Entretien avec Benoît Dubois : les conséquences des mesures de confinement sur le marché du livre belge (Partie 2)

Lettres Numériques s’est entretenu avec Benoît Dubois, administrateur de l’ADEB (Association des éditeurs belges), à propos des conséquences des mesures de confinement sur le marché du livre belge. Voici la deuxième partie de ces échanges.

Lettres Numériques : En parlant des librairies, pourrions-nous envisager l’instauration de la pratique du Collect & Go à l’avenir, à la suite de cette crise ?

Benoit Dubois_portraitBenoît Dubois : Concernant le Collect and Go, on voit que les libraires ne sont pas parvenus à l’organiser avec la fermeture des points de vente. Ils n’étaient pas du tout prêts à faire face à ce genre de demande. Cette crise-ci montre l’absolue nécessité de revoir leur mode de fonctionnement. Cela implique d’ouvrir au moment où la clientèle est présente et d’adapter le mode de distribution, de vente et peut-être leur mode de conseil aussi.

Les libraires développent actuellement des solutions pour concurrencer Amazon au niveau de la vente en ligne. Seulement, s’ils veulent véritablement entrer sur ce terrain-là, pour compenser leur retard, ils doivent penser à un avantage concurrentiel : le conseil en ligne.

Quelles conséquences économiques et financières pour l’ensemble du secteur ?

La grande interrogation est la suivante : quelle pièce de domino s’écroulera économiquement la première ?

  • Libraires

Les libraires sont les premiers à avoir fermé boutique. Ils ont pu dans la mesure du possible réguler très vite leurs frais fixes par rapport au manque de rentrée.

  • Distributeurs

Les distributeurs font en fonction du volume d’activité qui reste. Auront-ils une tendance à faire pression sur les libraires pour qu’ils paient ou, au contraire, comme certains grands distributeurs français, enverront-ils des messages de solidarité aux libraires en leur laissant le temps de payer ?

  • Éditeurs

Le phénomène de constriction financière remontera auprès des éditeurs un peu plus tard. Ainsi, le problème de l’éditeur n’est pas un problème de finance ici maintenant. Encore que les ventes de mars sont impactées, donc la facturation de début avril le sera également. Cela signifie que le flux financier de mai se retrouvera en difficulté… or, il permet aux éditeurs de passer l’été. Et le numérique ne peut pas compenser cela.

Admettons qu’on doive faire une croix sur le printemps et l’été des entrées au niveau des nouveautés, cela signifie qu’il ne faut rater ni le mois de septembre ni celui de décembre. Il risque d’y avoir un super embouteillage à ce moment-là. Le fait d’avoir 8 semaines d’arrêt d’activité entraînera une tendance à surproduire en septembre pour essayer de récupérer les choses. Cette surproduction peut amener des soucis de rentabilité en fin d’année.

En fait, cette chaîne de domino se fait pièce après pièce et chaque fois de manière un peu plus décalée dans le temps. Donc, même si le problème ne se présente pas aujourd’hui, il surviendra dans quelques semaines, probablement après la fin du confinement.

Le conseil à donner aux éditeurs est de tout de suite prendre des mesures conservatoires importantes par rapport à leurs liquidités. Qu’ils profitent des dispositions prises par le gouvernement fédéral pour négocier des remboursements après l’été avec les banques. Il faut vraiment profiter de ce ballon d’oxygène qui leur permettrait de faire le pont, mais en travaillant plus que jamais avec une vision budgétaire sur le moyen et le long terme.

Aussi, il est nécessaire de faire preuve de la plus grande adaptabilité possible par rapport à la situation. Les petites structures ont en effet plus de capacité que les grandes à pouvoir s’adapter. Voilà leur grande qualité : elles sont souples et flexibles là où les grosses structures peuvent être plus lourdes et avoir plus de difficultés à faire face dans leur organisation.

  • Auteurs

Je ne voudrais pas oublier les auteurs dans cette réflexion. De très gros problèmes s’annoncent pour eux, surtout pour ceux qui vivent de leurs droits. On risque d’avoir deux mouvements.

Le premier concerne le paiement des droits d’auteurs de 2019 qui doit s’effectuer normalement dans les mois qui viennent, à partir du 1er avril. Si les éditeurs ferment complètement – et il faut un minimum de fonctionnement comptable pour cette raison –, il est fort possible que les droits d’auteurs soient postposés, surtout si les éditeurs n’ont plus de liquidités.

Le second s’étale sur le plus long terme : la crise impactera très certainement le chiffre d’affaires de 2020, d’un point de vue national comme à l’exportation ou en ventes de droits. Par conséquent, il est quasiment inéluctable que les auteurs et notamment ceux qui vivent exclusivement de leurs droits auront des difficultés en 2021.

Et quid des consommateurs ?

La mise au chômage temporaire complet ou partiel d’un million de Belges actuellement, et peut-être un million et demi demain, sans parler des conséquences vécues par ceux qui ne peuvent pas en bénéficier, correspond à autant de pouvoir d’achat en moins. Soit les ménages auront connu une période de vie au ralenti et donc leur pouvoir d’achat restera inchangé en bout de course, soit il aura au contraire été sérieusement écorné. Dans ce cas-là, ils devront faire des choix dans leurs dépenses et les premières mesures d’économie se feront dans les loisirs… et dans le livre plus sûrement que l’abonnement télé et smartphone.

Qui va pouvoir subsister ? Qui va pouvoir redémarrer correctement au moment voulu et tenir le coup ? Je crains de très grandes difficultés à l’automne pour différents acteurs de notre secteur. Plus on remonte dans la chaîne du livre, plus l’impact sera retardé. À la fin du confinement, la question sera donc loin d’être résolue.

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— Livia Orban

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