Votre jardin : la bibliothèque de demain ?

La semaine dernière, Lettres Numériques publiait un article sur le Carnet de la Fabrique Numérique, une initiative canadienne visant à développer le secteur de l’édition numérique. Cette volonté légitime de se moderniser est présente dans de nombreux domaines de la vie quotidienne, mais représente une réelle menace pour l’écosystème. Pour permettre au monde du numérique de continuer à se développer sans empirer la situation écologique, deux biologistes, Monika Seyfried et Cyrus Clarke, ont développé Grow Your Own Cloud, une technologie révolutionnaire et écologique permettant de stocker des données… dans des plantes !

Ebooks : plus écologiques que les livres papiers ?

Depuis l’arrivée d’Internet, le monde numérique n’a cessé de croître et de se développer. Dans le monde occidental, il est aujourd’hui présent partout, tout le temps. De nombreux domaines jusque-là très ancrés dans le monde matériel, tels que le monde littéraire, tentent maintenant de procéder à une transition en se rendant présents sur Internet pour offrir des expériences alternatives et se préparer aux futures habitudes de consommation. Cette volonté n’est pas dénuée de bon sens et de nombreuses personnes argumentent même que la généralisation des ebooks par exemple permettrait de diminuer la production de papier et, par conséquent, l’empreinte énergétique humaine.

Cependant, le fait que les ressources numériques soient immatérielles ne signifie pas qu’elles ne polluent pas. Le numérique est en réalité l’une des plus grosses sources de pollution actuelles. Il pollue en effet sur trois plans :

  • la production des outils informatiques ;
  • le transfert et l’analyse des données ;
  • le stockage de ces données.

Ce dernier point est particulièrement problématique : pour arriver à conserver les données créées à travers le monde entier à chaque instant, on construit des centres de stockage de données, des infrastructures gigantesques consommant matières premières, électricité, gaz, eau… Si les capacités de réutilisation d’un ebook sont mises en avant comme facteur de diminution de la pollution, les infrastructures globales du numérique et du stockage des données font que, au final, l’impact d’un ebook sur l’environnement est sans doute plus important que celui d’un livre papier, dont la production est de plus en plus basée sur le recyclage (notre-planète.info).

L’ADN : (re)découverte d’un centre de stockage des données écologique

Face aux problèmes écologiques soulevés par le fonctionnement du numérique et les centres de stockage, des chercheurs ont tenté de trouver une manière plus écologique de stocker les informations. Ils se sont rendu compte que le centre de stockage le plus efficace et le plus naturel qui soit était plus proche qu’ils ne le pensaient : il s’agit du vivant. L’ADN est en effet l’un des codes les plus performants existants. Il stocke des informations héritées sur des générations. En 2012, le professeur George Church a ainsi réussi, avec son équipe de scientifiques de la Harvard Medical School, à coder un livre entier (comprenant même onze illustrations) dans de l’ADN.

Cette prouesse technique a inspiré Monika Seyfried et Cyrus Clarke, deux biologistes voulant rendre le numérique plus vert. Ils ont donc développé Grow Your Own Cloud (G.Y.O.C.), un projet ambitieux ayant comme objectif de transformer les plantes en centre de stockage des données. Ils ont ainsi converti en 2018 une boutique de fleurs à Copenhague en véritable banque de données.

Une technologie du futur

Le processus est assez proche du processus numérique habituel, mais en utilisant le langage de l’ADN : les deux chercheurs expliquent qu’ils convertissent les données numériques en ADN en les transcrivant en un nouveau code, basé sur les quatre bases azotées (A-T-C-G) composant l’ADN. Grâce à un outil de séquençage génétique, ils peuvent lire et extraire les données une à une. Ce procédé est encore long (il faut compter six heures pour extraire les informations), mais, au rythme auquel évoluent les technologies, on peut s’attendre à ce que le procédé d’extraction des données se simplifie avec le temps.

La technologie de G.Y.O.C. permet de stocker des informations de toutes sortes (textes, images, fichiers audio) dans un format qui ne deviendra jamais obsolète. Si l’impact sur les plantes utilisées n’a pas encore été étudié, il est cependant clair que cette forme de stockage est beaucoup moins néfaste pour l’environnement que les centres de stockage actuels, puisqu’elle absorbe du CO2 au lieu d’en produire et pousse à planter des plantes.

Cette technologie intéresse de nombreuses sociétés, comme Microsoft, qui s’est déjà lancé dans la recherche dans ce domaine. De leur côté, Monika Seyfried et Cyrus Clarke veulent mettre sur pied des accords avec l’ONU pour perfectionner leur modèle et le rendre accessible à tous. Et qui sait, peut-être que, dans quelques années, tout le monde pourra lire un ebook dans son jardin sans rien d’autre dans les mains qu’une fleur ?

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— Chloé van der Straten-Waillet

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