaïs Berck, qui exprime la coopération entre les humains, les algorithmes et les arbres.

Libération des algorithmes

Dans son œuvre La Botanique coloniale wikifiée, l’artiste cherche à savoir comment réagiraient les algorithmes s’ils n’étaient pas biaisés par les opinions de leurs créateurs. Selon elle, ceux-ci font partie des esclaves du système néolibéral car ils sont majoritairement exploités à des fins commerciales. S’ils en avaient la possibilité, se dirigeraient-ils vers un monde plus égalitaire, une meilleure représentativité des entités non humaines (telles que les arbres) et une planète plus saine ?

Le travail d’Anaïs Berck offre également d’autres pistes de réflexion sur les droits d’auteur et le code créatif. Qui sont les auteurs d’une création algorithmique ? Y a-t-il un droit d’auteur collectif qui s’applique sur les logiciels libres et sur les données utilisées pour les créer ?

Concrètement, les travaux d’Anaïs Berck recherchent les connexions qui s’opèrent entre les trois éléments suivants : les arbres, les humains et les algorithmes. Parmi les différentes ramifications qui s’opèrent dans Wikidata, le référent structurel du fameux Wikipédia, l’artiste essaie de chercher une différence, celle qui sortira de l’ordinaire et des codes imposés. Wikipédia, ce modèle de logiciel libre que nous connaissons tous, est notamment utilisé comme base dans la création de nouveaux programmes Open Source.

Des arbres colonisés

Dans le bain des modèles du machine learning, cette altérité recherchée est représentée par des arbres, sujet de prédilection d’An Mertens depuis des années, tant en nature qu’en expérimentations et recherches plus élaborées. Pour elle, les arbres sont ces êtres non humains qui mériteraient une représentation plus égalitaire. Ceux-ci font partie de nos vies au quotidien, mais sont pourtant sous-estimés car ils ont été colonisés de la même manière que d’autres savoirs eurocentrés.

Dans le synopsis de son œuvre La Botanique coloniale wikifiée, elle explique qu’il existe « une relation intime entre la science botanique, le commerce et la politique étatique ». En effet, les noms des plantes, les arbres parmi d’autres, ont été commodifiés selon un certain point de vue : la classification de Linnaeus, noms latins devenus conformité universelle.

À la suite de ces standards assignés en tant que seule dénomination possible, des jardins botaniques ont pu voir le jour sur chaque continent. Dénigrant toute connaissance indigène, ceux-ci ont se sont imposés comme précurseurs uniques au nom de l’exploration économique et coloniale, marquant l’hégémonie occidentale avec les mêmes normes imposées au reste du monde.

Wikipédia et commodification des connaissances

Au niveau des algorithmes et du codage, Wikipédia est considéré comme un modèle dans la création de logiciels Open Source, comme présenté ci-dessus. Encyclopédie collaborative en ligne et multilingue, ses données sont quotidiennement modifiées, accessibles et gratuites. Wikidata se définit comme étant le stockage central des plateformes liées à Wikipédia. Cette plateforme de stockage peut être éditée et lue tant par des humains que des machines.

L’œuvre d’Anaïs Berck invite à une réflexion sur la liaison de tous ces éléments a priori contraires, et propose un mélange assez inattendu. Même si les connexions ne sont pas évidentes au début, l’intérêt de La Botanique coloniale wikifiée est de présenter « un arbre », suivi d’arborescences divergentes, même si elles sont issues d’un seul point de vue. Malgré l’hégémonie du système occidental et l’uniformisation des procédures dans le codage, nous pourrons constater que les algorithmes, au même titre que les données, sont composés de ramifications provenant de divers continents.

L’œuvre est basée sur des statistiques issues d’études quantitatives et qualitatives. Celle-ci présente les arborescences provenant de différents continents, et démontre que chacun d’entre eux joue un rôle dans la commodification des connaissances, même sur Wikipédia. Le but de cette installation est d’offrir une perspective différente sur les représentations que se projettent les êtres humains : tout « dépend des perspectives et des relations globales ».

Si le simple fait d’aller sur Wikipédia (ou d’y contribuer) semble être banal, nous pouvons toujours garder en mémoire le fait que les algorithmes soient influencés par les personnes qui les créent. Sous une apparence d’indépendance, de logique informatique et mathématique, ceux-ci sont formés sur base du système capitaliste et sont calqués sur notre société occidentale et ses agencements. Les algorithmes peuvent donc facilement répondre au contexte de système hégémonique eurocentré dans lequel ils ont été créés, laissant peu de place aux êtres non humains, aux êtres en dehors de la société de s’exprimer librement.

La dernière œuvre d’Anaïs Berck, intitulée Une anthologie, est actuellement visible à l’exposition Bye Bye Future ! L’art de voyager dans le temps au Musée Royal de Mariemont, prolongée jusqu’au 25 octobre 2020.

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Crédits image à la une : © Chromolithograph by W. Koehler, after Ernst Haeckel’s 1882 painting of Nillu bushes and hanging bamboo in the highlands of Sri Lanka, printed in Haeckel’s Wanderbilder (1905) — Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Lithographs_by_Ernst_Haeckel

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— Karolina Parzonko

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