Jeux vidéo : quelles évolutions et quelles pistes pour l’édition ?

Si la troisième rencontre internationale des distributeurs de contenus numériques était l’occasion d’aborder de grandes thématiques liées à l’ebook (revoir notre article précédent), elle a également permis à des acteurs d’autres domaines, tels que le jeu vidéo, de venir échanger sur les réalités de leur marché. Comment les jeux vidéo ont-ils évolué depuis la révolution numérique et quelles leçons en tirer pour l’édition ?

Parmi les intervenants, on retrouvait :

  • Jaime Giné, ancien vice-président du département développement international chez Electronic Arts ;
  • Laura Nevanlinna, directrice des opérations chez Kaiken Publishing ;
  • Juka Planman, fondateur de Tunnel Ground ;
  • Quim Garreta, créateur de Cubus Games ;

Electronic Arts : « Le prix de votre produit doit correspondre à la valeur que lui accorde son utilisateur »

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Jaime Giné a occupé la fonction de vice-président du département développement international au sein d’EA Games (entreprise de jeux que l’on ne présente plus tels que Les Sims, FIFA ou encore Need for Speed pour n’en citer que quelques-uns) entre 2000 et 2015, 15 années qui lui ont permis d’assister à l’évolution du jeu vidéo de très près. Au cours de cette période, le nombre de canaux ainsi que d’entreprises spécialisées dans le développement de jeux vidéo a explosé, or « dans l’industrie du jeu vidéo, si l’on ne se situe pas dans le top 5, on ne gagne pas d’argent ». Le changement le plus important provient des téléphones mobiles : aujourd’hui, de plus en plus de gens jouent sur leur smartphone. Jaimé Giné note deux différences principales entre les jeux sur mobile et ceux sur ordinateurs/consoles.

  1. Un jeu sur smartphone ne demande pas forcément une trame narrative très développée, l’important étant de se divertir « vite et bien ». On utilise en effet très souvent son smartphone pour jouer lorsque l’on se trouve dans les transports en commun, dans une salle d’attente, etc. Au contraire, les jeux sur ordinateurs et consoles sont beaucoup plus profonds et les joueurs s’impliquent beaucoup plus. Certains jeux nécessitent environ une centaine d’heures pour arriver au dénouement final.
  1. Assez logiquement, si un joueur est prêt à payer une somme non négligeable pour un jeu sur console/ordinateur (en moyenne, les nouveautés tournent aux environs de 50-60 €), il le sera beaucoup moins pour un jeu sur smartphone, un constat à la suite duquel EA Games a décidé d’arrêter de faire payer ses jeux sur mobile.

Selon Jaime Giné, une politique de prix adaptée à son public est donc primordiale pour survivre. « Le prix de votre produit doit impérativement correspondre à la valeur que lui accorde son utilisateur », explique-t-il. Un conseil en or pour les éditeurs qui jonglent entre papier et numérique ?

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Angry Birds, d’un simple jeu à la création d’un univers complet grâce à la narration transmédia

Tout le monde a déjà entendu parler de près ou de loin d’Angry Birds, ce jeu-application dans lequel le joueur, à l’aide d’un lance-pierre, envoie des oiseaux en colère sur des cochons, ceux-ci étant parfois protégés par des structures en bois. Si le niveau de départ est très facile, la difficulté augmente proportionnellement à la progression du joueur, qui se voit petit à petit attribuer de nouveaux oiseaux munis de pouvoirs spéciaux. Un mélange de simplicité et de stratégie qui a rapidement conquis son public puisque à peine trois ans après son lancement, le jeu avait dépassé le milliard de téléchargements.

Face à un tel succès, pourquoi s’arrêter là ? Comment toutefois prolonger le succès d’Angry Birds sur le long terme ? Pour Rovio, la société finlandaise de développement de jeux vidéo à l’origine d’Angry Birds, la réponse se trouve dans la narration transmédia.

Communauté de joueurs et expérience 360°, les clés du succès selon Kaiken Publishing

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Pour rappel, la narration transmédia consiste à combiner plusieurs médias (jeux vidéo, livres, cinéma, séries, etc.), chacun exploitant un contenu différent, pour un seul et même univers. Dans le cas d’Angry Birds, si le scénario de base peut sembler simpliste, les créateurs ont en réalité développé toute une trame narrative sous-jacente. Face au succès de leur jeu, ils ont donc décidé d’exploiter cette trame dans d’autres domaines, parmi lesquels l’édition et le cinéma. C’est ainsi qu’a été créée la maison d’édition Kaiken Publishing, entièrement consacrée au développement d’histoires sur ces « oiseaux en colère ». Parallèlement, un film vient également de sortir dans les salles et rencontre déjà un franc succès. Mieux encore, des liens existent entre les différents médias : en lançant sur votre smartphone l’application Angry Birds Action! à la fin de la séance de film, vous accédez automatiquement à du contenu inédit.

Comment expliquer un tel phénomène ? Pour Laura Nevanlinna, CEO de Kaiken Publishing, deux éléments sont primordiaux si l’on veut permettre à son produit de tenir sur la durée.

  1. Créer une communauté de lecteurs : ce n’est un secret pour personne, les réseaux sociaux et autres plateformes d’échanges grandissent un peu plus chaque jour et permettent aux créateurs de jeux vidéo, films et autres médias de prendre le pouls de leur popularité directement auprès des utilisateurs. Pour Laura Nevanlinna, non seulement il est primordial de suivre au plus près l’avis de sa communauté, mais il est également indispensable de prendre en compte leur avis dans le développement de la trame narrative.
  1. Privilégier autant que possible la narration transmédia : le numérique abolit de plus en plus les frontières entre les différents médias. Aujourd’hui, plus qu’une histoire, joueurs, lecteurs, cinéphiles et autres recherchent un univers complet décliné dans tous les médias qu’ils utilisent. Une façon de renforcer l’attachements aux personnages tout en apportant un contenu différent et adapté à chaque support.

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Que retenir pour l’édition ?

Les leçons tirées par l’univers du jeu vidéo ne sont bien évidemment pas toutes applicables au monde éditorial. À titre d’exemple, Jaime Giné explique qu’EA Games ne déploie actuellement aucun moyen afin de lutter contre le piratage car il s’agit pour la société de publicité gratuite. En effet, si le joueur désire accéder à l’intégralité du contenu, il sera forcé à un moment ou l’autre d’acheter le jeu vidéo, une philosophie difficilement adoptable par les éditeurs. Même chose pour certains business models utilisés par les développeurs de jeux : l’une des grandes tendances actuelles consiste par exemple à proposer un jeu gratuitement mais dans lequel le joueur est obligé de regarder des publicités pour progresser. D’autres privilégient la version « freemium », où le joueur peut évoluer gratuitement pendant une période donnée mais doit payer s’il veut accéder à la suite du contenu ou à toutes les possibilités qu’offre le jeu. Tout n’est donc pas forcément bon à prendre, mais en matière de narration transmédia, de politique de prix et de communautés de lecteurs, il y a toutefois grandement matière à réflexion.

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— Mélissa Haquenne

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Mélissa Haquenne

Digital Publishing Professional