Entretien avec Jérôme Poloczek autour de son recueil « Presque poèmes »

Comme l’année dernière, Lettres Numériques participe à la campagne « Lisez-vous le belge ? » organisée par le PILEn du 1er novembre au 6 décembre. Dans ce cadre, par le biais de l’interview de quatre auteurs et autrices, Lettres Numériques souhaite mettre en avant le livre belge francophone décliné sur des supports « inattendus » et transmédias. Aujourd’hui nous nous entretenons avec Jérôme Poloczek, auteur du recueil de poésie Presque poèmes.

Lettres Numériques : En tant que poète belge, pourriez-vous nous décrire votre parcours ?  

Jérôme Poloczek : On m’a proposé de rejoindre le comité éditorial d’une revue appelée Écritures et j’ai accepté. À 23 ans, j’ai édité un premier numéro, qui s’est révélé être le dernier de la revue et qui tournait autour de Guillaume Dustan. Par la suite, j’ai toujours écrit et toujours édité des revues de poésie, mais toujours avec une envie de faire dialoguer la littérature avec l’image. Je travaille donc avec des illustrateurs et des artistes plasticiens. De fil en aiguille, j’ai fait pas mal de livres, de petites éditions, des textes éditoriaux. J’étais beaucoup dans le milieu de la micro édition et de la micro distribution. Puis à un moment j’ai publié un texte plus classique, Autubiographie publié chez L’Arbre à paroles, et depuis, ça continue.

Présentez-nous en quelques mots votre œuvre Presque poèmes.

C’est un livre de poèmes, mais qui s’appelle « Presque », parce que j’ai une réticence vis-à-vis de la poésie. En effet, elle me semble, dans le milieu littéraire, comme quelque chose qui peut se complaire dans la littérature sur papier crème. D’un côté il y a cette idée de tradition noble, et d’un autre côté cet aspect très minoritaire et surtout fier d’être minoritaire. J’avais peur de faire un livre de poésie qui tomberait dans ces deux dangers, dans cette noblesse un peu maniérée, dans cette poésie qui ne cherche pas à être populaire. Je voulais donc un livre de poèmes très courts et c’est pour ça que ça s’appelle « Presque ».

Je voulais aussi un livre de poèmes « pop ». J’entends par là que mes poèmes sont populaires. Presque poèmes, c’est parti d’une envie de quotidien dans l’écriture, mais aussi une envie de corps. En effet, d’habitude, l’écriture c’est se mettre à une table et rester devant son ordinateur pendant des heures à retoucher. Mon envie ici, c’était d’être dans la vie, en balade, dans un train… et soudain quelque chose se passe : il faut le capter avec un croquis. Ici, au lieu d’un dessin, je propose quelques phrases, qui sont dès lors une évidence.

Durant 4 ans j’ai constitué un dossier de 400 poèmes et dans le livre il y en a 99. Je les ai triés et les ai séquencés dans le recueil. Souvent quand le poème n’était pas spontané, il ne tenait plus la route ensuite lors de la retouche et je ne le conservais pas. J’ai simplement retravaillé ceux qui étaient sortis d’un premier jet en les ciselant un minimum, en réfléchissant où mettre la virgule ou couper les vers. C’est du croquis en poésie. J’avais tous les poèmes sur des bouts de papier imprimés. J’ai ôté ceux qui me semblaient plus faibles, c’est-à-dire ceux qui étaient uniquement de l’ordre de la drôlerie. J’ai gardé ceux qui étaient drôles et graves à la fois, que je trouvais forts en me rendant compte que beaucoup abordaient des thèmes importants. Ensuite, je les ai spatialisés au sol en cercles et j’ai séquencé en cherchant un début et une fin. Finalement j’ai constitué une espèce de dérive, un voyage, une promenade qui commence dans l’optimisme, et d’un coup on tombe dans l’émotion, dans la mélancolie avant de revenir dans le bonheur. C’est un voyage surtout émotionnel avec des motifs récurrents (voyage, parentalité, enfantement, violence, politique, racisme, etc.) qui se sont érigés en étapes du recueil.

Il y a des questions de diffusion et de distribution qui sont difficiles dans la littérature belge actuelle et j’ai envie que la langue à l’intérieur d’un livre soit précise et donc différente pour chaque livre, mais aussi que chaque forme soit assez travaillée, de façon à ce qu’elle puisse parler à des personnes très diverses, y compris des ados, des enfants, ou encore des personnes dont la langue française n’est pas la langue maternelle. Mon désir était qu’en tous cas, mon livre puisse être vendu dans un supermarché. C’est donc populaire dans le sens ou je veux une forme transmissible. Pour moi, quand c’est flou, ésotérique ou mystérieux, c’est rarement bon signe. Il peut y avoir du bon, mais souvent c’est de la fumée pour faire paraître quelque chose plus grand que ce qu’il est, en poésie, mais aussi en littérature de manière générale.

Vous avez intitulé votre œuvre Presque poèmes. Presque laisse entendre que vos textes ne sont pas tout à fait des poèmes… diriez-vous qu’il s’agit de poèmes qui ne sont pas terminés ? Si non, que laisse entendre « Presque » ?

« Presque » laisse bien sous-entendre qu’il ne s’agit pas tout à fait de poèmes, mais pas qu’ils ne sont pas terminés. Ces poèmes sont même très finis. Ce n’est pas une forme a minima, tronquée, elle est bien complète. Le mot presque est plutôt l’affirmation de la forme : des poèmes très courts.

Le livre donne cette définition : « Un presque poème est un poème court qui aurait pu ne pas. » En d’autres mots, ils auraient pu ne pas arriver, ne pas être captés et retranscrits. C’est de l’anodin qui soudain devient signifiant parce qu’on l’a saisi. Ce sont des poèmes pour lesquels on a mis le moins de traits possibles pour que le dessin soit à la fois très accessible et étonnant, car en quelques mots on capte un tout.

Peut-on qualifier vos poèmes de minimalistes ?

Oui, dans le sens où il y a la recherche d’un minimum de moyens, de mots. Mais j’associe le minimalisme aux arts plastiques et donc à une forme abstraite avec des formes et des couleurs qui n’utilise pas le figuratif dans la représentation. Le terme plus adéquat, c’est « poèmes pauvres » dans le sens Arte povera. En fait, je veux qu’ils soient sensoriels et physiques, pas abstraits.

Pouvez-vous nous parler de la genèse et des inspirations de ce projet ?

La genèse, c’est cette idée de « que faire avec la poésie dans la littérature contemporaine ? ». J’ai très vite publié des auteurs de poésie, mais moi-même je la repoussais. J’écrivais de la prose, des formes courtes, mais qui rejetaient la musicalité et les rebonds propres à la poésie. Par ce livre, l’enjeu pour moi était de savoir comment aborder le poème, comment faire simple et surtout comment se donner le droit. Et finalement, j’ai décidé de l’aborder à la manière du croquis, qui peut être soit bon ou mauvais, mais dont le but est la captation du réel.

En ce qui concerne l’inspiration, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de l’ordre de la ritournelle, des choses qui ont déjà été faites. Les inspirations vont plus être du registre du « bête », il s’agit d’une « poésie idiote » dans l’idée qu’on peut faire une forme très simple avec une absence de technique qui fait qu’on va se rapprocher d’un art naïf, voire idiot, à l’instar de la chanson populaire. Mes inspirations sont des poésies qu’on essaye de déconstruire comme le dadaïsme ou, presque à l’autre opposé, la musique populaire. Nous pouvons citer les textes de Mathieu Bogaert, auteur compositeur, qui sont bons quand on les entend, ils ont l’air bêtes dans le sens simple, mais ils sont finalement énormément travaillés.

Pourquoi avoir choisi ce format et cette conception graphique originale, au format A6 (petit poche), à la couverture jaune éclatant qui contient dans le rabat intérieur deux dessins crayonnés ?

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai publié chez Tétras Lyre, puisqu’ils ont une ligne graphique renouvelée depuis deux ou trois ans. Je savais qu’il serait possible avec eux d’inventer un objet livre. La forme du livre est une question d’esthétique et par extension une question politique, et je voulais un livre très affirmatif, avec une langue pauvre et simple, mais pas « un petit livre gentil ». Sur un rayonnage de librairie, je voulais qu’il soit combatif.

Presque poèmes_cover

J’ai tout mis en page et j’ai dû me battre pour la couverture jaune. Elle est très pop et osée. Le format donne l’impression d’un flyer coupé, le livre ne prend pas toute la place sur la table, et ainsi elle confirme qu’à l’intérieur on trouvera de petites choses. Par contre le titre est écrit en grand et sur fond jaune très affirmatif qui fait que mon nom en blanc n’est plus trop lisible, relégué à l’arrière-plan, à l’inverse du titre qui est en bleu et saute aux yeux. La typographie est celle d’un livre pour enfant ou d’une affiche politique.

Dans le livre il n’y a qu’un poème par double page, la page de gauche est vide. Je me suis également battu pour cela parce que je voulais qu’en ouvrant le livre on découvre quelque chose. S’il y avait un poème des deux côtés, on aurait eu des dictiques, et donc deux images/poèmes qui se font face et forcément, qui dialoguent. Tandis qu’ici, on tourne la page pour découvrir une nouvelle chose.

Avez-vous de prochains projets ? D’autres idées de support inattendu ?

J’ai un projet déjà depuis 5 ans et que j’espère d’ailleurs le terminer ce mois-ci. J’ai invité des personnes à visiter dans un jardin une tête d’agneau achetée au marché pour 5 euros. J’étais intrigué qu’on puisse acheter un visage d’animal pour ce prix. En général, on utilise ça pour en faire un bouillon et moi je l’ai installé comme une nature morte dans un jardin. Les gens sont venus la visiter, j’enregistrais alors leur conversation. C’était le début d’un texte qui verra bientôt le jour.

Le recueil Presque poèmes est accompagné d’un projet vidéo et d’une performance. Pouvez-vous nous en parler ?

Je me suis posé cette question : « Comment présenter en public la littérature ? » Un livre a la particularité de pouvoir être ouvert n’importe quand par la personne qui le possède, mais en public il y a quelque chose d’instantané avec des personnes en face, et donc c’est important que ce soit un enjeu nouveau et d’assumer le fait qu’on soit dans un espace et dans un présent dans lequel il faut transmettre au mieux la littérature, surtout un projet comme celui-là. Je crée une performance pour la sortie de tous mes livres.

Cette fois, j’ai inventé des chorégraphies qui ne sont pas des improvisations, elles sont créées au préalable pour le poème. J’avais envie que ce soit un langage du registre de l’enfance de l’art comme le mime, le croquis simple. De la même manière que lorsqu’on entend une chanson d’enfant on fait les gestes pour retenir les paroles, j’ai inventé les gestes pour retenir le poème et donc il y a environ 35 poèmes sur les 99 pour lesquels il y a une chorégraphie.

Presque poèmes_choré

En public, les personnes reçoivent un livret avec les 35 poèmes et je suis comme un Juke box vivant : ils lisent un poème, j’exécute une chorégraphie, comme un mime muet. J’ai fait cette performance déjà 6 fois et toutes ces danses ont été filmées. Le partenariat de diffusion se fait avec les Midis de la poésie à Bruxelles. Ils en publient une par semaine sur leurs réseaux sociaux et il y en a déjà une douzaine sur YouTube.

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— Aline Jamme

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