Conférence : En temps de crise, quels sont les débouchés pour la commercialisation du livre à l’international ?

Lors de cette deuxième conférence des Assises Européennes, les discussions autour de la table ronde se sont tournées vers la commercialisation du livre à l’international. En effet, cette année de nombreux évènements commerciaux ont été annulés à cause de la crise sanitaire actuelle. Les foires du livre, les agents littéraires et autres acteurs du secteur du livre ont vu leurs activités complètement bouleversées. Comment ces acteurs de la commercialisation du livre se sont-ils réinventés ? Découvrez comment Arnaud Pasquali (Direction Générale de la Culture EAC à la Commission européenne, unité en charge de Creative Europe) et ses invités ont essayé de s’adapter à cette situation.

Comme Arnaud Pasquali le souligne, les foires du livre sont très importantes pour assurer un lien entre le livre et le grand public, et pour promouvoir la diversité géographique du secteur du livre. Elles ont un rôle primordial dans les ventes et les relations professionnelles. Cette année, il a fallu élaborer des nouveaux modèles afin de soutenir la compétitivité du secteur du livre.

Cette conférence a récolté les témoignages de différents acteurs du monde éditorial. Un représentant du monde de l’édition, un représentant du monde de la vente et un représentant d’une foire du livre nous ont expliqué comment ils ont vécu l’absence d’évènements professionnels ces 12 derniers mois et comment ils se sont adaptés à ces temps de crise.

Piero Attanasio (Italie) : « La crise nous a obligés à être créatifs »

Piero Attansio est le responsable des projets internationaux de l’AIE (Association Italienne des Éditeurs) et représentant de l’ALDUS (réseau européen de foires du livre). Il gère donc un grand réseau de foires en Europe. Ce réseau regroupe 20 foires différentes, dont quatre foires internationales (celles de Bologne, de Francfort, de Londres et d’Espagne) et 16 foires nationales plus petites. Le but de ce réseau est de créer des échanges entre plusieurs types de foires (pour les professionnels, les B2B [Business to Business] ou les B2C [Business to Consumer]). Avec la crise actuelle, l’importance de ce réseau est devenue encore plus évidente. Grâce à celui-ci, les organisateurs de foires ont pu partager entre eux leurs idées afin de voir comment ils allaient approcher les difficultés rencontrées à cause de la crise.  

L’un des plus grands enjeux n’a pas seulement été de faire en sorte que leurs évènements aient lieu, mais d’aussi de trouver une solution afin d’avoir une source de revenu. En effet, cette année, beaucoup de foires ont été annulées ou reportées. La foire de Bologne de l’an passé s’est déroulée, par exemple, en ligne. Ils ont dû, en quelques semaines, à cause du confinement soudain, se réorganiser et faire preuve de créativité. Ils ont eu l’idée de mettre en place des réunions d’illustration d’une durée de 24h pour que chacun ait la possibilité de présenter ses livres aux éditeurs du monde entier. Ces échanges se font normalement lors de foires annuelles. Il a fallu essayer de comprendre ce qu’on pouvait tirer de cette crise afin d’améliorer la façon dont une foire s’organisait.

Il est aussi difficile de prévoir quoi que ce soit en ces temps de crise. On parle de plus en plus de foires hybrides. Ce sont des foires qui organisent en parallèle de leur foire physique, des évènements en ligne qui ne remplacent pas pour autant l’expérience directe. Bien entendu, ces foires hybrides ne pourront avoir lieu qu’en période post-covid. Malheureusement, les foires en ligne sont aussi un énorme investissement pour les organisateurs. Et cette année, comme nous l’avons dit plus haut, les revenus des foires sont proches de zéro. Il est donc grand temps que les évènements physiques puissent à nouveau avoir lieu. Pour le moment, après l’annulation de tant d’évènements, il est primordial d’anticiper les plans d’investissements et de financements. 

Pour Piero Attansio, le leadership des foires européennes est en danger. Ce danger vient des outils que l’on va ou que l’on utilise déjà afin de faire face à la crise. Par exemple, quand on analyse le fonctionnement des plateformes « marchés pour les droits », on peut constater qu’il est très difficile de garder le contrôle de nombreuses informations. Le profilage des éditeurs est une information très importante. Il faut être capable de sécuriser cette dernière sans qu’un acteur prenne le contrôle des nouvelles plateformes comme on peut le constater régulièrement chez nos voisins américains.

Pour finir, il reste le problème de la diversité. Depuis mars 2021, nous sommes davantage « adverses » aux risques. Et bien entendu, notre vie étant passée en virtuel, la diversité a été réduite considérablement. On achète seulement ce dont on a entendu parler et on échange seulement avec les gens que l’on connaît sans regarder plus loin que le bout de notre nez. 

Sharon Galant, (Bruxelles/Sydney) : « Il n’y a pas que du négatif dans les réunions en ligne »

Sharon Galant est directrice de l’Agence littéraire Zeitgeist, une agence présente à Bruxelles et à Sydney. Son rôle est de faire un lien entre les auteurs et les éditeurs. Elle va chercher des nouveaux talents, retravailler leur texte si nécessaire, puis les aider à trouver un éditeur. Le fait que les projets soient déjà filtrés et qu’ils soient envoyés de manière ciblée est un grand avantage pour les éditeurs. Pour les auteurs, avoir un agent leur permet de se concentrer sur le processus artistique de leur livre. Dans la majorité des pays européens, en Asie et en Amérique, les auteurs ont des agents, ce qui est moins courant en France et en Belgique. 

La crise du covid-19 a apporté un vent de panique dans le secteur. De nombreux contrats ont été annulés, et des publications reportées. Le rôle des agents a été de négocier de nouveaux contrats pour leurs auteurs et de mettre en place des aménagements financiers lorsque leur livre était leur principale source de revenus. Après le premier confinement, il y a eu une reprise des acquisitions et une confiance en l’avenir même si les éditeurs sont moins disposés à débourser de gros montants pour acquérir de nouvelles œuvres.

Mais quels changements cette crise a-t-elle apporté dans le processus de création d’un livre ? 

La signature électronique est l’un de ceux-ci. Alors qu’auparavant peu de personnes acceptaient un contrat signé électroniquement, le passage par la signature électronique a permis au secteur du livre de travailler d’une manière presque normale malgré le fait que l’on ne se voyait plus.

Les foires et les réunions en présentiel n’étant plus au rendez-vous, beaucoup de rencontres ont dû se faire via Zoom. Et cela n’a pas que du négatif ! En effet, les réunions ont pu être étalées sur toute l’année. Cela a enlevé un stress aux acteurs de la chaîne du livre ne devant plus se rendre à un grand nombre de foires en peu de temps. Bien entendu, ce genre de rencontres ne remplacera pas la réunion en face à face. En effet, le facteur hasard et les heureuses rencontres lors de foires sont irremplaçables par Zoom. La chaîne du livre est une « Chain of love » comme le dit si bien Sharon Galant. Il faut convaincre chaque maillon de la chaîne que l’œuvre qu’on leur propose est digne de leur intérêt. Sans le contact humain, c’est bien entendu plus difficile. Si on regarde l’avenir, on constate qu’il est plus facile aujourd’hui de publier un livre lorsque l’on a déjà fait ses preuves. Une nouvelle maison d’édition ou un nouvel auteur auront plus de difficulté à se faire une petite place dans ce nouveau monde qui aime moins prendre des risques.

Marie Noble (Belgique) : « La Foire du Livre de Bruxelles se veut être fédérateur de la promotion du livre à l’année pour tous les publics »

Marie Noble, la commissaire générale de la Foire du livre de Bruxelles, nous a expliqué comment l’association a essayé de maintenir la Foire du Livre de Bruxelles malgré les restrictions actuelles. Il y a un an, la Foire du Livre de Bruxelles était l’une des dernières au monde à avoir lieu. Sans pouvoir se projeter à plus de 6 mois, il a fallu réfléchir à de nouvelles stratégies. La mission principale de cette foire est d’être un trait d’union. Les organisateurs de la foire se positionnent comme les fédérateurs de la promotion du livre et de la lecture à l’année pour tous les publics. Ils sont donc des médiateurs culturels. Leur mission est de relayer l’information, de partager les nouveautés et d’offrir une plateforme d’échange à tous les participants de la chaîne du livre.

Les organisateurs de la FLB ont donc dû réfléchir au moyen d’être présents lors de cette crise. La pandémie aura poussé leur réflexion : comment être encore plus proche du public tout en étant obligé d’être distant ? Il y a eu de nombreux plans différents, et finalement, ils ont décidé de lancer la semaine professionnelle en ligne. Ne s’étant plus rencontrés depuis plus d’un an, il fallait trouver un moyen de permettre aux professionnels du secteur du livre d’échanger leurs bonnes pratiques face à la crise sanitaire. C’est pourquoi les deux jours habituels des échanges professionnels de la Foire du Livre de Bruxelles ont été étalés sur une semaine et se sont déroulés virtuellement. Cela a permis aux organisateurs de cet évènement d’atteindre des personnes dans le monde entier, ce qui n’aurait pas été possible en présentiel. La Foire du livre de Bruxelles pour tout public a, quant à elle, été repoussée en mai mais cela reste à voir en fonction de l’évolution des restrictions dans notre cher pays.

En conclusion…

La crise actuelle aura forcé le secteur à être plus entreprenant et à bifurquer vers des échanges virtuels. Cela a permis à chaque acteur de découvrir une nouvelle façon de travailler. Mais malgré les nombreux avantages des réunions en ligne (toucher des personnes du monde entier, une rapidité des réponses et décisions, moins de voyages…), le manque de rencontres en présentiel se fait sentir cette année et surtout le manque de revenus pour les organisateurs des foires. Cela implique aussi moins d’échanges avec de nouveaux entrants sur le marché et donc moins de diversité. Est-ce le début de nouvelles habitudes pour le secteur du livre ? Seul l’avenir nous le dira…

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— Clémence Claes

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