La polémique autour du prêt numérique contrôlé continue d’enflammer le monde de l’édition

Le prêt numérique contrôlé, concept qui a pris naissance aux États-Unis, engendre de grands débats dans le monde de l’édition. Nombreuses sont les personnes, en particulier les éditeurs, opposés à ce principe qui violerait le droit d’auteur. Lettres Numériques a décidé de vous éclairer sur cette problématique outre-Atlantique qui pourrait, qui sait, aussi bien arriver chez nous.

En effet, le prêt numérique contrôlé autorise les bibliothèques à digitaliser des livres imprimés qu’elles possèdent déjà, à condition que ceux-ci ne se retrouvent pas déjà sur le marché en version numérique. Et tout cela sans demander l’accord des ayants droit ! Depuis qu’Internet Archive, une des plus grandes bibliothèques numériques aux USA, s’est lancée dans le prêt numérique contrôlé, les plaintes et débats ne cessent de croître jusqu’à en venir au procès.

Tout d’abord, quelle est l’histoire d’Internet Archive ?

Internet Archive est un organisme à but non lucratif fondé en 1996 par Brewster Kahle à San Francisco dans le but premier de préserver un historique d’Internet. Par la suite, cet archivage du Web deviendra une bibliothèque numérique. L’objectif principal d’Internet Archive est de « procurer un accès universel au savoir humain ». En 2010, la plateforme proposait plus de deux millions de livres numérisés, et est à présent la plus grande bibliothèque numérique publique mondiale.

En partenariat avec d’autres bibliothèques, Internet Archive a pris l’initiative de concrétiser le prêt numérique contrôlé aux États-Unis (en anglais : controlled digital lending, CDL).

Mais qu’est-ce que ce prêt numérique contrôlé ?

Ce sont des livres papier ne disposant pas encore de version numérique, digitalisés afin d’être empruntés en ligne. Cette reproduction numérique d’un œuvre fait l’objet de nombreuses polémiques. Née d’une interprétation de la législation sur les droits d’auteurs, elle doit néanmoins suivre quelques règles.

Les titres numérisés doivent faire partie de la collection papier de la bibliothèque qui les digitalise. Ils ne peuvent être prêtés à une personne seulement à la fois et doivent respecter strictement les conditions de prêt de l’exemplaire imprimé.

Malgré ces conditions et le côté légal du concept, les interprétations des lois des droits d’auteurs divergent et la crise sanitaire ne va pas aider à apaiser les tensions qui existaient déjà… En effet, en 2019, une quarantaine d’organisations avaient déjà signé une lettre ouverte pour condamner la pratique du prêt numérique contrôlé.

L’arrivée de la crise sanitaire

Les ouvrages disponibles sur Internet Archive étaient avant la crise de Covid-19 protégés par un verrou numérique qui empêchait le transfert ou la consultation du livre après la période d’emprunt, prédéfini auparavant. Mais avec l’arrivée de la crise sanitaire et la fermeture des bibliothèques physiques, Internet Archive a décidé d’enlever cette limitation et a autorisé plusieurs personnes à lire un même livre numérique à la fois afin de combler le vide provoqué par la crise. Cette décision a impliqué de nouvelles inquiétudes dans le secteur du livre américain surtout du côté des éditeurs.

Des éditeurs comme Hachette Book Group, HapperCollins et Peguin Randolm House, ont décidé de porter plainte le 1er juin 2020 devant une juridiction américaine. Ces derniers soutiennent que la bibliothèque numérique d’Internet Archive est responsable d’une « violation massive et délibérée du droit d’auteur ». Les risques judiciaires sont exorbitants pour que la bibliothèque accusée prenne le moindre risque. Ils ont donc décidé de fermer leurs bibliothèques numériques en urgence sans néanmoins attaquer de leur côté les maisons d’édition.

Pour les défenseurs du prêt numérique contrôlé, la plainte d’éditeurs s’attaque au concept même d’une bibliothèque numérique. En effet, soutenu par la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (IFLA), nombreux sont ceux qui explique les prêts numériques contrôlés sont un moyen aux bibliothèques d’assurer leurs missions, c’est-à-dire rendre accessible tous les livres en numériques même ceux qui n’étaient pas encore sur le marché.

Cependant, il est primordial d’instaurer une limitation de ces prêts dans les mêmes conditions que le prêt de l’exemplaire imprimé. Il est important de retenir le mot « contrôlé » dans prêt numérique contrôlé. Le prêt numérique dispo d’un cadre juridique et de dispositifs techniques de protection (DRM). De plus, il ne concerne en aucun cas les livres dont les versions numériques sont disponibles chez les éditeurs.

Le procès d’Internet Archive qui aura lieu en novembre prochain sera la prochaine étape cruciale dans ce débat. Ce procès nous montre bien le dialogue particulièrement tendu qui existe entre les bibliothèques et les éditeurs quand il est question de livre numérique.

Conclusion

En conclusion, il faudra attendre novembre 2021 pour connaître la finalité de ce débat. Il faut aussi savoir que malgré le fait que les livres numérisés par Internet Archive sont protégés et chronodégradables, c’est-à-dire qu’ils disparaissaient après deux semaines d’utilisation, le modèle est loin d’être parfait. En effet, nombreux sont les ouvrages sous droits que l’on retrouve piratés sur la plateforme et accessibles librement sans restriction liée au prêt numérique contrôlé.

En Europe, nous ne rencontrons pas encore ce problème. Par exemple, dans la législation en France, l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle explique que si la source de la copie est licite, une numération est possible à condition qu’elle soit « strictement réservée à l’usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective ». Elles ne peuvent donc pas encore constituer une offre à un usage public.

Pour terminer, ce sujet offre de nombreux débats. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. Il faut garder un regard critique sur la situation et seul l’avenir nous dira quelle sera son évolution !

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— Clémence Claes

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