Droit d’auteur international et particularités étatiques : le cas embarrassant du Projet Gutenberg
En mai dernier, en Italie, la Bibliothèque Gutenberg a été pointée du doigt comme site présumé contrefaisant. Son accès s’est vu bloqué sur tout le territoire. Entre confusion des enquêteurs, négligence de Gutenberg et problèmes de droit international, Lettres Numériques fait le point.
Le Projet Gutenberg, un but éducatif et non lucratif
Créé en 1971, le Projet Gutenberg est une plateforme en ligne américaine prenant la forme d’une gigantesque bibliothèque numérique à but non lucratif et visant à la transmission des savoirs à l’échelle internationale.
Sa particularité est qu’elle propose environ 60 000 ouvrages anciens tombés dans le domaine public, c’est-à-dire sur lesquels il n’y a plus de droit d’auteur. Selon les législations, ce phénomène survient pour chaque ouvrage un certain nombre d’années après la mort de son auteur. Il permet notamment à quiconque le souhaite de rendre l’ouvrage public sur Internet, sans besoin d’autorisation préalable.
À côté de ces ouvrages non protégés, en large majorité, la plateforme propose également une poignée de livres protégés, distribués licitement avec l’accord de leurs auteurs.
Le Projet Gutenberg, sur la liste des sites pirates en Italie
Pendant ce temps en Italie, pays dans lequel le site du Projet Gutenberg est pleinement accessible, la lutte contre les sites pirates bat son plein. Une trentaine de plateformes ont été placées sur liste noire et bloquées à la suite d’une enquête préliminaire menée par le parquet italien et la police financière. Le motif présumé est la mise à disposition publique de contenus protégés par le droit d’auteur.
Parmi elles, l’on retrouve avec surprise l’URL du Projet Gutenberg, qui a donc été rendu inaccessible sur l’ensemble du territoire italien pendant près d’un mois. Cette mesure a été dénoncée comme disproportionnée, car les ouvrages mettant en cause la bibliothèque n’ont pas été visés précisément.
Par ailleurs, outre le but clairement commercial des plateformes pirates, ces dernières mettent volontairement et massivement en ligne des ouvrages qui, peu importe les législations, sont encore protégés partout. Leur cas est donc a priori bien différent de celui des bibliothèques telles que le Projet Gutenberg.
S’en est suivi l’embarras du Procureur de la République près le tribunal de Rome et le déblocage de la situation au mois de juin.
L’ère du numérique nécessite-t-elle une harmonisation du droit d’auteur à l’international ?
Cependant, malgré la bonne volonté et la réputation sans faille du Projet Gutenberg, ce n’est pas la première fois que cela lui arrive : en 2018, un épisode similaire a eu lieu sur le territoire allemand, mais il était question cette fois d’œuvres bien définies de Thomas Mann.
En effet, bien que le droit d’auteur respecte la même trame à l’échelle internationale, certaines nuances existent. L’une de celles-ci constitue le cœur du problème de cette affaire. Pour qu’un ouvrage protégé par le droit d’auteur tombe dans le domaine public, il faut, dans l’UE, que l’écrivain soit décédé depuis 70 ans. Aux États-Unis, cette limite est fixée à 50 ans. Un livre depuis peu dans le domaine public aux États-Unis peut donc encore être protégé dans l’UE.
Toutefois, Internet efface les frontières et le contenu hébergé aux USA est accessible en un clic depuis l’UE. Une erreur d’inattention est donc vite arrivée, si bien que l’ère du numérique semble nous pousser vers une harmonisation du droit d’auteur à l’échelle internationale.
Pour l’instant, et à défaut d’un projet pharaonique d’harmonisation, une plateforme aussi importante que le Projet Gutenberg devrait faire plus attention aux spécificités juridiques nationales lors de la mise en ligne de ses contenus, afin d’éviter d’être assimilée à un site pirate.
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— Nausicaa Plas