Code Is Law : des métadonnées à l’art numérique
Dans ces temps difficiles de pandémie de Covid-19, les initiatives culturelles continuent malgré tout à fleurir afin d’offrir de nouvelles pistes de réflexion créatives. C’est le cas de l’exposition collective Code Is Law au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, visible jusqu’au 28 février. Neuf artistes basés à Bruxelles et en Wallonie présentent ainsi les enjeux du code informatique et de la programmation dans leur pratique de l’art contemporain. À la manière d’un cabinet de curiosités ultra-moderne, l’exposition invite les visiteurs à découvrir les ressorts technologiques qui agitent le monde actuel.
Questionnements sur les lois du cyberespace
La ligne directrice et le titre de l’exposition tirent leur origine d’un article intitulé Code Is Law. On Liberty in Cyberspace de Lawrence Lessig, paru en 2000 et dès lors considéré comme novateur. Professeur de droit à la Harvard Law School et Fondateur du Center for Internet and Society, Lessig détermine les nouvelles menaces pour nos libertés à l’âge du cyberespace, relevant les questions de la neutralité et de la régulation du Net qui est notamment construit par les valeurs des codeurs.
L’auteur met également en avant le risque de perte des valeurs constitutionnelles des différentes démocraties si les lois du cyberespace venaient à prendre le pas dessus. Son célèbre article finit par cette phrase : « La loi du cyberespace dépendra de la manière dont il est codé, mais nous aurons perdu tout rôle dans le choix de cette loi. »
Mais s’il était néanmoins possible de garder un certain rôle dans cette loi, en maîtrisant le code à son propre niveau ? C’est à cette question que tâcheront de répondre les artistes réunis dans l’exposition Code Is Law.
Programme de l’exposition Code Is Law
L’exposition présente notamment les travaux de Laura Colmenares Guerra, que nous avions interviewée l’été dernier. Nous pouvons y observer l’avancée de son ambitieux projet sur l’Amazonie avec l’exposition de deux premières sculptures imprimées en 3D, basées sur le croisement de données géo-référencées liées aux enjeux socio-environnementaux et aux métadonnées relatives à la forêt amazonienne sur Twitter. Derrière cette démarche artistique se trouve une volonté de sensibiliser le public aux dangers de la déforestation massive de l’Amazonie, et surtout de montrer l’impact qu’ont les sociétés de consommation sur l’environnement.
Dans Species Counterpoint, Antoine Bertin part du principe que les êtres humains et les plantes partagent un même bagage génétique à 60 %. Le cœur de l’installation est un piano mécanique constitué d’éléments végétaux et animaux, qui joue une symphonie issue de la transcription d’une séquence d’ADN d’un être humain et d’une plante. Son travail d’immersion sensorielle et musicale nous amène à nous interroger sur le rapport que l’on entretient avec le monde végétal.
L’installation Spectrogrammes de Claire Williams réunit d’autres types de langages : le textile, le sonore, le numérique et l’électronique. L’artiste joue avec les codes de l’artisanat et de la technologie afin de proposer un mélange inattendu et singulier, entre tradition et modernité. Sa machine à tricoter détournée encode diverses fréquences sonores dans le tissu même, offrant un résultat visuel et tangible de ces données a priori immatérielles.
François de Coninck et Damien De Lepeleire offrent quant à eux une vision plus classique des données issues du Web. Le fruit de leur collaboration est une série d’aquarelles inspirées de la théorie des bulles de filtre, intitulée J’ai de la chance. Les fournisseurs de services sur Internet (les réseaux sociaux, entre autres) recueillent des données sur leurs utilisateurs, et ne montrent que les informations jugées pertinentes pour tel ou tel internaute. Les deux artistes cherchent à savoir si ce principe agit également sur Google Suggest, l’algorithme qui propose des termes de recherche lorsque l’on commence à écrire une requête. Des captures d’écran de ces prédictions numériques éphémères ont ensuite été transposées en peintures plus vivantes et pérennes. L’austérité des polices numériques y est démantelée, restituant une image amusante et clichée des suggestions proposées par Google.
Codes et algorithmes à l’honneur
L’exposition Code Is Law offre un large panorama d’approches et de pratiques artistiques liées aux codes et algorithmes. La programmation dans l’art amène de nouvelles pistes de réflexion à petite ou à grande échelle sur le monde physique qui nous entoure, ainsi que sur le monde virtuel dans lequel nous baignons.
Comme Lawrence Lessig (2000) le fait remarquer : « Le code régule. Il implémente – ou non – un certain nombre de valeurs. Il garantit certaines libertés, ou les empêche. Il protège la vie privée, ou promeut la surveillance. Des gens décident comment le code va se comporter. Des gens l’écrivent. La question n’est donc pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. »
Code Is Law, une exposition du Centre Wallonie-Bruxelles, du 9 janvier au 28 février 2021 à Paris. L’exposition est visible en ligne sur le site du Centre Wallonie-Bruxelles.
Avec les artistes : Jacques André, Antoine Bertin, Laura Colmenares Guerra, François de Coninck et Damien De Lepeleire, Natalia de Mello, Jonathan Schatz, Alex Verhaest, Eric Vernhes, Claire Williams. Commissariat : Carine le Malet et Jean-Luc Soret.
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— Karolina Parzonko