Entretien autour de l’Amazonie avec l’artiste numérique Laura Colmenares Guerra (Partie 2)

Lettres Numériques a rencontré l’artiste Laura Colmenares Guerra pour une discussion autour de son nouveau projet Rivers, actuellement en cours de production. Celui-ci explore la relation entre le langage et la construction du territoire à partir de la topographie du bassin amazonien. Ce projet souhaite offrir une autre perspective sur l’Amazonie en mêlant l’observation et l’analyse de trois axes : les métadonnées (les hashtags relatifs à l’Amazonie sur les réseaux sociaux), les données topographiques du bassin amazonien (notamment 42 rivières affluentes au fleuve de l’Amazone) ainsi que les données géoréférencées des menaces socio-environnementales présentes sur le territoire de l’Amazonie. Un projet engagé, à multiples facettes, où la nature et l’environnement sont au centre des préoccupations de l’artiste, désireuse de montrer les ravages produits par les pratiques néolibérales globalisées sous couvert de « progrès et développement ».

Lettres Numériques : Parlons de votre deuxième point de la recherche : le rassemblement de données géoréférencées avec les activités humaines qui endommagent le territoire de l’Amazonie.

Laura Colmenares Guerra : À la suite de l’identification des informations sur les menaces et les dommages spécifiques qui se forment sur le territoire de l’Amazonie, j’ai trouvé des outils en ligne qui pouvaient m’aider à géolocaliser de façon très précise sur une carte les lieux où se trouvent, par exemple, des exploitations minières ou des centrales hydroélectriques (parmi d’autres). Le consortium d’organisations RAISG (Amazonia Network of Georeferenced Socio-Environmental Information) a notamment produit un important travail de géolocalisation de ces diverses exploitations humaines qui endommagent le territoire de l’Amazonie. Ces observations sont combinées à celles de l’association Amazon Watch, montrant en temps réel les feux actifs sur le territoire de l’Amazonie.

Un autre outil que j’utilise pour mes recherches est l’application Trase de l’association Global Canopy. Celle-ci permet notamment d’assurer le traçage d’import et export des produits issus de l’Amazonie (comme le soja) jusqu’au pays destinataire. Il est important de préciser que ce traçage est seulement possible auprès des compagnies qui ont décidé d’adhérer à certaines réglementations, les opérations de celles qui n’y adhèrent pas restent donc opaques.

Parlons maintenant de votre troisième point de la recherche : l’incorporation des données topographiques de 42 rivières du bassin amazonien.

Enfin, des données topographiques sont incorporées aux deux éléments de recherche précédents. Le résultat final sera la création de sculptures que je qualifie de « conteneurs historiques » de moments précis qui se sont déroulés en Amazonie.

J’ai décidé de travailler avec les 42 rivières les plus importantes de cette région, des affluents qui versent leurs eaux dans le fleuve Amazone. Je morcelle le territoire avec cette logique d’identification de chacune de ces rivières, pour essayer de comprendre quelles sont les problématiques de chacun de ces points-là. Tout le monde est au courant de l’immensité de l’Amazonie, à l’inverse je désire montrer les régions et leurs problèmes à une échelle plus petite que ce qui est représenté habituellement.

Au niveau des manipulations de la topographie, lorsque je dispose d’informations dans certains des points géoréférencés (par exemple, un secteur de mines existant là), j’y injecterai des données linguistiques (vues précédemment) en rapport avec les mines. Une modification sera donc effectuée également dans la topographie pour montrer qu’il s’y passe une activité humaine dommageable.

En même temps, ces données linguistiques sont aussi des données numériques. Le travail sur ces données s’assimile à l’archivage d’un moment dans l’histoire d’un territoire. Il est également intéressant de constater quel était le langage utilisé pour parler de ces régions à ce moment-là dans les réseaux sociaux.

Quel est l’aspect technique du projet ?

Le projet Rivers réunit donc les données topographiques du bassin amazonien, les données géoréférencées des menaces environnementales présentes sur le territoire de l’Amazonie, ainsi que les données collectées à la suite de l’analyse sémantique des hashtags présents sur les réseaux sociaux.

En tout, nous sommes 3 personnes à travailler sur ce projet. Je me suis notamment associée à un programmeur ainsi qu’à l’expert en linguistique Gijs de Heij, avec qui nous créons un logiciel d’analyse linguistique qui automatise la détection des hashtags et des tweets relatifs à l’Amazonie, alimentant la base de données en temps réel.

Les valeurs issues de l’analyse linguistique seront traduites en GIS (Geographic Information System), qui sera par la suite utilisé pour créer des modèles d’élévation numérique qui me permettront de créer une extrusion de la topographie en modèles 3D. Ceux-ci seront la base de la production finale de deux grandes sculptures imprimées en 3D, ainsi que de 42 sculptures en porcelaine de plus petites dimensions.

Ces sculptures seront dès lors assimilées à des artefacts archéologiques, des archives de moments historiques qui enregistrent les relations sémantiques entre les hashtags et les problématiques environnementales et sociales de l’Amazonie. Le but du projet est d’offrir une meilleure compréhension de la transformation de l’Amazonie à petite échelle, et de la relation entre la déforestation et l’approvisionnement de marchandises dans les pays consommateurs.

Tout notre mode de vie est basé sur le modèle extractiviste, qui n’est désormais plus tenable. Il y a 30 millions d’habitants en Amazonie (dont 1,4 million d’indigènes). Ceux-ci ont développé toute une série de systèmes de gestion durable qui protègent le territoire depuis des milliers d’années, préservant la richesse de la faune et de la flore amazonienne. Désormais, presque 20 % de la forêt amazonienne a été dévastée. Les rapports de l’INPE (National Institute for Space Research) démontrent que dans les 7 premiers mois de l’année 2019, le taux de déforestation dans l’Amazonie brésilienne a augmenté de 278 %.

Une transformation de nos modes de vie est donc nécessaire. Si l’on s’inspirait de ces peuples indigènes qui, à eux seuls, ont réussi à préserver la majorité des zones riches en biodiversité ?

Retrouvez la première partie de cet entretien ici.

Ailleurs sur Lettres Numériques :

Crédits image à la une : © Laura Colmenares Guerra – 3D Extrusion of the Amazon basin based on heightmap

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— Karolina Parzonko

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