Conférence : Vers l’écoresponsabilité : nouvelles initiatives dans la filière du livre

« L’écoresponsabilité est un sujet d’actualité pour nombre d’acteurs de la chaine du livre – même s’il pourrait l’être davantage, surtout dans les faits. Par rapport à il y a une dizaine d’années, nous sommes sortis d’une opposition entre édition papier et édition numérique, la seconde étant autrefois considérée comme étant potentiellement la plus vertueuse. Aujourd’hui, que le produit livre se consomme sur papier ou sur écran, l’innovation écologique vient aussi de nouvelles formes sociales. Impression, circulation, transport, c’est toute la filière qui prend des initiatives. »

Le mercredi 24 février 2021 se tenaient les Assises européennes du livre dans le cadre de la semaine professionnelle de la Foire du Livre 2021. Lettres Numériques y était présent et, chaque semaine, poste un compte-rendu des différentes rencontres qui ont eu lieu. La table ronde présentée dans cet article traite de l’écoresponsabilité et des nouvelles initiatives dans la filière du livre. Animée par Cécile Charonnat (Livre Hebdo, France), elle a recueilli les interventions de Charles Hédouin (Co-fondateur de l’AMAP Livr&Co, France), Barbora Baronová (Fondatrice de la maison d’édition indépendante WO-MEN Publishing, République tchèque) et Mathijs Suidman (Directeur commercial de la distribution des médias, Centraal Boekhuis, Pays Bas). 

Cécile Charonnat a ouvert la discussion en dressant un rapide portrait de la question de l’écologie dans le monde du livre, question qui anime beaucoup les débats actuels. Depuis 15 ans, plusieurs éditeurs agissent dans leur coin et essayent d’adopter des pratiques plus vertueuses et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, Cécile insiste sur le fait que, malgré ces actions, on peut toujours s’améliorer. En effet, l’industrie du livre est très polluante. Depuis trois ans, les innovations se multiplient dans le monde du livre, et c’est ce que nous allons voir avec les intervenants de la table ronde. L’écologie peut se nicher dans des endroits où on s’y attend le moins.

Livr&co

Le premier intervenant à prendre la parole est Charles Hédouin, le co-fondateur, avec Marion Carvalho, d’une librairie en ligne, Livr&co, qui existe depuis décembre 2020 en France. Cette librairie présente une particularité assez inédite : il s’agit d’une librairie écoresponsable, spécialisée dans la vente de livres écoconçus. L’objectif est de garantir la traçabilité des matériaux des livres. Charles nous explique qu’il y a une très forte demande sur le marché de l’alimentaire, du vestimentaire et du cosmétique afin d’adopter une éthique plus responsable, mais que, dans les objets culturels, il existe très peu d’offres. 

Effectivement, la chaine du livre reste une industrie ; il y a donc un impact environnemental certain. Lorsque Charles et Marion ont réfléchi à leur projet, ils ne souhaitaient pas publier des livres sur l’écologie ou l’écoresponsabilité, car il y en a déjà beaucoup sur le marché. Ils désiraient publier des livres de jeunesse, mais de manière écoresponsable. C’est dans cette optique qu’ils ont créé, avec des confrères et des consœurs, une démarche d’écoconception. Leur but était également de mettre en avant toute cette démarche et philosophie éditoriale auprès du grand public et des professionnels du livre désireux de se former et d’avoir cette philosophie éthique au sein de leurs pratiques. Charles et Marion voulaient également appuyer le caractère écoconçu non pas seulement sur la matérialité, mais aussi sur la participation au développement d’une économie circulaire, sociale et solidaire qui permettrait de rémunérer d’une façon équilibrée tous les maillons de cette chaine du livre et tous les membres de cet écosystème du livre qu’ils essayent de développer. 

Concrètement, Livr&co est une librairie en ligne, où il est donc possible de commander. Mais cette librairie a également pour but de développer d’autres façons d’expérimenter et de tester la demande des livres écoconçus auprès du grand public, et surtout d’expérimenter un autre modèle de diffusion et de consommation de ces objets culturels. Cela passe avant tout par la traçabilité pour voir qui a fabriqué et comment, voir les spécificités de la maison d’édition afin de prouver que ce ne sont pas des contraintes d’écoconcevoir un livre mais un choix éthique et économique des matériaux. Le but est aussi de tester les modèles de l’AMAP (= Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne). Dans ce cas-ci, il s’agirait plutôt d’une association pour le maintien et la protection de l’édition écoresponsable, regroupant des éditeurs engagés et éthiques grâce à des solutions de vente alternatives. Leur objectif est donc de tester un nouveau modèle pour que les personnes puissent se fournir plus localement en livres et puissent favoriser des acteurs du livre d’une chaine plus locale. 

Ensuite, Charles nous explique que leur librairie se développe avant tout grâce à l’événementiel. Ils y restituent les commandes passées en ligne, y rencontrent des maisons d’édition qui pourraient devenir leurs partenaires et y présentent leur catalogue sur des stands à des événements auxquels leurs maisons d’édition partenaires n’auraient peut-être pas pu assister. Il s’agit d’un repère ludique de l’édition écoresponsable lors d’événements littéraires et écologiques, de rencontres, d’ateliers, de formation… Charles insiste qu’il y a donc un côté diffusion en ligne et un autre côté aspect événementiel où il est possible de faire une présentation en direct. Finalement, ils agissent comme un raccourci entre les producteurs que sont les éditeurs et les consommateurs que sont les lecteurs.  Livr&co se veut être un raccourci pour mettre en avant le travail des producteurs vertueux. Leur projet sert à faire le lien avec le lecteur et à vulgariser ces informations autour de l’écoresponsabilité. 

Aujourd’hui, Livre&co recense une vingtaine de maisons d’édition, et beaucoup d’autres doivent arriver. Ils proposent plus de cent titres référencés sur le site, et bientôt le double. Leur autre objectif futur est de mettre en vente sur leur site des livres défraichis à tarif réduit. Il s’agit de livres neufs et non vendus qui sont renvoyés des points de vente et finissent généralement au pilon. Cela leur permettrait d’expérimenter un nouveau modèle à son échelle locale, pour qu’à la fois dans sa conception, en amont dans la chaine du livre il y ait une conscience pour qu’en aval il y ait moins de gestion de fin de vie de livres et essayer de bannir le pilon, sur quoi Barbora Baronová, la deuxième intervenante rebondira. 

Cécile Charonnat conclut cette première présentation en demandant comment ils choisissaient leurs partenaires. Charles Hédouin explique qu’ils sont sélectionnées en fonction de leurs démarches respectueuses de l’environnement. Livre&co affiche un système de pictogrammes qui sert de repères pour savoir s’il est fabriqué en France, écoconçu ou participant à une économie sociale et solidaire, par exemple. Ils ont mis ces critères en ligne pour que ce soit accessible par tout le monde. Ils ont passé un entretien avec les maisons d’édition avant qu’elles deviennent leur partenaire. Ils connaissent très bien leur catalogue et ont pu voir si les maisons d’édition étaient dans cette philosophie et savaient retracer la conception de leurs livres. Leur limite est l’Union Européenne. Si une maison d’édition imprime en Turquie, ils ne deviendront pas partenaires. Charles insiste que leur but est de montrer qu’il y a plein d’angles et plein de façons de produire un livre écoresponsable, même s’ils ne sont pas forcément écoconçus à 100%. Ils aident dans l’incitation et non dans l’imposition. En effet, le but n’est pas d’imposer une façon de faire des livres mais de proposer des alternatives. Il y a un million de façon d’être un éditeur, c’est métier extrêmement riche, mais des façons ont été testées pour avoir un impact plus faible sur l’environnement et une influence meilleure sur l’économie à son échelle locale, régionale et nationale.  Il y a tellement de solutions en fonction de son territoire et de sa localité que beaucoup de choses sont justifiables. Leur but est d’agir en tant que médiateur du grand public pour qu’ils comprennent tous ces enjeux et à quel point l’achat d’un livre impacte le métier d’éditeur mais également la santé et la biodiversité.

Biodiversité

Barbora Baronová, fondatrice de la maison d’édition indépendante WO-MEN Publishing, rebondit sur le mot « biodiversité » et emploie l’expression « édition organique ». Elle compare l’édition à l’agriculture biologique. Elle insiste qu’en tant qu’éditrice, elle se doit d’être responsable et de se concentrer sur ce qu’elle publie. Elle dénonce la surproduction dans le marché éditorial. Il n’est pas nécessaire de tout publier ou de republier des livres qui existent déjà ou dont le contenu est similaire ; on ne ferait que répliquer ce qui existe déjà. Pour elle, l’écologie du livre ne touche pas seulement sa conception mais également le contenu. Elle privilégie le concept du slow-publishing : l’édition lente. Elle publie 2-3 livres par an et prend 3-4 ans à éditer et publier un livre. Elle se demande où imprimer, combien en publier, quoi publier, quel matériau utiliser. Elle essaie de trouver le bon format de papier, le meilleur imprimeur local. Moins publier et mieux publier reviendrait à plus de diversité sur le marché.

Barbora essaie également d’apporter des sujets intéressants, des voix qui ne sont pas entendues parce qu’il est crucial d’envahir l’espace avec ces voix que l’on n’entend pas assez. Elle donne la voix à des sans-abris, à des femmes de plus de 60 ans. Elle veut amplifier la parole. 

« Quand on comprend l’expérience des gens, quand on lit quelque chose dont on n’a jamais entendu parler, on a plus de perceptions, on comprend mieux le monde. » 

Parmi cette offre pléthorique, Barbora dit qu’elle a peur de ne pas savoir quoi lire, de quoi parler. Mais en tant qu’éditrice, elle a la possibilité de présenter des choses différentes. Selon elle, c’est ça, la bibliodiversité. Si nous sommes tous pareils, nous ne pouvons pas connaitre l’expérience des autres. C’est pourquoi Barbora se concentre sur des livres qui ne sont pas de la fiction, comme des documentaires et de la photographie. Elle préfère se lancer dans l’édition de ce genre de livre plutôt que de livres qui seraient rentables. C’est de cette manière que Barbora appréhende à l’écologie. Il ne s’agit pas seulement réfléchir à du papier écologique. Elle réfléchit à ce qu’elle publie et le nombre de livres publiés. Imprimer un livre puis le retirer de la vente puis le ré-imprimer est contraire à ce qu’elle prône.

Ensuite, Barbora nous parle d’initiatives prises en République Tchèque. Ils ont mis en place des démarches alternatives qui visent à la redistribution. Ils sont en discussion avec les bibliothèques pour savoir si elles peuvent offrir un soutien. Selon Barbora, il n’est pas nécessaire d’acheter tous les livres qui nous intéressent ; pour ça, il existe des bibliothèques. En République Tchèque, ils ont la plus grande chaine de bibliothèques d’Europe. Si les librairies le souhaitent, elles peuvent s’arranger avec les bibliothèques pour qu’elles leur achètent des livres. De cette manière, les lecteurs n’ont pas besoin d’acheter chacun leur livre. C’est une façon de veiller à plus d’écologie dans le monde du livre.

Barbora affirme que ça pourrait être une question formative dans la distribution des aides de l’Etat. Quand on fait la demande d’une subvention, d’un financement en particulier auprès du ministre de la culture par exemple, on pourrait reprendre ce volet écologique dans la demande. 

Barbora termine son intervention en insistant sur l’importance de l’éduction de ce système dans la chaine de création du livre. Elle avoue être reconnaissante car les médias de l’Etat en République Tchèque donnent beaucoup d’espace sur les ondes pour en parler. Elle explique que beaucoup de lecteurs les accusent car le prix de leurs livres sont trop chers, mais c’est parce qu’ils ne savent pas que 60% du prix sert à couvrir seulement la production et la création du livre. Ils se doivent de décrire et de préciser pourquoi ils arrivent à ce prix, quelles sont les composantes de ce prix. Même si le livre, selon elle, n’est pas qu’une question de chiffres et d’affaires.

Print On Demand (POD)

Pour terminer Cécile Charonnat explique que les commandes express et les délais de livraison de plus en plus rapides constituent un frein au développement écologique de l’édition. Selon Mathijs Suidman, le troisième intervenant qui n’a malheureusement pas pu venir, le POD (impression à la demande) est la solution la plus vertueuse.

Barbora donne son avis sur la question en disant que quand elle pense au livre, elle pense à quelque chose au-delà de la valeur artistique. Si elle passe au POD, elle craint d’arriver à un livre comme n’importe quel autre livre. Ça peut être une solution pour certains types de livre, mais ce n’est pas LA solution. Elle n’opterait pas pour cela.

Charles rebondit en approuvant que la bibliodiversité ne touche pas seulement les contenus mais aussi les contenant, comme des formats originaux. Le POD, ce sont des énormes hangars qui consomment énormément d’électricité et qui ne permettent pas encore tous les formats, reliures, papiers… Selon lui, la meilleure solution serait les précommandes. Ça permettrait de tester la demande et de voir combien d’ouvrages il faudrait imprimer, ce qui réduit un peu le côté aléatoire en impression, du tirage, du nombre d’exemplaires à créer.

Nous conclurons ce compte-rendu par mentionner le livre présenté par Charles, qui reprend toutes les initiatives qui ont été faites en France, mais pas seulement, pour une meilleure traçabilité des livres : Écologie, économie sociale et solidaire : l’avenir du livre ?

Ailleurs sur Lettres Numériques :

Retrouvez Lettres Numériques sur Twitter, Facebook et LinkedIn

— Emiline Gambacorta

Share Button