Entretien avec Bruno Humbeeck sur la rentrée scolaire numérique et la pandémie

Septembre 2020 était placé sous le signe d’une rentrée scolaire en code jaune, et la rentrée après le congé d’automne sera également chamboulée. Qu’est-ce que ça signifie pour la rentrée numérique dans les écoles ? Si les dernières mesures sanitaires remettent l’organisation scolaire en jeu, les acteurs de l’enseignement visaient au maximum le présentiel et présentaient l’offre numérique comme un ultime recours lorsque les règles de sécurité l’exigeaient. Bruno Humbeeck, psychopédagogue et chercheur en pédagogie familiale et scolaire à l’université de Mons, nous donne son point de vue.

Avant tout, recontextualisons brièvement. Au mois de juin, quatre codes potentiels étaient suggérés en fonction de l’évolution de la situation : vert, jaune, orange ou rouge. Finalement, la rentrée de septembre s’est déroulée sous code jaune, synonyme de « risque limité de contamination ».

Néanmoins les mesures de ce plan ont été rectifiées : d’une semaine de quatre jours pour le secondaire avec le mercredi en travail à domicile, nous sommes passés à cinq jours en présentiel. En effet, les experts du GEES ont démontré que le plan initial ne compensait pas suffisamment les effets secondaires organisationnels pour les écoles.

Bruno Humbeeck_portraitLe congé d’automne, habituellement d’une durée d’une semaine, a été prolongé d’une semaine. À l’heure actuelle, la rentrée après ce congé est toujours fixée au lundi 16 novembre, en code rouge, avec des modalités différentes selon les niveaux.

Lettres Numériques a rencontré Bruno Humbeeck afin de s’entretenir sur la rentrée numérique et ses enjeux.

Lettres Numériques : Voyez-vous dans l’option des cours numériques une solution à la propagation du virus ?

Bruno Humbeeck : Certainement ! Les cours numériques durant cette pandémie permettent logiquement une plus faible propagation du virus. Ce qui est important en cette période, c’est de voir en ce type de cours, une véritable opportunité de pouvoir travailler. Ce qui aura été négatif concernant la pandémie, c’est la mécompréhension de la définition des bulles sociales qui n’a jamais été établie de façon claire.

Ce qu’il est judicieux de noter également, c’est le fait que la Covid-19 n’a été qu’une accélération dans le processus du développement des cours numériques dans le milieu scolaire. Les cours numériques ne sont pas quelque chose de nouveau, et dans d’autres pays que le nôtre, ils sont déjà bien plus développés. Ce système est d’ailleurs en bonne voie de développement en France, et malheureusement que très peu chez nous en Belgique à mon grand regret. Il faudrait que la Belgique saute le pas également à ce niveau. Les cours numériques présentent des solutions et avantages pour nombre de situations, il faut les considérer autrement.

En dehors du contexte de la Covid-19, voyez-vous un intérêt à cela dans le cadre scolaire ? En termes de réaménagement de l’horaire scolaire, par exemple ?

Oui, les cours numériques ont un intérêt dans la perspective d’un réaménagement de la forme scolaire. Je préfère parler en termes de réaménagement de la forme scolaire et pas d’horaire. L’enseignement tel que nous le connaissons doit être revu.

Pour faire une parenthèse historique, le modèle de l’enseignement tel qu’il a été créé au XVIIIe siècle par Jean-Baptiste de la Salle, ecclésiastique innovateur dans le domaine de la pédagogie, est l’instigateur du nôtre. Il prévoyait une éducation dispensée à des groupes, car auparavant le maître s’occupait de l’élève de manière individuelle. Donc au XVIII, nous avons des groupes classes recevant la parole d’un guide qui prêche. Mais nous devons nécessairement procéder en des innovations pédagogiques à l’heure actuelle.

La possibilité de maintenir les cours à distance à mi-temps avec les cours présentiels dans les zones critiques et pour les deuxième et troisième degrés a été évoquée. Que pensez-vous de ce système ?

Ces formes hybrides ont bien été adoptées dans certaines écoles. Mais avant toute chose, je voudrais revenir sur le terme « présentiel » qui pose problème. Il n’est pas correct dans la mesure ou le numérique n’empêche pas le présentiel, il y a du présentiel numérique. En effet, les professeurs sont présents pour les élèves et restent absolument disponibles de façon numérique. L’exact opposé du présentiel serait « l’absenciel ». Les professeurs ne sont aucunement absents.

Ces formes hybrides sont la traduction de l’audace scolaire, et c’est dans ce sens qu’il faut progresser. Nous devons augmenter l’audace scolaire et pas la prudence scolaire !

« Rien ne remplace l’enseignement en présentiel, et l’offre numérique ne peut constituer qu’une alternative lorsque les règles de sécurité l’exigent », explique le cabinet de la ministre Caroline Désir via communiqué. Qu’en pensez-vous ?

Je pourrais tout à fait reprendre cette phrase à mon propre compte, à un mot près néanmoins. Effectivement, il ne faut pas voir le numérique comme une alternative du présentiel, mais plutôt comme une complémentarité. Le numérique complète le présentiel et inversement.

Néanmoins, je suis absolument d’accord avec le fait que rien ne remplace le présentiel, car il permet un transfert d’information important, tant du côté des élèves que du professeur, car tous perçoivent et interprètent le comportement de leurs interlocuteurs, les signes de réception, de compréhension ou d’incompréhension. On ne peut donc pas le remplacer, mais bien le compléter !

L’offre numérique est matériellement difficile à mettre en place dans certaines écoles ne bénéficiant pas des ressources nécessaires, et dans les familles qui n’ont pas accès au numérique. Le numérique dans le milieu scolaire ne risque-t-il pas de creuser encore plus les inégalités ?

Nous touchons à la problématique de la fracture numérique. C’est une blessure ancrée, trop profonde. Comme à l’hôpital, lorsqu’on répare une fracture, on ne fait qu’aseptiser les effets. La fracture numérique révèle à nouveau ce qui est déjà problématique, et ce ne sont pas les écoles qui vont pouvoir résoudre ce fossé d’inégalités. Ce qu’il faut comprendre, c’est que tout ne doit pas reposer sur les épaules des établissements scolaires en termes de fournisseur numérique. Cela doit être pris en charge par eux, mais en partie. Ils doivent être soutenus par d’autres secteurs qui devraient également mettre à disposition du matériel numérique. Je pense notamment à des cités d’aide à la jeunesse, à des AMO, etc. Ces inégalités scolaires vont au-delà du monde de l’école, la fracture étant bien présente, il n’y a pas de remède, mais il faut jouer de solidarité avec d’autres organismes et institutions pouvant pallier quelque peu cette grande problématique.

Il est aussi à noter que ces inégalités scolaires ne concernent pas que les élèves, mais aussi les professeurs ! J’en ai vu se filmer avec leur petit téléphone pour donner cours, à défaut de matériel ou tout simplement de capacité à manipuler certaines technologies. Il faut faire intervenir de véritables professionnels, des caméramans, des informaticiens, etc. afin de fournir un enseignement numérique de qualité.

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— Aline Jamme

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