Un nouveau Salon littéraire organisé par Le Monde en pleine pandémie ?
Depuis bientôt un an, nous vous annonçons régulièrement l’annulation de tel ou tel salon du livre, de tel événement littéraire ou culturel. Le Livre Paris et le Festival de la BD d’Angoulême ont subi récemment le même sort. Malgré cette actualité pandémique, le groupe Le Monde a quant à lui décidé de construire un salon littéraire pas plus tard que pour ce mois de juin à La Villette.
D’où vient ce projet ?
Le Monde, Télérama et Le Nouvel Obs se sont unis autour d’« une volonté commune de se réunir autour de la littérature et de la bande dessinée ». Les responsables des rubriques que sont Jean Birnbaum (Le Monde), Jérôme Garcin (L’Obs) et Fabienne Pascaud (Télérama) présentent leur projet de salon en insistant sur l’engagement de chacun de leur média pour le livre et la lecture.
Les trois médias disposent d’un public qui « recoupe en large partie la clientèle des librairies ». « Ce choix du Monde prolonge le soutien qu’il a apporté aux librairies indépendantes durant la crise de 2020 grâce à la mise à disposition gracieuse d’espaces pour la campagne de communication en faveur des librairies indépendantes ».
Les organisateurs de ce projet ne souhaitent aucunement se placer au niveau de Livre Paris ou du Festival de la BD que nous mentionnions plus haut. C’est dans cette perspective que Laurence Zimmermann-Malka, Commissaire générale du salon et responsable des salons pour le groupe Le Monde, déclare : « Nous sommes bien plus humbles : ce ne sera ni le salon Livre Paris ni celui de la BD d’Angoulême. Nous souhaitons le baser avant tout sur des rencontres littéraires. Nous nous basons sur notre optimisme, pour préparer l’événement. On espère, après les promesses du président Macron de ces derniers jours, qu’il sera possible de jouer sur la réouverture progressive annoncée pour la mi-mai. »
En effet, le président a précisé que seuls certains lieux culturels retrouveraient une activité, et ce en fonction de l’agenda progressif qui doit être établi entre la mi-mai et le début de l’été. Mais ce 2 avril, devant l’Hôtel de Ville de Paris, une manifestation réunissant artistes, professionnels du spectacle et organisations syndicales dénonçait déjà ces « paroles et rien que des paroles » … Nous verrons donc ce que l’avenir politico-pandémique réserve à ce salon !
En quoi consisterait-il ?
Au sein de la Halle Nord de La Villette, durant trois jours consécutifs du 4 au 6 juin, le salon se déroulera simultanément dans 250 librairies de façon gratuite, avec le soutien du Syndicat de la Librairie Française.
Au programme :
- 40 discussions thématiques avec des auteurs de BD et de romans
- Des stands éditeurs pour les dédicaces
- Un studio radio en partenariat avec France Inter.
Il est judicieux de citer Laurence Bloch, directrice de la station France Inter, pour saisir toute la pertinence de ce partenariat : « La rencontre entre un auteur et ses lecteurs est une alchimie subtile, magique, puissante, loin des déterminismes sociologiques ou identitaires. Il n’y est question que de liberté, d’affinité, d’émancipation et de passion. Elle est du même ordre pour la Radio et ses auditeurs, et c’est la raison pour laquelle la Radio et le Livre vont si bien ensemble, se nourrissant et s’épaulant l’une l’autre. »
Un site internet est évidemment consacré à cette édition de façon à pouvoir y retrouver plus précisément le programme, mais aussi des captations, et surtout les formulaires d’inscriptions pour le public. Vous y trouverez également les informations nécessaires concernant l’offre éditoriale et commerciale : pour un exposant, il faudra compter entre 15 et 27.000 € pour un espace de 18 à 36 m2 ; des offres commerciales complémentaires, entre 20 et 50.000 €, permettent d’accroître son engagement et son investissement.
Main dans la main, les quatre médias associés tentent d’élaborer un événement littéraire pérenne, visant d’une part « la promotion de la filière de l’édition et du livre », et d’autre part une diffusion territoriale plus large grâce à l’intervention des librairies.
Un projet irréalisable ?
Si selon le président du directoire, Louis Dreyfus, ce sont bien 250 librairies qui participeront à l’engouement et que le Syndicat de la Librairie Française a été sollicité par Le Monde afin d’associer « les librairies indépendantes à cette manifestation […] », quelques doutes quant à la réalisation du projet se font ressentir. En effet, le SLF dit relayer la manifestation auprès des libraires mais plusieurs d’entre eux assurent « n’avoir pas vu passer du tout l’information. Et puis, pour faire quoi dans les librairies ? Certes, nous sommes ouverts, mais tout ce qui relève des animations s’opère dans des formats plus que réduits » ! Et ce, même si « le miracle de la librairie se poursuit », avec des ventes pour le mois de mars 2021 qui se présentent meilleures encore qu’en mars 2019. D’ailleurs, pas plus d’explications ne sont données. Que ce soit concernant l’investissement du SLF ou le nombre de librairies engagées. Difficile donc de savoir sur quoi reposent les éléments communiqués par Louis Dreyfus à ses équipes.
Dans la même idée, si Laurence Zimmermann-Malka déclare en ce début d’avril qu’ils ont reçu « des retours assez favorables de structures éditoriales », plusieurs maisons confirment avoir en effet reçu le dossier de présentation, mais avec un certain scepticisme. Voici une liste des réactions que le projet suscite :
- « Nos éditeurs semblent assez réservés vu le contexte sanitaire, le format relativement classique et le budget »
- « Le monde de l’édition ne veut plus de manifestation avec des stands, à l’image de Livre Paris à la Porte de Versailles. Pourquoi s’engouffrerait-il à La Villette pour acheter des stands ? »
- « Aucun des grands groupes ne bougera, alors que Livre Paris est totalement repensé. Comment s’investir dans un événement qui y ressemble, avec un vernis culturel plus appuyé ? D’autant que s’il faut annuler, décaler, réduire la voilure ou les jauges, tout ressemblerait à un premier jet manqué »
- « Après si c’est une réussite, ça peut être un coup de maître en l’absence de Livre Paris, pour installer quelque chose, mais l’expérience laisse penser que virus ou pas, les années 1 ne sont jamais des coups de maître : elles comportent toujours un coût d’apprentissage et d’installation. »
- « Quant à annoncer un événement en pleine pandémie, pour juin 2021, cela ressemble plus à une prise de rendez-vous pour 2022 qu’à une perspective prochaine. Recruter au moins une vingtaine d’exposants en trois mois, pour couvrir l’espace de la Halle Nord, serait déjà difficile en période normale »
- « Au mieux, c’est inadapté, au pire incohérent. Et dans tous les cas, cela tient de la provocation inutile alors que l’on assiste à une vague d’annulations globales des manifestations. Les organisateurs d’événements savent que ce n’est pas possible. »
- « On ne sait pas forcément trop quoi en penser, mais en interne, on nous dit de tout faire comme si c’était sérieux »
- « Avec en plus une entrée gratuite, certains se demandent aussi comment MOT pour MOTS gagnerait de l’argent. »
- « Alors que le SNE ne souhaite plus de foire commerciale, on imagine plutôt que le groupe Le Monde se tourne vers 2022. Et ce, parce que la perspective d’une année où la lecture deviendrait cause nationale est en réflexion »
En guise de conclusion
Certes, les incertitudes liées à la situation sanitaire sont loin d’être derrière nous et l’organisation d’événements, qu’ils soient littéraires ou non, restent encore floue actuellement. L’initiative du groupe Le Monde sera-t-elle réalisable en si peu de temps et dans un contexte si particulier ? Les avis diffèrent… l’évolution du projet est à surveiller.
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— Aline Jamme